Brésil : 50 ans de bannissement et d'injustice pour le peuple Ãwa

Publié le 17 Mai 2023

PAR PATRÍCIA DE MENDONÇA RODRIGUES

Identification officielle de la terre indigène de Taego Ãwa. Photo : Patrícia de Mendonça Rodrigues

1er mai 2023

Le harcèlement colonial contre les survivants du peuple Avá-Canoeiro, mieux connu sous le nom d'Ãwa, se poursuit. Une nouvelle décision de justice a réduit leur territoire et les a contraints à vivre dans des zones inondées et sans accès au rio Javaés. Le conflit est encore compliqué par l'existence d'une colonie de familles paysannes créée dans les années 1990 par l'Institut national de la colonisation et de la réforme agraire.


Il y a exactement cinquante ans, en 1973, pendant la dictature militaire, la Fondation nationale de l'Indien (Funai) a forcé le contact avec 11 survivants du peuple Avá-Canoeiro du rio Araguaia, ce qui a entraîné le déplacement de la communauté et profité à des groupes économiques qui se sont appropriés leur territoire. Trois ans plus tard, il n'en restait plus que cinq, et aujourd'hui le groupe compte plus de 30 personnes, suite à des mariages interethniques. Depuis lors, ce peuple de langue tupi, qui s'appelle Ãwa, attend en terre étrangère de retourner sur son propre territoire et de retrouver ses proches. Cette expulsion violente et atroce est l'aboutissement de siècles de génocide et de persécution d'un peuple qui ne s'est jamais rendu au colonisateur et qui en subit encore aujourd'hui les conséquences désastreuses.

Face à l'injustice de l'État, le peuple Ãwa a remporté quelques victoires importantes contre l'État brésilien sous la forme de mesures de réparation : la reconnaissance officielle de la terre indigène Taego Ãwa en 2016 par le ministère de la Justice (bien qu'elle ait encore été envahie) ; et trois actions civiles intentées en son nom par le ministère public fédéral demandant la réparation des dommages moraux et matériels, la démarcation des terres indigènes et la protection des membres de la famille "en isolement". En mars de cette année, la Cour fédérale régionale de la 1ère région s'est prononcée à l'unanimité en faveur de la demande d'indemnisation, avec une réduction partielle des valeurs. Cependant, une décision judiciaire inquiétante, prise en novembre 2022, a ravivé l'ancienne et perpétuelle oppression colonisatrice.

Kaukamã, la dernière survivante du contact dans la terre indigène de Taego Ãwa. Photo : Patrícia de Mendonça Rodrigues

 

Une décision judiciaire contre le peuple Ãwa

 

Dans le cadre du processus judiciaire de démarcation de la terre indigène Taego Ãwa (TITA), le juge fédéral de Gurupi a décidé de réduire d'environ 30 % leur territoire, au profit de tiers ayant accès au rio Javaés, principale rivière de la région pour la pêche, le transport et les activités quotidiennes. Les Avá-Canoeiro se retrouveraient ainsi dans une zone presque entièrement inondable, dont le seul endroit sec est dépourvu d'accès à l'eau potable. Bien que les Avá-Canoeiro se soient admirablement adaptés à ce territoire inhospitalier, cette décision de justice les confine dans un territoire presque inhabitable.

La décision a suscité une profonde perplexité car, dans sa longue plaidoirie, le juge a pleinement reconnu les droits indigènes et a accepté sans objection les arguments du rapport anthropologique officiel de la Funai en 2012, qui a conduit à la déclaration de propriété indigène par le ministère de la Justice. L'expertise judiciaire réalisée en 2021 a confirmé à la fois les arguments anthropologiques et le rapport de la Commission nationale de la vérité de 2014 mettant en lumière l'affaire Avá-Canoeiro.

Ces documents officiels relatent en détail une série d'erreurs et d'actes de violence commis par l'État brésilien entre 1973 et 1976. Tout d'abord, l'attaque et la capture intempestives des survivants du génocide indigène à l'hacienda Canuanã après une fusillade qui a tué une jeune fille nommée Typyire, un événement omis dans les bulletins officiels de la Funai. Deuxièmement, l'utilisation d'Indiens Xavante comme "chasseurs d'Indiens" (un ancien rôle colonial), dans le but de localiser le refuge des Avá-Canoeiro. Ensuite, l'exposition publique (et extrêmement embarrassante) des personnes capturées dans une pièce de la luxueuse propriété devant des dizaines de spectateurs.

Des négligences ont également été constatées en raison de la faible immunité des personnes nouvellement contactées. Le virus de la pneumonie a causé la mort d'au moins un homme nommé Tutxi, dont le corps a été transporté à Goiânia et n'a jamais été rendu à ses proches. D'autre part, la Garde rurale indigène de l'Ilha do Bananal a été utilisée pour générer des relations de domination entre différents peuples (amenant les Javaé à jouer le rôle de "dompteurs" des Avá-Canoeiro) et il y a eu des abus physiques et émotionnels qui font partie de la mémoire traumatique du groupe. Les survivants de Avá-Canoeiro ont également été déplacés dans un village Javaé, où ils ont été marginalisés et ont eu l'impression de vivre en exil.

Le juge a conclu son raisonnement en affirmant que le conflit nécessitait un "effort d'argumentation supplémentaire" pour modifier la zone afin de la "laisser en dessous de celle précédemment délimitée par la Funai". La justification de ce découpage était de bénéficier à la majorité des lots du projet d'établissement de Caracol qui devraient être exclus de la terre indigène de Taego Ãwa. Le magistrat a fait valoir qu'il cherchait à atténuer l'impact social du déplacement de plus de 100 familles paysannes, en plus de l'impact économique sur la région de Formoso.

