Guadalupe Campanur ! Vive !

Publié le 3 Février 2018

PAR CAROLINA MÁRQUEZ MÉNDEZ  •  OTRAS

Avec l'assassinat de María Guadalupe Campanur Tapia, dont le corps a été retrouvé le mardi 16 janvier, dans une friche près de Santa Cruz, Tanaco, Michoacán, le pays perd l'une de ses plus courageuses combattantes sociales qui, depuis qu'elle est une femme, a participé activement à la défense et à la sécurité de son peuple, Cherán. Ce qui suit est une brève et intime revue de la trajectoire de Campanur Tapia, écrite par Carolina Márquez Méndez, étudiante sur le genre, la violence et les droits de l'homme, qui de douleur et d'indignation répète et rappelle:

#TodasSomosLupeCampanur. 

Nous avons pris cette photo de Lupe à Punta Cometa, un petit village d'Oaxaca, le 4 décembre 2016, le lendemain de mon mariage.

Je l'aime bien parce que Lupe regarde le lever du soleil. Elle était une femme de grande force et d'une détermination sans faille. Malgré de nombreuses difficultés, elle a choisi de rester à Cherán et de participer activement avec son peuple.

Lupe était une femme qui a gardé vivante la technique de la broderie traditionnelle p'urhépecha, ces ravissantes blouses effilochées. Elle avait tellement de beauté et de précision technique dans son travail que dans les derniers temps, elle reçut reconnaissance et invitations à présenter sa broderie dans différents endroits.

Souvent, je la rencontrais devant chez elle, elle et sa mère assises sur des bancs en bois, comme dans le style de Cherán.

Lupe était une femme d'une énergie profonde. Malgré l'adversité,elle n'a jamais hésité à participer. Elle le faisait simultanément. Elle a servi sa communauté dans diverses tâches et a maintenu en elle l'engagement de reproduire les traditions de son peuple. Je me souviens de notre dernière rencontre. Elle était vêtue du guare, un habit ancestral utilisé à Cherán. Ce jour-là, elle l'utilisa pour accompagner l'entrée des commissaires à la fête d'octobre 2017.

Dès avant l'institutionnalisation des rondes communautaires à Cherán en 2012, Lupe a toujours été impliquée dans des missions de sécurité pour la sauvegarde du territoire communal. Elle était la deuxième femme de son village à rejoindre la Ronde Communautaire et la première et la seule femme à faire partie du groupe Guardabosques (Gardiens des forêts) depuis sa création.

Par la suite, elle a soutenu le Conseil des biens communaux au cours de la première administration entre 2012 et 2015. En fait, c'est là que nous nous sommes rencontrées. C'est avec elle que j'ai fait mon premier voyage en territoire communal à l'été 2015.

Je me souviens d'elle comme une femme multi-fonctions, vive et intelligente. Elle a appris rapidement et était très sociable, ce qui l'a amenée à voyager dans d'autres localités pour partager en tant que commune quelques expériences de Cherán: je sais qu'elle a visité Puebla, la communauté indigène d'Ostula et la ville de México. La même impulsion l'a amenée à participer à plusieurs projets, qui n'étaient pas toujours liés à ce qu'elle a étudié, la comptabilité. Je me souviens avec reconnaissance du projet de surveillance des oiseaux dans la forêt de Conavi, auquel Lupe a participé avec enthousiasme. Le souvenir de sa collaboration à un projet impulsé par les jésuites pour régénérer le tissu social reste indélébile dans ma mémoire. Parmi ses dernières contributions figure sans aucun doute son engagement inconditionnel en faveur des malades de l'hôpital de Cherán.

Guadalupe était une femme exceptionnelle. Dans Cherán, elle défiait certaines normes de ce que signifie être une femme. Face au sexisme, au racisme et à l'élitisme, qui imprègnent encore les façons de faire de la politique dans le Mexique rural et urbanisé, Lupe a surmonté ces obstacles avec beaucoup de force et d'intelligence.

Le meurtre sournois de mon amie Lupe nous force à réfléchir sur ce genre de politique. Celui qui blesse les victimes des féminicides et qui diminue la sécurité de toutes, de celles qui sont encore en vie. Cet acte de barbarie est un signe terrible qui ne concerne que les femmes les plus vulnérables, sans parler des autres qui jouissent de certains privilèges.Le féminicide contre Lupe et tant d'autres femmes dans notre pays est un sinistre avertissement pour les femmes même qui demeurent indolentes face à ce genre d'acte.

À un autre niveau, cet épisode menaçant a un effet domino sur la sécurité, tant au niveau communautaire qu'au niveau géopolitique donc on devrait l'avoir sur le radar. Surtout si nous comprenons qu'il ne s'agit pas d'un fait isolé et que son modèle a à voir avec le mécanisme barbare où les hommes obtiennent toujours des bénéfices de manière directe ou indirecte. Peu importe si le crime a été perpétré dans le contexte de la violence familiale, de la violence entre partenaires intimes, par des auteurs inconnus, ou si lson mobile est lié à l'accumulation du pouvoir politique, en substance, avec ce féminicide, tous les hommes gagnent, comme un ami  a défini avec précision hier soir cet événement douloureux.

Ce qui suit est exprimé avec la nudité que je ressens face à la disparition forcée, la torture et le féminicide. Nous devons avoir la ferme détermination de ne jamais nuire aux autres femmes, que ce soit par un geste, un mot ou simplement par la pensée. Nous avons besoin, en tant que femmes, de guérir les blessures qui nous ont maintenues isolées ou fragmentées.

Il y a un besoin urgent de communiquer entre nous, de tisser des réseaux, de nous organiser, de nous former et de nous entrelacer ; d'être pratiques, techniques, théoriques et de revenir à être pratiques, toujours pratiques et changeantes. Bien sûr, il est extrêmement important que nous ne reproduisions pas les formes de violence qui génèrent le malheur et ne le répandent pas à d'autres personnes, de l'intérieur jusqu'au relationnel.

Et oui, nous devrons aussi construire, sans nous laisser dominer par des sentiments de vengeance, de peur, d'anxiété ou de tristesse, sans nous laisser emporter par la colère. Nous devons métaboliser afin de construire la compassion pour ceux qui sont plus ignorants que nous, les femmes de ce que cela signifie de souffrir la violence dans notre propre chair. A ceux qui ne savent pas qu'ils sont blessés. Et nous devons être patientes. Avoir la ferme détermination de continuer à agir avec un amour sincère, c'est-à-dire qui va de pair avec la sagesse et la dignité humaine, même si nous avons parfois l'impression d'être loin d'atteindre ce que nous voulons. Si nous le faisons jour après jour, seconde après seconde, de façon constante, cela changera. Tout comme Lupe voit le lever du soleil sur cette photo, soyons comme Lupe Campanur et faisons de la dignité humaine l'horizon vers lequel tourner notre regard et toutes nos actions. Assumons que notre force est d'être ensemble.

Carolina Márquez Méndez

Carolina Márquez Méndez est enseignante en Action publique et développement social au Colège de la Frontera Norte (COLEF). Ces dernières années, elle a passé du temps à visiter des régions rurales du pays. Elle a rencontré et partagé des expériences à Cherán où elle a mené une étude sur la violence entre 2008 et 2016.

traduction carolita du communiqué de Carolina en lien ci-dessous : 

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