Ils ne peuvent pas se taire : liberté pour Alejandro Díaz Santis

Publié le 23 Avril 2016

Les injustices, les assassinats, les disparitions, les incarcérations
injustes et les menaces faites par les gouvernants, c’est ce que souffrent
et ce que nous souffrons chaque personne dans différents pays et
différents États du Mexique. Ensemble, nous pouvons gagner les justices
véritables.

Alejandro Díaz Santis

Au sein du système pénal mexicain, les signes d’une société inégalitaire
sont toujours plus profonds. Tandis que des jeunes grotesques et fortunés
peuvent procéder à des viols comme bon leur semble, il est évident que
ceux qui se retrouvent en prison sans même avoir été jugés sont ceux qui
ne peuvent pas payer. Sur les 260 000 prisonniers au Mexique, 40 % n’ont
pas reçu de jugement. Ce sont de présumés coupables qui n’ont pas l’argent
pour sortir de prison et qui se retrouvent prisonniers, alimentant le
système carcéral qui vit de la pauvreté et de la marginalisation de ces
personnes.

Toutefois chaque prison, avec ces cellules et ses prisonniers, a ses
porte-voix, ses tons et ses cris distincts, des voix solidaires entre
elles qui forment un orquestre de dignité infatigable, de rage contre
l’injustice, de résistance et de lutte pour ce qui leur appartient à eux,
à vous, à nous et à tous, au peuple : la terre, l’éducation, la santé, la
liberté, l’humanité. Différentes organisations adherentes à la Sixième
déclaration de l’EZLN, cette lutte sans fin vieille de plus de 500 ans,
constituent leur mégaphone, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des
geôles, depuis en bas, jusqu’au ciel.

Le compañero Alejandro est un indigène tsotsil de 35 ans, emprisonné
depuis 1999 et accusé d’un homicide qu’il n’a pas commis. Au moment de son
arrestation, il ne parlait pas espagnol, il a été torturé, il n’a jamais
eu accès à un traducteur et il ne comptait pas sur l’argent suffisant pour
avoir une défense adéquate. C’est-à-dire qu’il a été enfermé pour être
pauvre et indigène, quelque chose de très commun au sein de la logique
raciste du système de justice colonial au Mexique et au Chiapas.

Il s’est politisé en prison et a adhéré à la Sixième Déclaration de la
Forêt Lacandone de l’EZLN. Il s’est organisé avec d’autres prisonniers et
prisonnières au sein d’un collectif appelé “Solidarios del Amate”, dont
les membres – après l’organisation de nombreuses actions auxquelles a
participé Alejandro – ont obtenu leur liberté en juillet 2013. Alejandro
Díaz Santis est l’unique membre de cette organisation encore détenu,
malgré la réalisation d’une grêve de la faim de 39 jours en octubre 2011.

“Moi ce que je vois c’est que le gouvernement ne prend pas en compte les
indigènes et moi je demande la liberté pour mon fils ; et lui aussi il
demande sa liberté, et le gouvernement ne nous prend pas en compte. Au
contraire il l’ont envoyé loin d’ici. Il n’y a pas de justice” commente
Antonio Díaz Velàzquez, père d’Alejandro, durant une discussion à San
Cristobal de Las Casas.

Le 11 mai prochain, son fils sera en prison depuis 17 ans, et s’est
retrouvé transféré le 10 septembre 2015 du CERESO numéro 5 de San
Cristóbal de las Casas à la prison fédérale de Villa Comaltitlán,
Tapachula, Chiapas, ce qui a détérioré sa santé occulaire, en plus de
l’épuisement émotionnel et économique de sa famille. “Moi je le vois un
peu triste là où il se trouve, parce que je suis allé le voir le 21 de ce
mois de mars et il est malade, il n’a pas d’attention médicale, il a un
problème occulaire, il dit que ses yeux se couvrent de tâches de couleur,
qu’il a des inflamations et des douleurs de tête, et il n’y a pas
d’attention médicale, et comme pour aller le voir il faut plein de
documents, et son beau-frère, ses oncles, ses amis, ils veulent venir le
voir et ils ne les laisse pas aller le voir” nous dit don Toño, qui
remarque que toute la population carcérale endure les mêmes mauvais
traitements que son fils, dans ce lieu où l’isolement fait partie du
châtiment.

“Avant son transfert, nous allions lui rendre visite pour maintenir un
lien avec notre lutte et notre exigence ; c’est aussi un isolement total
pour nous comme compañeros, car nous ne pouvons plus parler avec lui. Les
fois où j’ai accompagné le compañero Antonio, c’est pareil, je voulais
entrer et parler avec Alejandro, mais malheureusement ce n’est pas posible
parce que c’est une prison fédérale où seuls le papa, la maman et les
frères et soeurs peuvent lui rendre visite, si et seulement si ils ont
tous les documents qu’ils demandent”, raconte Pedro López Jiménez, membre
des « Solidarios de la Voz del Amate », organisation de prisonniers ayant
surgi dans le CERESO No.14 à Cintalapa, Chiapas, et qui se sont déclarés
adhérents à la Sixième déclaration le 5 janvier 2006, obtenant au final la
libération de 138 prisonnier.e.s durant un processus de lutte incluant
grêves de la faim, manifestations, mobilisations sociales et pression
publique.

