Les activités extractives dans les territoires des PIACI (peuples en isolement volontaire) sont-elles valables ?

Publié le 22 Mai 2020

Servindi, 21 mai 2020 - Ce vendredi 22 mai, le Congrès de la République débattra du projet de loi n° 4044-2018-CR qui vise à modifier la loi 28736, Loi pour la protection des peuples indigènes ou autochtones en situation d'isolement et de premier contact. Il s'agit d'une question en suspens au sein du Congrès actuel. 

L'objectif de ce projet de loi est de protéger les territoires des PIACI contre les intérêts politiques et économiques. À cet égard, Juan Carlos Ruiz Molleda et Maritza Quispe Mamani, avocats de l'Institut de défense juridique, nous ont expliqué les raisons de droit constitutionnel qui justifient l'approbation du projet de loi susmentionné.

Pour les spécialistes, le débat découle de la question suivante : les activités extractives en général sont-elles valables et en particulier les concessions forestières qui se chevauchent dans les territoires où les peuples autochtones vivent dans l'isolement et le premier contact (PIACI) ?

Le problème se trouverait dans l'article 5.c de la loi n° 28736 qui, après avoir reconnu l'inviolabilité des territoires des PIACI mentionne au paragraphe c la possibilité de mener des activités extractives dans ces territoires.

L'article suivant analyse pas à pas les raisons juridiques constitutionnelles qui ont poussé le Congrès de la République à modifier l'article 5.c de la loi PIACI, sur la base des preuves factuelles, des normes internationales et de l'argumentation développée : 

 

Concernant le projet de loi du Congrès visant à modifier la loi des  PIACI


Les activités extractives peuvent-elles être menées sur le territoire des peuples indigènes en situation d'isolement ?


Par Juan Carlos Ruiz Molleda et Maritza Quispe Mamani

C'est dans ce contexte que s'inscrit le débat autour du projet de loi du Congrès de la République n° 4044-2018-CR, qui sera discuté ce vendredi au Congrès de la République. La question est la suivante : les activités extractives en général et, en particulier, les concessions forestières qui se chevauchent dans les territoires où les populations autochtones vivent dans l'isolement et le premier contact (PIACI) sont-elles valables ?

Voici les raisons juridiques constitutionnelles qui ont conduit à l'approbation de ce projet de loi et à la déclaration de la nullité de tous les types de concessions extractives et de concessions forestières qui chevauchent le territoire des peuples indigènes isolés.

Voir le projet de loi 4044-2018-CR (ici)

Le problème 


Le problème est que l'article 5.c de la loi pour la protection des peuples indigènes ou originaires en situation d'isolement et de premier contact (loi n° 28736), après avoir reconnu l'inviolabilité du territoire des PIACI, au paragraphe c, reconnaît la possibilité de mener des activités extractives sur leur territoire. 

"Article 5 - Caractère immatériel des réserves indigènes
Les réserves autochtones pour les peuples autochtones en situation d'isolement ou de premier contact sont intangibles tant qu'elles conservent la qualité de ces réserves. En elles :
a) Il ne peut être établi d'autres établissements de population que ceux des peuples indigènes qui y vivent
b) Il est interdit d'exercer toute autre activité que celle qui relève des us et coutumes ancestraux des habitants indigènes
c) Aucun droit n'est accordé qui implique l'utilisation de ressources naturelles, sauf pour l'utilisation de ces ressources à des fins de subsistance par les populations qui les habitent et celles qui permettent leur utilisation selon des méthodes qui ne portent pas atteinte aux droits des populations autochtones isolées ou en situation de premier contact, et à condition que l'étude environnementale pertinente le permette. Dans le cas où se trouve une ressource naturelle susceptible d'être exploitée, dont l'exploitation est une nécessité publique pour l'État, celui-ci procède conformément à la loi ; et
d) Les peuples indigènes qui les habitent en sont les seuls et uniques bénéficiaires".

