Minéraux ( Chant général) de Pablo Neruda
Publié le 12 Juillet 2012
Pablo Neruda né un 12 juillet....
J'ouvre ses fragments de Neruda aujourd'hui pour le souhaiter....pour vous montrer comme sa vision de la terre et du capitalisme était déjà bien avancée. Tous les maux qu'il a décrit sont centuplés de nos jours avec toujours la même raison : dépouiller la terre mère de ses richesses naturelles.
Les pierres précieuses ou non comme ici dans ce poème, puis bien d'autres choses encore puisque la nature est inépuisable dans ses trésors.
Ce sont les hommes les plus fragiles, les plus simples et les plus pauvres qui paient ce pillage, ceux qui pourtant ont si bien su depuis des siècles profiter des richesses sans pour autant détruire et ruiner .
C'est comme ça......les minéraux en images sont à l'état brut dans la mesure du possible ( sauf dans le cas où ils sont travaillés artisanalement par les indigènes). Je n'achète pas de bijoux, par manque de moyens et par principe.
Merci de votre intérêt
caroleone
Minéraux
Ô mère des métaux, on t’a brûlée,
mordue, martyrisée,
rongée, on t’a pourrie
Plus tard, quand les idoles
ne pouvaient plus te protéger.
lianes grimpant vers les cheveux
de la nuit forestière, acajous pour
le cœur des flèches,
fer entassé dans le grenier fleuri,
serres altières
des aigles conduisant ma terre,
eau inconnue, soleil perfide,
vague à l’écume très cruelle,
requin à l’affût, dents
des cordillères antarctiques,
dieu serpent vêtu de plumes
oppressé par le venin bleu,
fièvre ancestrale inoculée
par des migrations d’ailes et de fourmis,
terres bourbeuses, papillons
à l’aiguillon acide, bois
se rapprochant du minéral,
pourquoi donc le chœur des hostiles n’a-t-il pas
défendu le trésor ?
Ô mère des pierres obscures
qui allaient teindre
tes cils de sang !
La turquoise
de ses étapes, des feux larvaires,
venait de naître pour les bijoux
du soleil prêtre, le cuivre dormait
dans ses strates sulfureuses,
et l’antimoine allait de couche en couche
jusqu’à la profondeur de notre étoile.
La houille brillait, noir scintillement,
comme l’envers absolu de la neige,
glace noire sertie dans la tempête
immobile et secrète de la terre,
quand un bref éclair d’oiseau jaune
enterra les courants du soufre
au pied des froides cordillères.
Le vanadium s’habillait de pluie pour entrer
dans la chambre de l’or,
le tungstène affûtait ses lames
et le bismuth tressait
des chevelures médicinales.
Les lucioles abusées
hantaient encore l’altitude
et leur phosphore ruisselait
dans le sillon des précipices
et sur les crêts ferrugineux.
Là, les vignes du météore,
là, les souterrains du saphir.
le petit soldat des plateaux
dort dans des vêtements d’étain.
Le cuivre élabore ses crimes
dans les ténèbres sans sépulcre
regorgeant de matière verte,
et dans le silence entassé
dorment les momies destructrices.
L’or, dans la douceur chibchéenne,
quittant de sombres oratoires
va lentement vers les guerriers,
il devient rouges étamines,
cœurs laminés,
phosphorescences de la terre,
dents fabuleuses.
Je dors alors dans le sommeil
d’une semence, d’une larve,
et je descends – tu m’accompagnes-
les marches de Quérétaro.
Les pierres de lune indécise,
le bijou pêcheur de l’opale,
m’attendirent. M’attendit
l’arbre mort dans une église
transie par les améthystes.
Comment pouvais-tu Colombie orale,
savoir que tes pierres aux pieds nus
cachaient une tempête
d’or irascible ?
Comment, patrie
de l’émeraude, allais-tu voir
qu’un joyau de mort et de mer,
le flamboiement en son frisson,
se hisseraient jusqu’à la forge
des dynastes envahisseurs ?
Tu étais pure notion de pierre,
rose par le sel éduquée,
larme maligne et enterrée,
sirène aux artères endormies,
belladone, serpent noir.
(Si le palmier disséminait
sa colonne en grands peignes de parade,
le sel, lui, destituait
le somptueux éclat des montagnes,
il changeait en habit de quartz
les gouttes de pluie sur les feuilles
et il transmuait pins et sapins
en allées sombres du charbon.)
Je courus au danger à travers les cyclones,
je descendis à la clarté de l’émeraude
et je grimpai aux pampres des rubis,
mais je me tus à jamais sur la statue
du nitrate allongé dans le désert.
Je vis comment parmi la cendre
du haut plateau osseux
l'étain dressait
ses coraux branches de poison
pour finir par étendre comme une forêt
la brume équinoxiale et recouvrir l’empreinte
de nos monarchies céréales.
Pablo Neruda
Champ V, La lampe sur la terre ( Le chant général)