20 avril 1963, assassinat de Julian Grimau en Espagne de Roger Colombier

Publié le 19 Avril 2013

Le 20 avril 1963, je n'avais pas encore treize ans. J'avais quitté mon quartier populaire de Narbonne pour une HLM à Port-la-Nouvelle, village voisin où mon père était ouvrier dans une usine. Pour me rendre chaque jour au collège d'enseignement général de Narbonne, je prenais une micheline à 6h 30 du matin et revenais chez moi par un train tard dans la soirée. Tant que je n'avais pas déménagé avec mes parents, le collège était pour moi le prolongement naturel de l'école communale Elysée Reclus de Narbonne. J'y retrouvais mes camarades, pour la plupart fils du prolétariat ou d'autres enfants de petits artisans.

 

Or, ces voyages en train me permirent de découvrir la différence entre enfants des couches populaires et leurs homologues des classes aisées. Les premiers, dont ma pomme, prenaient le train pour un collège d'enseignement général, les autres, une infime minorité, pour le vénérable collège Victor Hugo, établissement où l'on rémunérait les professeurs et on payait de sa poche les manuels scolaires. Dire que m'apparut aussitôt la lutte des classes serait mentir et quand j'en parlais dans ma famille, on ne me félicitait d'être le premier de tout le clan familial à avoir dépasser le niveau du certificat d'études.

 

Comme j'arivais aux alentours de 7h du matin en gare de Narbonne, avant la rentrée des classes, je me rendais chez mes grands-parents maternels immigrés espagnols, dans l'immeuble natal que j'avais quitté. Invariablement, je croisais mon grand-père partant à bicyclette. Il allait donner sa force de travail d'ouvrier agricole à un chirurgien narbonnais propriétaire également d'un océan de vignes.

 

Ce matin du 21 avril 1963, mon papé m'attendait sur le pas de la porte. Il avait l'air grave et les yeux rougis, comme s'il passa une très mauvaise nuit. J'avais mis ça sur le compte de la fatigue: à 63 ans, s'échiner par tous les temps dans les vignes creusait la vie d'un travailleur.

 

Mais non, ce fut de Julian Grimau qu'il m'entretint, dans sa langue mêlée de catalan et de français:

"Hier, me dit-il, ils ont assassiné Julian Grimau en Espagne. C'est un crime des fascistes au pouvoir".

Et il me donna une pièce de monnaie avant de monter sur sa bicyclette, puis dit: "Tu achèteras le journal l'Humanité en gare ce soir en repartant chez toi".


Ce que je fis, sans rien entendre à ce Julian Grimau ni à ces fascistes qui gouvernaient l'Espagne de mes grands-parents, comme je n'avais jamais entendu parler de l'Huma.


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Plus tard, mon grand-père me parla de son engagement au sein de la CNT-FAI durant la guerre civile espagnole, de son pays natal garrotté par le dictateur Franco que toutes les démocraties reconnurent à la Libération, de ce pays où il lui était impossible de revenir et qu'il aimait toujours.

Mon grand-père Andal Casas partit à le retraite à 65 ans avec une carte de la CGT en poche.

 

Julien Grimau, secrétaire du Parti communiste clandestin espagnol, sera arrêté par la police politique franquiste le 7 novembre 1962. Torturé, défenestré, il ne parlera pas. Traduit devant un conseil de guerre le 18 avril 1963, il est fusillé deux jours après, malgré une campagne internationale en sa faveur.

 

Hier, dans Madrid, contre l'austérité, des milliers de manifestants sous le drapeau de la République espagnole assassinée par le général Franco après son coup d'état militaire.

 

Aujourd'hui, j'ai toujours l'Espagne républicaine au coeur.

 

 

 

 

Que se vayan todos: qu'ils partent tous!

 

Le blog de Roger Colombier

 


 

Pour Roger et son papé, pour tous ceux qui comme nous ont l'Espagne au coeur, ce petit poème de Pablo Neruda qui chanta si bien son amour pour l'Espagne républicaine - du recueil Résidence sur la terre, Espagne au coeur)

 

 

Malédiction

 

Je jure que de ta bouche de soif surgiront

les pétales du pain, l'épi

consacré répandu. Maudits soients-ils,

maudits, maudits ceux qui avec la hache et le serpent

atteignirent ton sable terrestre, maudits ceux

qui attendirent ce jour pour ouvrir la porte

de la demeure au maure et au bandit :

qu'avez-vous gagné ? Apportez, apportez la lampe,

voyez le sol imprégné, voyez le petit os noir

rongé par les flammes, les hardes

de l'Espagne fusillée.

 

 

Pablo Neruda

 

 

 

 

 

 

 

 


Rédigé par caroleone

Publié dans #La voix des camarades

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R
<br /> Je te remercie de tout mon coeur.<br /> <br /> <br /> Roger.<br />
C
<br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bonsoir Roger,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Tu as fait un bel hommage à Julien Grimau, de plus on apprend à connaître aussi ton enfance et ton papé, et ça c'est chouette <br /> <br /> <br /> Pablo a écrit ses mots les plus durs pour l'Espagne, ce sont mes préférés avec le chant général ( non, en fait j'aime tout ).<br /> <br /> <br /> Sur ce blog avant que j'ai fini mon rangement pour faire mes valises, j'ai  plusieurs poèmes de lui sur l'Espagne dont Le général franco aux enfers ICI ( c'est quelque chose de très fort, je ne sais pas si tu le connais, on pourrait aussi<br /> dédier ce poème à thatcher).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'aime bien quand ça ne parle pas la langue de bois mais en poésie ce n'est pas évident, seule la voix d'un coeur en proie à une forte émotion ou une très grande colère fait écrire de tels mots.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> caro<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />