L'esprit du colibri, légende aymara
Publié le 4 Avril 2024
Au fond d'un lac Aymara dort Amaru, il n'est plus apparu depuis longtemps. A ce moment-là, les habitants ont oublié son existence, ils n'ont même pas le temps de réfléchir, la sécheresse consume tout, et avec des espoirs et des prières ils attendent la fin de leurs jours résignés. La chaleur intense et le manque d’eau flétrissent les feuilles, craquent les rochers, soulèvent des tourbillons de poussière et enflamment la résignation des cœurs desséchés et accablés face à la mort imminente.
Au rythme des saisons à plus de 3 000 mètres d'altitude dans les Andes, les Aymara vénèrent Pachamama et le serpent Amaru pour leur apporter de l'eau et une vie équilibrée. Ils ont survécu à plusieurs reprises grâce à leur réciprocité, étroitement liée au principe d’ayne : « Une demande d’aide dans le présent sera réciproque dans le futur ». Cependant, aujourd’hui ils sont quelque peu incrédules, il semble que leurs divinités les aient oubliés.
La seule plante encore vivante est le Qantu, bien qu'elle soit typique du désert, elle a peu de chance de survivre, une à une ses fleurs se sont desséchées. Au coucher du soleil, la plante, telle une mère qui veut sauver son enfant, cherche à protéger le dernier bourgeon qui donnera vie à l'aube. Au premier rayon de lumière, la pousse se détache de la tige et avant de tomber au sol, elle se transforme en un colibri multicolore.
Plein d'énergie et de vitalité, il traverse la cordillère, survole la lagune de Wacracocha, et bien qu'ayant soif il ne s'arrête pas pour boire, il n'a pas le temps, il continue de voler jusqu'au sommet de la montagne où vit le dieu Waitapallana, pourvoyeur d'un climat prospère pour ses terres.
L'aube a réveillé Waitapallana, il respire profondément et laisse ses sens s'élever dans le ciel ocre aux teintes orangées. Il se promène dans son jardin prolifique et, attirée par l'arôme, une fleur de Qantu trouve le colibri épuisé et mourant battant des ailes sans force.
- Pitié, pitié, je t'en supplie, sauve-nous de cette horrible sécheresse ! - s'exclame le colibri, essoufflé.
Waitapallana le prend dans ses mains pour lui faire boire une gorgée d'eau, mais cela ne sert à rien, le petit oiseau rend son dernier souffle. Le dieu ému de la création fond en larmes, ses larmes coulent copieusement et fluidement jusqu'à atteindre la lagune de Wacracocha, où elles éclatent avec un grand rugissement pour réveiller Amaru, le serpent ailé, dans ses profondeurs. Ce n'est pas la première fois qu'il apparaît, dans certains cas il a dévasté des villages entiers, dans d'autres cas les dégâts causés aux cultures ont été irréparables, lorsque les rivières ont débordé à cause de sa fureur, personne n'a pu l'arrêter, c'est pourquoi cette divinité est crainte et respectée.
Amaru n'est pas apparu depuis longtemps, les guerriers armés tentent de le ralentir, mais en vain. Lorsqu'il se lève, ses yeux cristallins aveuglent le soleil. Son museau rouge répand une brume dense sur les collines. Ses ailes déchaînent une violente tempête, tandis que sa queue de poisson grêle avec fureur. De sa gueule en forme de flamme, des vents cycloniques soufflent avec des milliers de graines qui se dispersent sur la terre, et des reflets de ses écailles dorées, un immense arc-en-ciel se loge dans le ciel.
Au bout de quelques jours, Amaru ne laisse aucune trace. La terre devient verte, les fleurs et les arbres commencent à pousser, les animaux réapparaissent dans la prairie, dans la tribu on reprend chaque jour son travail. Reconnaissants que le dieu de la création ait entendu leurs prières, les Aymara construisent un colibri de la taille d'un arbre avec de la boue et de l'argile, peint de manière très colorée, et l'entourent de plantes Qantu remplies de fleurs et de colibris. Cependant, il y en a un qui se démarque et regorge de fleurs, c'est le même qui a donné vie à ce courageux colibri, l'esprit du petit oiseau y vit. On raconte que les Aymara déposent leurs offrandes autour de cette plante en attendant que leurs prières soient entendues.
Depuis lors, dans chaque rituel, l'esprit du colibri accompagne les habitants vêtus de ruanas multicolores, tandis qu'ils tentent de plaire aux divinités pour être récompensés par des bénédictions pour leurs champs et leurs familles. Au rythme des musiques et danses tribales, Yatire préside les cérémonies. Le vieux sage s'entretient avec les divinités et se lève sous l'effet de l'encens des feuilles de coca pour palper la météo des prochains semis.
Les jours de souffrance et d'anxiété ont été laissés derrière, pour revenir à la vie paisible parmi les offrandes - tables/mesas - et les divinités - huacas, tandis que le lac cristallin témoin du miracle berce Amaru, qui dort en attendant d'être invoqué à nouveau.
Andrea Calvete
traduction carolita
huaytapallana au Pérou De Josue Hermoza - Trabajo propio, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=41411231