En général quand on parle de prisonnier politique on parle de quelqu’un
qui a été enfermé pour avoir lutté, mais il faut rappeler que les
"Solidarios de la Voz del Amate" sont des prisonniers qui ont été enfermés
à cause de la discrimination par le système judiciaire colonial qu’on vit
au Chiapas et au Mexique, oú la pauvreté et le fait d’être indigène est
criminalisé ; ils sont tombés pour des délits qui ont lieu du fait des
situations de pauvreté et de criminalisation favorisées par le propre
système. Très souvent, ce sont des hommes et des femmes indigènes qui ne
parlent pas espagnol, et surtout qui ne connaissent pas les termes
juridiques dont on les accuse, ils n’ont pas de connaissances de leurs
droits en tant que citoyens face à la loi et qui sont tombés dans des
rafles ou dans des situations de vengeance familiale, de clan ou de
caciques qui mettent en prison ceux qui dérangent ou certains indigènes
dont ils savent qu’ils ne sauront pas se défendre”, nous font savoir des
membres du Groupe de Travail No estamos todxs (GT).

Que fait la justice ? Sommairement, le système de justice au Chiapas et
dans tout le Mexique recquiert de l’argent, et pour sortir libre, plus on
a de l’argent, moins importe le délit ; c’est la raison pour laquelle il
est bien difficile de trouver des personnes riches en prison, car elles
sont avant tout destinées à ceux qui n’ont pas réussi à payer le
pot-de-vin au policier, le pot-de-vin à l’officier du ministère public, le
pot-de-vin au juge, et la part revenant à l’avocat. Toute cette machinerie
sert à extraire de l’argent, surtout aux gens pauvres.

Suivant le collectif anticarcéral, un prisonnier en lutte est un
prisonnier qui passe par un processus de politisation au sein de la prison
et qui, depuis le sein de l’appareil oppresseur, commence une lutte pour
la liberté. “C’est un châtiment ; Alejanro est soit-disant transféré parce
qu’il est longue peine, mais ce n’est plus vrai, parce qu’il a déjà
accompli la moitié de sa peine : 17 ans ; et peut-être, comme le disent
les autorités, que c’est une personne dangereuse et il l’est peut-être
pour le gouvernement, pour le système. Le gouverneur actuel n’a soi-disant
rien à voir avec ce transfert, mais nous savons bien que c’est des
mensonges, c’est même posible que ce soit lui-même qui est demandé le
transfert comme cela s’était passé avec le compañero Patishtan en 2011,
lorsque nous étions en grève de la faim, et où le secrétaire lui-même
avait sollicité qu’ils le transfèrent à Guasave, Sinaloa. Et moi je crois
que c’est le cas du compañero Alejandro, que la même chose s’est passé”,
ajoute Pedro au sujet de la situation actuelle d’Alejandro.

“Ils l’ont emmené dans une prison fédérale avec l’intention de le priver
de ses droits et de sa parole, parce qu’Alejandro, quand il était ici dans
le CERESO 5, il faisait ses communiqués et tout ce qui se passait à
l’intérieur, il le rendait public ; lorsqu’un communiqué est lu, beaucoup
de compañeros reprennent le message afin de soutenir l’exigence du
prisonnier, mais en étant transféré là-bas les choses changent beaucoup,
parce qu’il ne peut pas écrire, il ne peut pas parler avec ses compañeros
; ils ont une heure de promenade tous les 8 jours. Si ils sont dans la
cour et qu’ils font des exercices, ils doivent le faire la tête inclinée
parce qu’ils n’ont pas le droit de se parler, encore moins de se regarder,
c’est très dur, c’est une punition de leur part ; peut-être comme on le
dit pour notre part, que le gouvernement veut le tuer vivant, parce que
sachant qu’Alejandro est innocent, que c’est un combattant, qu’il est sur
le point de sortir bien que les autorités trouvent toujours la manière de
faire retarder tout cela, parce que pareil, au niveau juridique, au sujet
du recours d’Alejandro, la dernière fois en 2013, il n’avait pas été
accepté”, explique Pedro au sujet des punitions et des obstacles mis en
place par l’État à ses différents échelons pour prolonger la détention
injuste d’Alejandro.

