Brésil : Restes inhumains

Publié le 29 Juin 2022

Márcio Santilli, partenaire fondateur de l'ISA, analyse le tableau de la violence en Amazonie à la lumière du mauvais gouvernement de Bolsonaro et de son discours vide sur la région. Article publié initialement sur le portail Mídia Ninja, le 23/06/2022


Márcio Santilli - Partenaire fondateur d'ISA
@MarcioSantilli  
Lundi, 27 juin 2022 à 14:43

La semaine dernière a été fortement marquée par la douleur cathartique provoquée par la confirmation de l'assassinat de Bruno Pereira et Dom Phillips, près de la terre indigène Vale do Javari, à l'extrême ouest de l'Amazonie. Trois des auteurs du crime sont en prison, l'un d'eux a avoué et un autre s'est rendu à la police. On parle d'un lien entre les responsables et le trafic de drogue et il y a une responsabilité politique à assumer. La police fédérale hésite à approfondir les enquêtes, que le président Bolsonaro, en pleine campagne de réélection, veut clore.


Parmi les aberrations abjectes proférées par Bolsonaro, cherchant à rendre les victimes responsables de leur propre meurtre, il est revenu au ministre de la Justice, Anderson Torres, d'informer, officiellement, de l'emplacement des corps, appelés par lui "restes humains". Le jonglage verbal ministériel est dû à la circonstance que Bruno et Dom, après avoir été tués, ont eu leurs corps démembrés. L'extrême brutalité du crime a inspiré la licence poétique du ministre.

Ce qui reste de cette histoire pue pour Torres, Bolsonaro et les idéologues des forces armées, qui ont recours à la défense rhétorique de la souveraineté nationale pour attaquer les critiques des politiques du gouvernement pour l'Amazonie, les peuples indigènes, les droits de l'homme, le changement climatique, etc. Le monde entier a regardé un film d'horreur en temps réel, dans un territoire sans loi, dans un pays non gouverné, avec une intrigue déterminée par le crime organisé.

La défense de qui ?

Au cours de la récente période démocratique, le Brésil a fait des investissements considérables pour accroître le contrôle militaire sur ses frontières. Plusieurs unités de l'armée ont été transférées d'autres régions vers l'Amazonie et un collier de bataillons a été installé le long de la frontière nord. Le projet de système de surveillance de l'Amazonie (Sivam), avec l'installation de puissants radars à des points stratégiques, devrait permettre de contrôler l'espace aérien régional. La marine a également vu sa structure renforcée dans certaines zones, notamment à Alto Solimões.

L'article 17-A de la loi complémentaire n° 97/1999 prévoit l'exercice du pouvoir de police dans la bande de 150 km le long des frontières nationales : "L'armée brésilienne est responsable, outre d'autres actions pertinentes, [...] : IV - agir, par des actions préventives et répressives, dans la bande frontalière terrestre, contre les crimes transfrontaliers et environnementaux, seul ou en coordination avec d'autres agences du pouvoir exécutif, [...]". Ces attributions sont liées à plusieurs des récents cas de violence qui se sont produits dans le Rondônia le Roraima, et aussi à Vale do Javari.

C'est pourquoi la note émise par le commandement militaire de l'Amazonie, peu après la disparition de Bruno et Dom, disant qu'il attendait encore des "ordres supérieurs" pour réagir au fait, a suscité l'étonnement. Ça semblait être une façon de dire qu'il y avait un ordre de ne pas agir. C'est la police fédérale qui mène les enquêtes. Il n'y a pas assez de renseignements militaires pour cela.

La posture du ministère de la Défense a suscité des critiques et des soupçons de déviation de fonction. Tout en se laissant utiliser par des mouvements étranges qui remettent en cause le système électoral, il donne des démonstrations successives de clémence face aux activités du trafic de drogue, de l'exploitation minière prédatrice et d'autres entreprises criminelles en Amazonie. Le haut commandement ne semble pas percevoir, ou ne se soucie pas, de l'usure que cette situation génère chez les mieux informés.

Résistance au changement

Le vestige le plus inhumain est Bolsonaro lui-même. Il parvient à déshumaniser près d'un tiers de la population. Mais pour ce faire, il cristallise son rejet par les deux autres tiers. De sa rusticité, le peuple brésilien pourra se débarrasser lors des élections d'octobre. Cette étape sera fondamentale pour empêcher le pays de sombrer une fois pour toutes, en multipliant les restes humains.

Ce ne sera que la première étape. La violence est résiliente. Le crime organisé restera et tentera de maintenir la souveraineté acquise sur une grande partie de l'Amazonie pendant le gouvernement Bolsonaro. Le crime est armé et capitalisé. Pour inverser cette situation, il faudra de la stratégie, de l'intelligence et de la persévérance pour couper ses connexions internes et internationales. Entre-temps, la violence pourrait s'intensifier davantage à court terme.

Sous un nouveau gouvernement, avec des commandants militaires renouvelés, il sera possible de revoir la structure de défense actuelle, qui a été lente et inefficace pour prévenir ou réagir aux illégalités en Amazonie. Mais l'expérience de ces dernières années montre qu'il subsiste, dans les forces armées, une culture politique corporative complètement déconnectée des défis civilisateurs de ce siècle.

Ce n'est pas l'existence de la forêt et la présence des peuples indigènes qui sapent la souveraineté brésilienne sur l'Amazonie. Il n'est pas crédible que les gouvernements des pays voisins ou autres osent menacer nos frontières. Le choc vient de la démonstration de l'incapacité du pays à gérer la région de manière rationnelle, de l'avancée incontrôlée de la déforestation et de l'exploitation minière prédatrice, de l'occupation illégale de terres publiques et de l'action du crime organisé. En plus de nuire au pays, la prédation de l'Amazonie affecte objectivement le monde entier.

Le sauvetage de la souveraineté nationale en Amazonie n'a pas besoin de rhétorique vide, mais dépend de la démonstration de la capacité effective du pays à lutter contre les actes illicites et à privilégier le développement durable plutôt que la prédation des ressources naturelles. Il dépend du protagonisme des peuples de la forêt, menacés et acculés dans le cycle actuel de la violence. Et il est complété par une reconnaissance internationale équitable.

traduction caro d'un article paru sur le site de l'ISA le 27/06/2022

Rédigé par caroleone

Publié dans #Abya Yala, #Brésil, #Amazonie, #Violence, #Vale do Javari

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