Brésil : Le « négationnisme progressiste » qui nous gouverne

Publié le 18 Août 2023

DEUX JEUNES HOMMES TENTENT DE SE RAFRAÎCHIR DANS UNE FONTAINE À SÉVILLE LE 7 AOÛT (APRÈS LE MOIS DE JUILLET LE PLUS CHAUD JAMAIS ENREGISTRÉ). L'ESPAGNE CONNAÎT SA TROISIÈME VAGUE DE CHALEUR CET ÉTÉ, AVEC DES TEMPÉRATURES DÉPASSANT LES 40 DEGRÉS CELSIUS. PHOTO : CRISTINA QUICLER/AFP

NUESTRA VOZ

Il est temps que la génération de Lula mette fin à son histoire d'amour avec le pétrole

SUMAUMA

17 août 2023

Chère communauté :

Le Colombien Gustavo Petro a mis le doigt sur le problème en pointant le dilemme de Lula , du Brésil et de la plupart des gouvernements de gauche et de centre-gauche du monde. « [Les gouvernements de droite] ont une issue facile, qui est le négationnisme. Ils nient la science. Pour les progressistes, c'est très difficile. Ensuite, cela génère un autre type de négationnisme : parler de transitions », a-t-il déclaré lors du sommet de l'Amazonie , qui s'est tenu les 8 et 9 août. Petro faisait référence au discours de la "transition" vers des énergies renouvelables et non polluantes que des gouvernants comme Lula utilisent pour justifier la poursuite de l'exploitation des énergies fossiles. Comme SUMAÚMA l'avait prévu, le président colombien a tenté de convaincre ses homologues d'accepter de mettre fin à l'exploration pétrolière en Amazonie, mais il s'est retrouvé à parler tout seul. Son isolement a révélé ce qui terrifie les jeunes militantes de la génération de Greta Thunberg : la difficulté d'amener des politiciens, pour la plupart des hommes façonnés dans — et par — le XXe siècle, à prendre des décisions qui vont à l'encontre de leurs convictions plus profondément enracinées, précisément les décisions urgentes d'arrêter le réchauffement de 1,5 degrés Celsius de la planète .

Il est clair que les dirigeants travaillent pour gagner des bénéfices immédiats. Dans le cas du gouvernement brésilien, pour afficher de meilleurs indicateurs économiques et garantir des ressources pour mener des politiques qui lui permettent de tenir ses promesses sociales et de remporter à nouveau les élections en 2026. Le lobby de l'industrie des combustibles fossiles est également évident , qui, avec le la corruption des scientifiques et des instituts supposés scientifiques, a réussi à retarder la transition énergétique pendant des décennies en faisant passer le mensonge pour de la science, avec la complicité d'une grande partie de la presse. Et il convient de rappeler qu'il utilise encore diverses astuces pour continuer à le faire.

Cependant, il faut aussi souligner les critères subjectifs qui traversent les décisions. Les générations qui sont au pouvoir au Brésil aujourd'hui ont été façonnées par plus d'un demi-siècle de propagande nationaliste qui a exalté le pétrole comme la meilleure source de richesse pour une nation. Et cette propagande a façonné le cœur et l'esprit des décideurs d'aujourd'hui ou, lorsqu'il s'agit de s'adapter au changement climatique et d'atténuer ses effets, échoue souvent à prendre les décisions qu'il faudrait.

Soulignant que le négationnisme de gauche s'articulait sous le bouclier supposé responsable de la "transition énergétique", le président colombien a déclaré que c'était "un non-sens total" de parler d'urgence climatique et de poursuivre la prospection des énergies fossiles. Petro a non seulement gagné en importance lors d'un sommet organisé par Lula, mais a également rendu explicites les contradictions du Brésil. Jusqu'à la fin de l'année dernière, le pays était gouverné par Jair Bolsonaro, un extrémiste de droite qui a encouragé la destruction de la forêt et garanti l'impunité aux déboiseurs. Aujourd'hui, le Brésil est dirigé par Lula, un homme de centre gauche qui a forgé sa carrière politique dans le syndicalisme d'usine. L'image emblématique qui représentait l'abondance de son deuxième mandat, qui s'est terminé en 2010, était les mains du président tachées de pétrole. Treize ans plus tard, Lula est de retour au pouvoir et il lui est impossible de prétendre qu'il ne se rend pas compte que le pétrole et les autres énergies fossiles sont les méchants qui conduisent à l'effondrement de la planète natale en transfigurant le climat et donc la géographie. .. que l'espèce humaine croyait immuable. Mais savoir ne semble pas suffisant pour faire ce qui doit être fait.

EN 2010, LULA A COLLECTÉ LE PREMIER BRUT DE LA PRODUCTION DU PUITS 6-BFR-1-ESS DANS LE PRESAL DE CAMPO BALEIA FRANCA, À ESPÍRITO SANTO. PHOTO : RICARDO STUCKERT

A tel point que l'exploration pétrolière dans le bassin à l'embouchure du fleuve Amazone , sur la marge dite équatoriale, a généré une grande scission dans la première moitié du troisième mandat de Lula. Le ministère de l'Environnement et du Changement climatique de Marina Silva a suspendu le projet de Petrobras, l'entreprise publique brésilienne de combustibles fossiles, comme nous l'avions prévu en exclusivité à SUMAÚMA. Mais la plupart du gouvernement n'a pas acheté ce déni. Pas même le président. Peu avant le début du sommet, Lula avait déclaré dans une interview que les habitants de l'Amazonie pouvaient « continuer à rêver » d'exploration pétrolière dans le bassin à l'embouchure de l'Amazone. À la veille de l'événement, il a utilisé une phrase que Bolsonaro aurait bien pu dire : "[L'Amazonie doit être un] espace de génération de richesse pour le peuple, pas un sanctuaire."

Lula continue d'être un personnage paradigmatique du XXe siècle, qui croit que l'homme est capable de tout résoudre et, bien sûr, qu'il est au centre de l'univers. Évidemment, dans cette mentalité qu'il partage avec les "hommes du marché", la nature est à son service et elle n'a de valeur que si elle est utile à l'espèce humaine. Le monde vient de vivre le mois de juillet le plus chaud de son histoire. Au cours des seuls derniers jours, des événements extrêmes ont engendré des catastrophes d'Hawaï à la Chine, et l'Antarctique fond à des niveaux jamais vus auparavant. Mais la gauche que représente Lula croit toujours que le temps est toujours sous contrôle humain. Dans l'état d'esprit du 20e siècle de cette génération de politiciens, l'argent peut être tiré du pétrole en augmentant le nombre de consommateurs de matières premières tout en effectuant lentement une transition énergétique ou "verte".

Dans le document final du sommet pour l'Amazonie, l'expression "point de non-retour" est citée à quatre reprises pour désigner le moment limite que la forêt atteint à un rythme accéléré, lorsque le biome ne peut plus se régénérer. Cependant, dans la tête d'hommes politiques comme Lula, nous pouvons planifier la transition en toute sécurité pendant qu'il encourage l'achat de voitures à carburant fossile et offre à ses collègues un barbecue de bœuf amazonien. Et même ainsi, il est impératif de dire : Lula est le meilleur que nous ayons.

Vieillir est un mouvement. Dès lors, le problème n'est pas de vieillir, mais de cesser d'évoluer dans le champ des idées, de cesser de s'ouvrir à l'indétermination de la vie et de ses rencontres, de fermer les yeux — et le cerveau — aux défis du raz de marée qui nous avons dû vivre. Certains des intellectuels climatiques les plus puissants au monde sont des femmes et des hommes de la même génération que Lula ou de la génération immédiatement précédente. Marina Silva elle-même, d'un peu plus d'une décennie sa cadette, est une puissante penseuse de la planète en mutation climatique.

Raoni, que Lula a de nouveau laissé espérer , cette fois au sommet de l'Amazonie, a vraisemblablement plus de 90 ans et une pensée très actuelle.

Mais malheureusement, les faits et les déclarations montrent que la majorité des hommes politiques dont les décisions détermineront la qualité de vie dans les années et décennies à venir sont des négationnistes de droite et de gauche, au sens où SUMAÚMA propose de penser au négationnisme A ce stade, croire que la mutation climatique a été produite par l'espèce humaine est une évidence, une évidence scientifiquement prouvée. Mais c'est insuffisant pour faire de quelqu'un un non-négationniste. Pour affirmer qu'on n'est pas négationniste, il faut pouvoir vivre en accord avec l'urgence du moment. Nous devons agir au quotidien pour stopper le réchauffement climatique qui nous a déjà propulsé dans l'ère des événements extrêmes.

Lors de la présentation du nouveau Programme d'accélération de la croissance (PAC), le 11 août, le ministre de l'Économie Fernando Haddad est apparu comme le protagoniste d'un projet complémentaire : le « Plan de transformation écologique ». « Il s'agit de créer un nouveau comportement et une nouvelle attitude envers l'environnement. Un nouveau type d'interaction avec la nature et la vie sur toute la planète », a-t-il déclaré. Espérons que Haddad comprenne que nous ne pouvons pas attendre un jour de plus, à moins que la décision ne soit d'opter pour la catastrophe. Le temps d'un discours correct qui ne se transforme pas en action est déjà écoulé.

MOUVEMENT DU VENT À TRAVERS LES NUAGES ENTRE LES MONTAGNES DE LA SIERRA NEVADA DE SANTA MARTA (COLOMBIE). PHOTO: DROMANOS

Dans cette newsletter, nous avons le plaisir d'inaugurer notre collaboration avec la plateforme mexicaine de journalisme indépendant Dromómanos , dans son projet Colapso. Pendant plus de trois mois, quelques-uns des meilleurs journalistes-écrivains d'Amérique latine nous parleront des effets du changement climatique. Dans cette première, les Colombiens Santiago Wills et Sebastián Di Domenico suivent une goutte d'eau formée dans l'océan Atlantique pour montrer comment le vent façonne la vie que nous connaissons, ce même vent qui se transforme à mesure que la planète se réchauffe . Rarement le vent a été décrit dans une prose aussi talentueuse. C'est beau, mais c'est aussi un vrai film d'horreur qu'on a déjà commencé à vivre.

SUMAÚMA n'est pas négationniste. Nous connaissons les faits en profondeur et nous agissons en journalisme pour offrir la meilleure information, afin que notre communauté de lecteurs puisse agir. Merci d'aider nos lettres à parvenir à leur destinataire.

Eliane Brum
Planteuse et directrice de SUMAÚMA

traduction caro d'un article paru sur Sumauma le 17/08/2023