EZLN : Première partie : Les raisons du loup

Publié le 24 Octobre 2023

 

L'homme qui a le cœur d'un lys,
une âme de chérubin, une langue céleste,
le petit et doux François d'Assise,
se trouve avec un animal grossier et torve,
une bête effrayante, de sang et de vol,
les mâchoires de la fureur, les yeux du mal :
le loup de Gubbio, le loup terrible,
enragé, a ravagé les environs ;
cruel, il a défait tous les troupeaux ;
Il a dévoré les agneaux, il a dévoré les bergers,
et innombrables sont ses morts et ses dégâts.

De solides chasseurs armés de fers
ont été mis en pièces. Les crocs durs
ont pris les chiens les plus féroces,
ainsi que des chevreaux et des agneaux.

François est sorti :
il cherchait le loup
dans sa tanière.
Près de la grotte, il trouva l'énorme bête
qui, en le voyant, se jeta férocement 
sur lui. François, de sa voix douce
en levant la main,
dit au loup furieux : Paix, frère 
Loup !
- L'animal
regarda l'homme en robe de bure ;
Il abandonna son air bourru,
ferma ses mâchoires ouvertes et agressives,
et dit : D'accord, frère François ! -
Comment ! s'exclama le saint, quelle loi t'oblige à vivre
d'horreur et de mort ?
Le sang qui coule 
de ton museau diabolique, les deuils et les horreurs
que tu répands, les pleurs
des paysans, le cri, la douleur
de tant de créatures de Notre Seigneur
ne doivent-ils pas réfréner ta fureur infernale ?
Viens-tu de l'enfer ?
Qui t'as insufflé son éternelle rancœur ?
Luzbel ou Bélial ?

Et le grand loup, humble :  L'hiver est rude !
Et la faim est horrible ! Dans la forêt gelée
je n'ai rien trouvé à manger, et j'ai cherché le bétail,
et parfois j'ai mangé le bétail et le berger.
Le sang ? J'ai vu plus d'un chasseur
sur son cheval, menant l'autour des palombes
au poing ; ou courir après le sanglier,
l'ours ou le cerf ; et j'en ai vu plus d'un
tachés de sang, blesser, torturer,
des cornes rauques aux clameurs étouffées,
les animaux de Notre Seigneur.
Et ce n'est pas par faim qu'ils chassaient.

François répond :  Dans l'homme, il y a du mauvais levain.
Quand il naît, il vient avec le péché. C'est triste.
Mais l'âme simple de la bête est pure.
Tu auras
à partir de ce jour de quoi manger.
Tu laisseras tranquilles
les troupeaux et les hommes dans ce pays.
Que Dieu bonifie ta sauvagerie ! 
-Très bien, frère François d'Assise.

Devant le Seigneur, qui lie et délie toutes choses,
dans la foi de la promesse, donne-moi la patte.

Le loup tendit sa patte au frère 
d'Assise qui, à son tour, lui tendit la main.
Ils se rendirent au village. Les gens virent
et ce qu'ils voyaient, ils ne le croyaient guère.
Le loup féroce suivait le religieux,
et, tête baissée, il le suivait tranquillement.
comme un chien domestique, ou comme un agneau.

François appela les gens sur la place
et il y prêcha.
Il dit : Voici une chasse bienveillante.
Frère loup vient avec moi ;
il m'a juré de ne plus être votre ennemi,
et de ne pas répéter son attaque sanglante.
Vous en contrepartie, vous donnerez de la nourriture.
 à la pauvre bête de Dieu.
à la pauvre bête de Dieu. Ainsi soit-il !

répondit tout le village.
Et alors, en signe de
de contentement,
la tête et la queue du bon animal s'agitèrent,
et il accompagna François d'Assise au couvent.

*

Pendant un certain temps, le loup est resté calme
dans le saint asile.
Ses oreilles grossières écoutaient les psaumes
et ses yeux clairs s'humectaient.
Il apprenait mille grâces et jouait à mille jeux
Quand il allait à la cuisine avec les laïcs.
Et quand François faisait sa prière,
le loup léchait ses pauvres sandales.
Il sortait dans la rue,
il traversait les collines, il descendait dans la vallée,
il entrait dans les maisons et on lui donnait 
à manger. Ils le regardaient comme un lévrier apprivoisé.
Un jour, François s'est absenté. Et le loup
le gentil loup, le loup doux et bon, le loup probe,
disparut, retourna dans la montagne,
et recommença ses hurlements et sa fureur.
Une fois de plus, la peur et l'inquiétude se firent sentir,
parmi les voisins et les bergers ;
La peur envahit les environs,
et le courage et les armes ne servirent à rien,
car la bête féroce
ne cessait sa fureur,
comme si elle avait
le feu de Moloch et de Satan.

Lorsque le divin saint revint au village, 
tous le cherchaient se plaignant et pleurant,
et avec mille querelles, ils témoignèrent
de ce qu'ils avaient souffert et perdu
par cet infâme loup démoniaque.

François d'Assise devint sévère.
Il alla sur la montagne
pour chercher le traître loup carnassier.
Et dans sa grotte, il trouva la vermine.

Au nom du Père de l'univers sacré,
je t'exhorte,
dit-il, ô loup pervers !
Réponds-moi : Pourquoi es-tu retourné au mal ?
Réponds-moi. Je t'écoute.

Comme dans une lutte sourde, l'animal parla,
la bouche écumante et l'œil fatal :
Frère François, ne t'approche pas trop....
J'étais tranquille au couvent ;
Je sortais au village,
et si on me donnait quelque chose, j'étais content
et je mangeais docilement.
Mais j'ai commencé à voir que dans toutes les maisons
il y avait de l'Envie, de la Colère et du Courroux,
et sur chaque visage brûlaient les braises 
de la haine, de la luxure, de l'infâmie et du mensonge.
Frères et frères se faisaient la guerre, 
les faibles perdaient, les méchants gagnaient,
les femmes et les hommes étaient comme chiens et chiennes,
et un beau jour, ils m'ont tous battu.

Ils m'ont vu humble, je léchais les mains
et les pieds. Je suivais tes saintes lois,
toutes les créatures étaient mes frères :
les frères hommes, les frères boeufs,
les sœurs étoiles et les frères vers.
C'est ainsi qu'ils m'ont battu et jeté dehors.
Et leur rire était comme de l'eau bouillante,
et parmi mes entrailles revécu la bête sauvage 
et je me suis senti comme un méchant loup de nouveau ;
mais pourtant meilleur que ces méchantes gens.
Et j'ai recommencé à me battre ici,
pour me défendre et me nourrir.
Comme l'ours, comme le sanglier,
qui doivent tuer pour vivre.
Laisse-moi dans la montagne, laisse-moi sur la crête,
laisse-moi exister dans ma liberté,
va dans ton couvent, Frère François,
suis ton chemin et ta sainteté.

 

Rubén Dario décembre 2013

traduction carolita

 

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