Mexique - La volonté de fer d'une femme Otomi contre les mauvaises nouvelles

Publié le 25 Avril 2020

IGNORÉS. Aucune des mesures d'atténuation promues au Mexique dans le cadre de la pandémie de Covid-19 ne fait mention des peuples indigènes.

Kennia Velásquez


Avant que la pandémie n'arrive au Mexique, Ofelia vendait des poupées faites à la main, avec des cheveux noirs et des costumes traditionnels, aux visiteurs de la zone touristique de Leon, à Guanajuato. Les Otomis sont le cinquième plus grand peuple indigène du Mexique. Aujourd'hui, des mesures restrictives menacent leur économie familiale. C'est leur histoire dans le cadre de "Ellas luchan/Elles luttent", une série journalistique coordonnée par OjoPúblico dans sept pays d'Amérique latine.

19 avril 2020

La police a demandé à Ofelia de retirer son étal d'artisanat situé à un coin de la place principale de León, dans l'État mexicain de Guanajuato. Ce n'est pas la première fois que cela lui arrive : le harcèlement des fonctionnaires est permanent. Ils lui disent qu'elle doit partir parce qu'il faut maintenir la "bonne image" du lieu, "sans vendeurs de rue autour du Palais municipal". Cette fois, cependant, les restrictions sont plus sévères. La propagation du coronavirus menace sa seule source de revenus.

Ofelia vend les poupées traditionnelles de sa culture Otomi, la cinquième plus grande population indigène du Mexique. Avant l'arrivée des Espagnols, ce peuple originaire occupait des territoires qui correspondent aujourd'hui aux États de Querétaro, Hidalgo, Michoacán et Guanajuato. Elle propose encore aux passants des poupées aux cheveux noirs et des costumes traditionnels faits main, mais les gens qui se promènent encore dans les rues du centre historique pensent davantage de nos jours à acheter de la nourriture, des masques ou du gel hydroalcoolique pour se désinfecter les mains. 

Elle a essayé de vendre des graines de courge et des bonbons traditionnels dans les transports publics, mais elle n'a pas eu de chance non plus. Il y a quelques jours, les gardiens lui ont pris son panier de produits, lui donnant comme excuse des mesures sanitaires, bien qu'en réalité il s'agisse d'une pratique fréquente envers les vendeurs de rue, principalement des migrants indigènes comme Ofelia, qui ont quitté leurs communautés pour León, fuyant la pauvreté et le manque de services de base.

Ofelia ne sait pas avec certitude quel âge elle a, "Je crois que j'ai 51 ans", dit-elle nerveusement. Comme 35 % des femmes indigènes, elle ne sait ni lire ni écrire et a tardé à obtenir sa carte d'identité. Avant, elle et son mari vendaient dans l'État de Querétaro, mais il y a trois ans, il est mort. Pour ne pas rester seule dans la ville de Higuerillas, elle est allée vivre avec le plus jeune de ses sept enfants dans la ville industrielle de León. Elle est venue chercher quelques-uns des milliers d'emplois qu'elle a entendu promouvoir par les usines de General Motors, Mazda et Toyota. Elle n'en a pas eu.

Au Mexique, il y a 68 peuples indigènes, 25 millions de personnes se reconnaissent comme faisant partie de l'un de ces peuples originaires, mais seuls 7 millions d'entre eux parlent leur langue maternelle. L'explication réside dans le traitement de l'État : seul l'espagnol est enseigné dans les écoles, beaucoup n'utilisent pas leur langue maternelle parce qu'ils considèrent que c'est un désavantage parce qu'ils sont victimes de discrimination.

Les poupées Otomies sont considérées comme faisant partie du patrimoine culturel du Querétaro. Sur les plateformes de commerce numérique, elles se situent entre 20 et 160 dollars, mais Ofelia dit qu'elle ne peut pas les vendre pour plus de deux dollars. "Ils ne paient pas plus que ça ici", dit-elle, regrettant que les voyageurs n'apprécient pas son travail. Pour elle, une bonne journée de vente, c'est quand elle gagne 8 dollars pendant une journée de 10 heures, sans compter les trois heures de voyage.

L'urgence sanitaire et l'isolement obligatoire ont mis en péril l'économie de sa famille. Tant que l'éventualité durera, elle ne pourra plus vendre dans la rue. Sa famille ne pourra pas non plus compter sur les 200 dollars par mois que son fils gagne dans une usine de chaussures. La société a fermé temporairement et les a informés qu'elle ne paierait pas la totalité des frais. Ils lui ont également dit qu'il n'aurait pas accès aux services médicaux, parce que la société s'était engagée dans un processus de "réduction des coûts". 

Bien que tous les Mexicains aient le droit de recevoir des soins médicaux dans les centres de santé, Ofelia affirme que si elle et son fils tombent malades, ils devront chercher un médecin privé, car dans les établissements publics "ils ne veulent jamais nous soigner"

La population indigène de León est minoritaire, et un pourcentage important est constitué de migrants provenant de différents États de la République mexicaine, qui viennent travailler à titre temporaire, pour la plupart. Le gouvernement local n'a pas de programmes stratégiques pour les peuples indigènes. Le Conseil consultatif indigène de León n'existe que depuis neuf ans, dans lequel, outre les fonctionnaires, on trouve des représentants des communautés Náhuatl, Otomí, Purépecha, Mazahua et Mixteca. Malheureusement, le Conseil considère toujours les peuples indigènes comme des sujets d'assistance sociale et non comme des communautés ayant des droits, de sorte que la plupart des mesures qu'ils prennent ne sont que palliatives. 

Aucune des mesures d'atténuation promues au Mexique dans le cadre de la pandémie de Covid-19 ne fait mention des peuples indigènes. À León, les autorités ont déclaré qu'elles soutiendraient les commerçants du marché, mais cela laisse Ofelia de côté, car elle travaille dans la rue. Pour voir quelles sont les autres possibilités d'aide dont elle dispose, il faudrait qu'elle ait accès à l'internet, qu'elle cherche des options sur les pages du gouvernement, pour découvrir ensuite qu'elle doit être inscrite sur un registre des commerçants, avoir un compte à la banque, appartenir à une organisation et avoir une copie de la charte, entre autres exigences. Même le Conseil de coordination des entreprises de León s'est plaint que les subventions étaient mal diffusées, qu'elles n'étaient pas accessibles à tous et que la bureaucratie était lente à les distribuer.

Alertées par une telle incertitude, quinze familles Otomi vivant dans la colonie de Morelos à León ont créé un groupe WhatsApp pour être en contact pendant cette éventualité et se soutenir mutuellement. 

Le Centre de Développement Indigène Loyola (CDIL), une organisation de la société civile qui fournit un accompagnement et des conseils gratuits, a apporté un soutien alimentaire à chacune des familles. Ofelia dit que cela durera environ trois semaines, un soulagement en attendant qu'elle trouve des alternatives pour l'alimentation de sa famille. Malgré la peur, Ofelia dit d'une voix ferme : "J'ai toujours été en avance, je vais toujours me battre et nous allons bien sortir de cette maladie, c'est ce que je dis aussi à mon fils.

La pandémie, qui change le monde et enferme dans leurs foyers les populations urbaines, qui ne cessent de se lamenter sur les réseaux sociaux, est pour cette femme un accident de plus, un autre obstacle qu'elle devra franchir pour continuer, comme elle l'a fait toute sa vie face au racisme, à l'abandon de l'État et à la pauvreté chronique. Et là, ça continue.

traduction carolita d'un article paru sur ojo publico le 19 avril 2020

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