1. Le problème juridique constitutionnel de base (1)

Sachant que les peuples autochtones en situation d'isolement se caractérisent précisément par leur extrême vulnérabilité, quatre questions fondamentales doivent être posées :

  • Est-il possible de mener des activités extractives sur le territoire de peuples isolés vivant dans des réserves indigènes créées et non créées, sans mettre en danger le droit à la vie, à la santé, à l'intégrité physique et à l'existence de ces peuples ?
  • La conduite d'activités d'exploitation forestière sur le territoire des peuples isolés est-elle compatible avec le principe de l'inviolabilité de leur territoire et le principe de non-contact ?
  • S'il n'est pas possible de mener des activités d'exploitation forestière sur le territoire des peuples isolés, quel droit devrait primer, d'un point de vue constitutionnel dans le cas d'espèce, sur le droit à la liberté contractuelle et le principe de sécurité juridique des concessionnaires forestiers, ou sur le droit à la vie, à la santé et à l'intégrité physique des peuples isolés ?
  • Quelle est la position de la Cour constitutionnelle dans sa jurisprudence lorsque les activités extractives entrent en conflit ou mettent en danger des droits fondamentaux ou des biens juridiques d'importance constitutionnelle ?

2. Les arguments en faveur de l'interdiction des activités extractives sur le territoire des PIACI

La justification de cette position est que le droit à la vie et à la santé des PIACI, dans ce cas et d'un point de vue de droit constitutionnel, est au-dessus de la sécurité juridique et de la liberté contractuelle des concessionnaires en général, tels que les concessionnaires forestiers, qui se chevauchent sur le territoire où vivent les PIACI.

La base constitutionnelle est qu'il n'est pas possible de mener des activités d'exploitation forestière sur le territoire de ces peuples, comme le prévoient les principes d'inviolabilité de leur territoire et de non-contact par ces peuples.

Soutenir le contraire, c'est ignorer la nature des PIACI . Ils ne veulent pas voir que nous avons affaire à des peuples qui se caractérisent par une extrême vulnérabilité immunologique, environnementale et sociale. Ils ignorent que, dans le passé, ces peuples ont été décimés par la présence, entre autres, de bûcherons illégaux sur leurs territoires, qui ont transmis des maladies auxquelles leur système immunitaire n'était pas préparé, poussant ces peuples au bord de l'extinction.

C'est précisément en raison de cette caractéristique des PIACI que le droit international a développé les principes de l'inviolabilité de leurs territoires et le principe de non-contact.

À cet égard, la Cour interaméricaine des droits de l'homme s'est également prononcée sur cette question, déclarant que les principales menaces qui pèsent sur la pleine jouissance des droits de l'homme des PIACI sont les résultats des contacts (2). L'une des actions qui conduit souvent à un contact est l'énorme pression exercée sur les territoires qu'ils habitent et traversent (3).

Cette pression entraîne des revenus pour les territoires des peuples isolés, ce qui se produit principalement dans le contexte de l'extraction de ressources naturelles telles que le bois, à la fois illégale et légale, qui constitue une menace sérieuse pour l'intégrité physique et culturelle de ces peuples, et leur survie (4).

3. Raisons pour lesquelles le Congrès devrait modifier l'article 5.c de la loi PIACI

Sur la base des preuves factuelles, des normes internationales et de l'argumentation développée, nous pouvons conclure ce qui suit :

  • Il n'est pas possible d'exercer des activités économiques extractives sur le territoire des PIACI, car cela met en danger grave et imminent le droit à la vie, à la santé, à l'intégrité physique et à l'existence de ceux qui vivent à l'intérieur des réserves, car ils présentent une vulnérabilité immunologique, environnementale et sociale extrême, qui les met dans une situation d'extrême vulnérabilité.
  • Selon les normes du droit international des droits de l'homme, mener des activités extractives telles que l'exploitation forestière sur le territoire des PIACI est absolument incompatible avec le principe de l'inviolabilité de leur territoire et le principe de non-contact.

L'État péruvien, et plus particulièrement le MINCUL et SERFOR, ont un rôle de garant des droits de l'homme pour les PA. Conformément à l'article 44 de la Constitution et à l'article 2 de la CADH, elle a l'obligation de garantir la pleine validité des droits fondamentaux et des droits de l'homme des PA sur le territoire desquels sont menées des activités extractives telles que l'exploitation forestière.
Étant donné que nous sommes confrontés à un conflit et à une collision de droits, le test de proportionnalité doit être appliqué pour analyser la constitutionnalité et la légitimité de la restriction qui est censée être imposée aux droits des PIACI. Dans ce cadre, on peut affirmer qu'il n'est pas possible, en pratique ou en droit, de mener des activités extractives telles que l'exploitation forestière sur les territoires des PIACI, car du point de vue du droit constitutionnel et du droit international, dans ce cas précis, la protection du droit à la vie, à la santé et à l'intégrité physique des peuples isolés doit primer sur le droit à la liberté contractuelle et le principe de sécurité juridique des titulaires de concessions forestières, en raison de la pertinence constitutionnelle du premier.