Tierras Indígenas no Médio Araguaia (2013). Carte : Patrícia de M. Rodrigues et Dan Pasca

 

Les conséquences d'une politique foncière erronée

 

Profitant de la négligence de la Funai, l'Institut national de colonisation et de réforme agraire (Incra) a établi une colonie de familles paysannes dans les années 1990, précisément dans la zone où les 11 survivants avaient été attaqués. Les familles venaient du parc indigène Araguaia (un territoire situé sur l'île de Bananal et bordant la zone traditionnelle des Avá-Canoeiro) et ont été déplacées sur décision de justice.

En fait, les paysans ont été transférés d'une terre indigène régularisée à une autre qui ne l'était pas encore. Avec des ressources fédérales, l'Incra avait acquis ces zones appropriées par le domaine de Canuanã et les avait ensuite revendues à l'État brésilien lui-même. Ce transfert irrégulier est à l'origine du conflit territorial actuel entre les peuples indigènes et les occupants, qui sont également victimes de politiques foncières erronées, d'omissions et de négligences historiques de la part de l'État.

Dans son jugement, le juge indique que seules 30 familles paysannes (sur les 103 qui vivent actuellement sur les terres indigènes de Taego Ãwa) sont présentes sur le territoire depuis le début de la colonisation. Les parcelles des autres familles sont des terres de l'État fédéral et ont été transférées illégalement au fil des ans. En outre, les terres se trouvent dans une zone sablonneuse et inondée la majeure partie de l'année, ce qui ne convient pas au type d'activité agricole pratiquée par ces familles. En outre, les agriculteurs doivent louer des pâturages à l'extérieur du village pendant la saison des inondations, car il n'y a pas d'endroits secs pour le bétail.

Malgré toutes les preuves historiques recueillies, l'occupation indigène traditionnelle, reconnue par l'État brésilien, a été écartée au profit de cette occupation plus proche dans le temps et erronée. De plus, selon les récents arguments juridiques du ministère public fédéral, dans le cadre de l'appel contre la décision du tribunal, il n'appartient pas à un juge de première instance de définir les limites d'une terre indigène (il s'agit d'une attribution technique de l'organisme indigène). Encore moins dans une affaire qui ne fait que demander la poursuite du processus de démarcation à l'État brésilien.

Le chef historique Tutawa, dans le village de Boto Velho, et le membre de la communauté Agàek dans la terre indigène Taego Ãwa. Photo : Patrícia de Mendonça Rodrigues

 

La continuité de l'oppression

 

En mars 2022, toujours sous le gouvernement de Jair Bolsonaro, une audience de conciliation a été organisée entre les parties intéressées. L'Incra et les occupants privés de deux fermes ont présenté des propositions qui portaient atteinte aux droits des indigènes. L'objectif était de négocier les limites de la terre indigène Taego Ãwa, sans l'opposition du bureau du procureur fédéral spécialisé de la Funai, qui était également représenté à l'audience.

De la part des propriétaires terriens, seul un soutien financier a été proposé pour l'installation d'un futur village sur ce qui restait de la terre indigène, à condition que les fermes en soient exclues. Pour sa part, l'Incra a présenté une proposition visant à exclure toutes les parcelles de colonisation de la terre indigène, en ne conservant que les zones de réserve légales, qui sont totalement inondables et sans accès à la rivière Javaés. Les deux propositions ne laissaient au peuple Avá-Canoeiro que 7 101 hectares sur les 29 000 hectares déclarés par le ministère de la justice. En d'autres termes, il ne leur resterait que 25 % du territoire d'origine où il n'est pas possible de vivre ou d'enterrer ses morts.

Le peuple Avá-Canoeiro n'a accepté aucune négociation. La proposition présentée était si préjudiciable et désavantageuse qu'elle rappelait l'époque où ils étaient connus comme les peuples du Brésil central qui résistaient le plus au colonisateur et étaient donc chassés comme des animaux sauvages. La proposition de l'Incra et des propriétaires terriens traite les ãwa comme si le harcèlement colonial et génocidaire était toujours d'actualité : un espace physique où les humains ne peuvent pas habiter signifie leur donner la place la plus basse dans une hiérarchie symbolique perverse. Il s'agit d'un nouvel acte de racisme. Les populations indigènes, célèbres dans l'histoire pour avoir préféré la mort à l'asservissement, ont été complètement déshumanisées.

La décision du tribunal a partiellement atténué la rage colonisatrice en excluant "seulement" environ 30 % de la terre indigène, préservant ainsi certains endroits secs et importants. D'autre part, elle a retiré l'accès au fleuve à un peuple qui, dans la littérature, était connu sous le nom de canoeiro pour se déplacer en canoë. Dans les conditions proposées, la réduction des terres indigènes représente la poursuite d'un long processus d'oppression et d'exil vécu par les Avá-Canoeiro depuis le début de la colonisation.

Cet article résume la note technique incluse dans le rapport "Por decisão de juiz, povo Avá-Canoeiro perde 30 % do território tradicional", rédigé avec la biologiste Luciana Ferraz.


Patrícia de Mendonça Rodrigues est anthropologue et coordinatrice du projet d'études ethno-territoriales (FINATEC). 

traduction caro du site Debates indigenas du 1er mai 2023

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