Alejandro devrait pouvoir bénéficier des remises de peine, car au-delà des
difficultés à démontrer son innocence, il a déjà fait la moitié de sa
peine. La vie carcérale permets d’accumuler certains “bénéfices” pour
bonne conduite, qui font qu’Alejandro devrait pouvoir sortir. Légalement
il a déjà rempli les conditions nécessaires, mais l’administration
pénitenciaire argumente le contraire. Face à elle un jugement de recours a
été déposé contre la décision du tribunal, la résolution devant être
rendue publique entre la mi et la fin avril. Si la résolution est
favorable, Alejandro devrait sortir, parce qu’il bénéficierait
automatiquement de ces “bénéfices”.

Ce 17 avril 2016, une journée de mobilisation aura lieu pour remémorer les
prisonniers politiques du monde entier – initiative née en Palestine, et
qui a été reprise au Kurdistan et dans le pays Basque. Depuis des années
le Groupe de Travail No Estamos Todxs se joint à ces initiatives qui ont
lieu dans le monde entier afin de remémorer les prsionniers politiques au
Chiapas et au Mexique. Ce jour-là précisément, le GT convoque à une
mobilisation avec la famille d’Alejandro, les « Solidarios de la Voz del
Amate » et les adhérents à la Sixième déclaration, afin de se rappeler des
cas des prisonniers politiques en lutte au Chiapas et dans le monde,
évènement qui coïncide avec la résolution prochaine du recours.

Les expériences telles que celle des « Solidarios de la Voz del Amate » et
comme celle de la lutte d’Alejandro illustrent la nécessité de la
construction d’une autre justice, comme celles qui partagent les
perspectives communautaires de réparation du dommage engendré et d’une
véritable réintégration sociale, en laquelle croient les communautés
mayas.

“Ce n’est pas comme si les communautés n’avaient pas le sens de la justice
ou de comment l’appliquer, c’est juste qu’elle ne coïncide pas avec celle
de l’Etat et que celui-ci applique de manière coloniale, comme un
envahisseur, sur la vie des gens des peuples indiens. En plus de cela, il
y a une torture réelle. Ils ont des techniques, appliquées dans des
planques situés dans ces territoires, qui ne sont pas des garnisons mais
des maisons louées par la police, oú les détenus sont enfermés jusqu’à ce
qu’il en sortent avec une déclaration d’auto-inculpation. La majorité des
prisonniers s’auto-condamnent pour ne pas être torturé plus longtemps”.

La grande majorité des prisonniers indigènes, qui constituent 80 % des
prisons du Chiapas, souffrent et se déclarent coupables, en signant des
feuilles blanches et des déclarations de culpabilité obtenues sous la
torture. “Sans compter que parfois il y a des témoins à charge que le
ministère publique ou le cacique utilisent contre certaines personnes
qu’elles considèrent comme ennemies ou qui leur convienne de désigner
ainsi, cae elles sont leurs rivaux amoureux, etc. Les témoins à charge
reçoivent de l’argent ; un agent du ministère public peut recevoir jusqu`à
40 mille pesos pour confirmer une accusation ; un témoin à charge jusqu’à
25 mille pesos pour témoigner, c’est toute un marche de merde qui joue sur
la vie des gens. Oú est la justice ? Ils ne cherchent pas la justice, ils
cherchent des coupables qui permettent de lubrifier un système qui vit des
pots-de-vin et de l’argent et s’enfile des vies humaines dans les prisons
et de l’argent dans les poches des fonctionnaires, depuis les policiers
jusqu’au crime organisé ; tous vivent de cette corruption, mais pour
qu’elle existe et alimente tout le grand système, il faut des coupables,
et ceux-là sont ceux qui ne parlent pas espagnol, qui sont pauvres, qui
n’ont pas d’amitiés… parce que quelqu’un peut être indigène, mais si il
connaît tel cacique ou tel fonctionnaire, peut-être qu’il arrivera à s’en
sortir”.

Alejandro, bien que restant seul, ne se décourage pas ; conscient du fait
que sa liberté ne peut être obtenue qu’à travers l’organisation, tant des
prisonniers que de ceux qui sont dehors, il a perséveré dans cette tâche.
C’est pour cela qu’Alejandro dénonçait la corruption des fonctionnaires,
le manque de médicaments, le contrôle sur les visites, qui est une autre
forme de faire chanter les prisonniers ; il a tout dénoncé. Alejandro, qui
ne parlait que tzotzil et qui avait du mal à s’exprimer en public, a
appris à parler et à écrire en espagnol pour se plaindre et dénoncer les
autorités. C’est réellement pour cela qu’ils le punissent, par son
transfert à un CERESO. C’est une technique qui a été utilisée contre
Alberto Patishtan ; contre Àlvaro Sébastián Ramírez à Oaxaca, et contre
Alejandro, qui ont été “punis” pour leur labeur d’organisation et de
dénonciation.

Nous lançons un appel aux organisations adherentes, mais aussi aux
organisations solidaires, à celles et ceux de coeur simple, qui
comprennent cette injustice, à se joindre à cette exigence de justice pour
Alejandro Díaz Santis.

Aldo Santiago, 10 avril 2016, article publié par SubVersiones

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique, #prisonniers politiques

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