La Colombie doit lutter contre sa dépendance à l'or et à l'essence

Publié le 9 Août 2018

L'écrivain Héctor Abad Faciolince* appelle à une résistance écologique à l'idée de dévaster la terre.

Il y a un curieux et tourmenté devoir des auteurs de fiction d'imaginer des mondes. Ces mondes surgissent lorsque certaines circonstances changent de ce que nous appelons, non sans trop de doutes, la réalité. Ce qui change dans ces circonstances n'est généralement pas arbitraire : imaginez ce qui est possible. Mais parfois, il est même possible de postuler ce que nous pensons impossible ou ce que nous préférerions qu'il n'arrive jamais : on rêve d'utopies ou fait des cauchemars sur les dystopies. Les utopies offrent l'avantage psychologique d'encourager le changement ; les dystopies encouragent la prudence en soulignant les risques qui accompagnent ce que l'on croit être un progrès.

Pour imaginer ces mondes possibles, l'écrivain ne se contente pas de penser et de laisser vagabonder la fantaisie, mais il observe, lit et se souvient. Peut-être que d'autres mondes passés, réels ou imaginaires, offrent des indices sur ce qui est désiré ou craint. Après avoir observé, lu, réfléchi et mémorisé ce qui s'est passé ici ou ailleurs, j'ai l'impression que le meilleur (ou pire) avenir que l'on propose pour ce territoire que nous appelons la Colombie est surtout exposé aux cataclysmes que les experts prédisent en raison des effets du changement climatique sur la planète.

Il est bien connu que l'une des rares bonnes choses que le long conflit en Colombie nous a laissé est que notre "maison en coin" en Amérique du Sud est l'une des zones les plus vertes et les moins dégradées du point de vue écologique de la région. Malgré la déforestation causée par les cultures illégales, l'exploitation minière sauvage (légale et illégale) et l'abattage des forêts dans des endroits impropres à l'agriculture, si on compare la Colombie avec ses voisins (Pérou, Venezuela, Brésil, Bolivie ou Équateur), on constate que l'Amazonie est moins envahie, les forêts tropicales moins déboisées, les rivières et les landes encore riches en eau et en diversité sont celles de notre pays. La raison en est simple : les exploiteurs de ces ressources n'ont pas pu les piller librement par peur. C'est un paradoxe triste mais réel. La peur des guérilleros, des narcotrafiquants ou des paramilitaires, l'absence quasi totale de l'État et l'absence d'investissements nationaux ou internationaux ont conduit une grande partie de la campagne colombienne à tomber dans l'abandon le plus complet (...).

Mais il suffisait que la Colombie ne soit plus un pays aussi dangereux et violent pour les yeux avides du monde entier, et des Colombiens eux-mêmes, de voir dans cette nouvelle frontière inexplorée un millier d'opportunités pour leur avidité, pour l'exploitation des ressources, pour l'investissement.

Comme toujours dans l'histoire de l'humanité, la première chose qui arrive, ce sont les abatteurs, les scieurs. La côte du Pacifique, au large des selvas du Chocó, n'est plus utilisée par les bateaux de pêche chinois, mais par les trafiquants canadiens de bois précieux. Et à travers les rivières, les troncs centenaires, grands comme des baleines, descendent vers la mer pour remplir les palettes qui les transporteront jusqu'aux premiers ébénistes du monde. Bois durs, noirs, rouges, blancs  violets, feront le bonheur des collectionneurs d'objets et de meubles rares (....).

Pendant que cela se passe en silence et en contrebande, les bureaux des avocats commencent à travailler. Lorsque le gouvernement d'Álvaro Uribe a acculé les guérilleros dans les zones les plus reculées de la selva, il a déclaré que le pays était déjà un territoire exempt de violence et que le moment était venu d'exploiter les richesses incalculables de l'El Dorado. La vente de titres miniers express a été ouverte et de voraces sociétés sud-africaines, chinoises, canadiennes, nord-américaines et européennes ont acheté des permis d'exploration pour des milliers et des milliers de kilomètres carrés de sous-sol au prix de l'œuf. Certains d'entre eux ont acheté presque au hasard, mettant leur index sur la carte, les yeux fermés, des millions d'hectares (...) La nation est propriétaire du sous-sol et peut vendre ces licences. Et ces licences sont comme des titres au porteur, elles peuvent être revendues au plus offrant du marché (....)

Et le meilleur était le meilleur, ce qui est toujours le pire : dans certaines régions où les propriétaires terriens et les paysans déplacés par des décennies de violence avaient pu revenir, et quand ils pensaient pouvoir à nouveau se consacrer à la contemplation du paysage et aux petites exploitations d'élevage ou agricoles, la grande nouvelle s'est répandue dans certains villages : AngloGold Ashanti (ou toute autre société transnationale) avait trouvé de l'or, de l'or, de l'or, ou de l'argent, de l' argent, de l' argent, du nickel,  du nickel, du nickel, du cuivre, du cuivre, du cuivre, dans le territoire. Ou quelque chose comme ça. Ils seraient riches, enfin riches. La fin du conflit a donc entraîné une détérioration immédiate des conditions environnementales dans les régions les plus reculées du pays. Des lits de rivière que personne n'osait exploiter par peur de la violence sont envahis par les mineurs artisanaux. Les selvas et les forêts où personne n'osait aller sont dévastées par les scieurs à la recherche de bois précieux. Les agriculteurs et les paysans qui avaient abandonné la terre à leur sort, la remplissent d'élevage extensif ou de monocultures aux effets très douteux sur l'environnement. Et cette détérioration locale coïncide avec la catastrophe écologique mondiale, à laquelle contribuent également nos grandes villes ultra-polluées, notre consommation locale d'énergies non renouvelables polluantes et leur exportation massive (charbon et pétrole).

Qu'adviendra-t-il du changement climatique dans les hautes cordillères tropicales qui caractérisent notre partie la plus peuplée de la géographie ? quel sera l'effet sur les côtes de l'élévation du niveau de la mer ? Qu'arrivera-t-il à l'écosystème forestier fragile avec l'exacerbation de ce qui a toujours existé, c'est-à-dire avec des pluies encore plus torrentielles et des sécheresses beaucoup plus graves et durables ? Nous ne le savons pas bien, rien ne peut être dit avec certitude, mais les nuages à l'horizon n'annoncent rien de facile, rien de bon. Je ne crois pas que les catastrophes ou les merveilles de l'avenir auront leur origine dans la politique. Mais la politique devra faire face aux crises environnementales. Il est donc nécessaire et urgent de consacrer les plus grands efforts du pays (privé et public) pour atténuer les effets de la dégradation de l'environnement mondial et prévenir les tragédies.

Écrivain, traducteur, journaliste et chroniqueur, né à Medellín en 1958. Il a publié 14 livres et a obtenu, entre autres, le Prix national de journalisme Simón Bolívar à deux reprises, la Casa de América de Narrativa Innovadora et le Wola-Duke. Ce texte a été publié à l'origine dans le livre'Comment améliorer la Colombie ?

traduction carolita d'un article paru sur le site movimiento 4M le 6 aôut 2018

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Colombie, #pilleurs et pollueurs

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