Après avoir analysé les trois étapes du procès ou test de proportionnalité, nous concluons que la position de ceux qui autorisent l'activité d'extraction sur le territoire des PIACI ne respecte pas les paramètres établis dans la jurisprudence de la CT et de la CADH. En pondérant le droit de propriété des actionnaires des concessions forestières par rapport aux droits à la vie et à l'intégrité des PIACI, on constate qu'il est justifié de limiter les droits des actionnaires des concessions forestières. 
Dans le cas spécifique des concessions pétrolières, minières, forestières, etc., il est clair que, bien que celles-ci soient protégées par la sécurité juridique, ce principe ne peut être interprété sans référence au système constitutionnel. Bien que le mandat consiste à protéger tous les droits et biens légaux, lorsque cela n'est pas possible, les droits qui ont un lien avec la vie doivent être protégés.

Les PIACI sont les détenteurs du droit de propriété des territoires qu'ils ont traditionnellement occupés. Par conséquent, l'octroi de concessions par les gouvernements régionaux sur des territoires occupés par des PIACI, implique une violation de l'article 14 de la Convention 169 de l'OIT et de la jurisprudence développée par la CIDH. Plutôt que de céder des concessions forestières à des tiers, par exemple, c'est la protection de ces territoires de PA qui est appropriée. 

La Cour constitutionnelle, dans sa jurisprudence constitutionnelle (CST n° 03343-2007-AA, f.j. 49), en cas de conflit entre la sécurité juridique et les libertés contractuelles, d'une part, et les droits fondamentaux, d'autre part, a indiqué que ce n'est pas le critère chronologique de la sécurité juridique qui doit primer, c'est-à-dire que la personne ayant obtenu son droit en premier lieu dans le temps ne doit pas être protégée, mais que la sécurité juridique doit être protégée tant qu'elle est compatible avec les droits fondamentaux, compte tenu de la pertinence constitutionnelle que ceux-ci ont dans l'ordre constitutionnel (5).
La promotion des contacts forcés dans les réserves indigènes créées pour protéger les PIACI, telle que prévue par l'actuel article 5.c de la loi PIACI, ne respecte pas l'objectif de protection mentionné ci-dessus. Elles ne constituent pas non plus des mesures moins perturbatrices, malgré la mise en place de mesures de protection supplémentaires.
Il est clair qu'il ne peut y avoir de concessions forestières ni aucun type d'activités extractives sur le territoire des PIACI, car cela constitue une menace certaine et imminente pour ces peuples. Aussi importante que soit l'activité extractive, elle ne peut jamais être au-dessus de la vie, de la santé et de la subsistance de ces peuples.

Notes :

(1) Ce texte développe des arguments juridiques initialement basés sur l'article "Concessions forestières contre peuples autochtones en situation d'isolement volontaire et de premier contact", préparé par Juan Carlos Ruiz Molleda et Maritza Quispe Mamani, qui est disponible à l'adresse suivante : https://juancruizm.lamula.pe/2017/10/06/concesiones-forestales/juancruizm/.

(2) Commission interaméricaine des droits de l'homme, "Indigenous Peoples in Voluntary Isolation and Initial Contact in the Americas : Recommendations for the Full Respect of their Human Rights" (OEA/Ser L/V/II Doc 47/3) 2013, p. 87, disponible sur : http://www.oas.org/es/cidh/indigenas/docs/pdf/Informe-Pueblos-Indigenas-. Voluntary-pdf (consulté le 23 juin 2019).

(3) Doc. cit. paragraphe 93.
 

(4) Doc. cit. par. 101


(5) Voir Juan Carlos Ruiz Molleda et Maritza Quispe Mamani, Concesiones forestales vs. Disponible à l'adresse suivante : https://www.servindi.org/actualidad-noticias/06/10/2017/concesiones-fore .

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* Juan Carlos Ruiz Molleda et Maritza Quispe Mamani sont avocats à l'Institut de Défense Légal (IDL).

traduction carolita d'un article paru sur Servindi.org le 21/05/2020

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