France : quand la rhétorique xénophobe tourne à la tragédie

Publié le 26 Décembre 2022

Publié le 26 décembre 2022

Le racisme a tué à Paris. Un vrai racisme et non celui que plusieurs membres du gouvernement français ont attribué à l'Argentine après la Coupe du monde au Qatar. Trois membres de la communauté kurde ont été tués vendredi 23 décembre dans le 10e arrondissement de la capitale française par un individu de 69 ans qui avait déjà un passé d'agressions similaires et qui a avoué sa "haine des étrangers devenue complètement pathologique".

William M., 69 ans, est sorti dans la rue avec la seule intention de tuer des étrangers. Selon son propre récit aux autorités, il s'est rendu vendredi dans la ville de Saint-Denis, en banlieue parisienne, pour tuer des "étrangers non-européens". Il a renoncé parce que ses "vêtements ne lui permettaient pas de recharger son arme", un pistolet automatique Colt 45 de calibre 11.43. Il s'est donc rendu dans le 10e arrondissement de la capitale française et à la rue d'Enghien, où il "savait" que se trouvait le siège du centre culturel kurde Ahmet-Kaya, devant lequel il a ouvert le feu. Les victimes sont Emine Kara, responsable du Mouvement des femmes kurdes en France, l'artiste et réfugié politique Mir Perwer et Abdulrahman Kizil, qui fréquentait régulièrement le centre culturel Ahmet-Kaya.

Emine Kara était bien connue dans la communauté kurde de France. Elle a travaillé dans des quartiers kurdes en Syrie, en Turquie, en Iran et en Irak, et a combattu l'État islamique les armes à la main lors des combats qui ont conduit à la chute de la ville de Raqqa.

Le récit du tueur est écoeurant et glaçant. William M. a déclaré qu'après avoir subi une agression en 2016, son racisme est devenu obsessionnel contre "tous les migrants". Et s'il a choisi cette fois les Kurdes de la rue Enghien, c'est parce que "lorsqu'ils combattaient l'État islamique, au lieu de les tuer, ils les retenaient prisonniers". Le projet qu'il a réalisé vendredi était d'autant plus réfléchi que l'homme regrettait de ne pas avoir eu le temps de se "suicider", car il s'était toujours dit que s'il se suicidait un jour, il "emporterait ses ennemis dans la tombe". Par "ennemis", a-t-il précisé, il entendait "tous les étrangers non européens".

Si William M. n'a pas tué davantage de personnes dans le salon de coiffure voisin, c'est parce que les personnes présentes dans le salon de coiffure voisin l'en ont empêché. Il est alors rapidement arrêté par la police et, dans la soirée, conduit à l'infirmerie de la préfecture de Paris en raison de son état de santé. Les autorités le décrivent comme "dépressif" et "suicidaire", mais ces deux descriptions ne l'éloignent pas des tribunaux. Lors de la perquisition effectuée au domicile de ses parents, où il vivait, "aucun matériel extrémiste n'a été trouvé", c'est-à-dire des documents le liant à l'une ou l'autre organisation politique d'extrême droite. Il n'en avait pas non plus besoin. Le climat de racisme, de méchanceté et d'agressivité rhétorique (dans les médias) envers les étrangers non européens constitue déjà un bon matériel de formation politique.

Il est frappant de constater qu'un individu ayant de tels antécédents soit libre de ses mouvements. William M. a été condamné à six mois de prison avec sursis en 2017 pour port d'armes prohibées, et en juin 2022, il a été condamné à un an de prison pour des "violences avec armes" commises en 2016 sur des personnes qui ont tenté de le voler. En décembre 2021, il a été mis en examen pour "violence avec arme" avec "préméditation et à caractère raciste". Il était soupçonné d'avoir blessé plusieurs migrants avec des armes blanches (un sabre) dans l'un des nombreux camps pour étrangers de Paris. William M. s'est rendu avec un sabre dans un centre pour migrants dans le 12e arrondissement de Paris et a blessé plusieurs personnes. L'homme a passé un an en prison - arrestation provisoire - et a été libéré le 12 décembre dernier. Onze jours plus tard, il semait l'horreur au sein d'une communauté kurde profondément touchée par un autre assassinat à Paris (politique cette fois) contre des membres du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan. En décembre 2013, dans le même quartier parisien, trois militants du PKK ont été tués par des membres des services secrets turcs, le MIT.

Samedi 24 décembre, les Kurdes ont organisé une manifestation sur la place de la République à Paris pour dénoncer ce triple meurtre. La manifestation s'est terminée dans l'après-midi par de violentes émeutes entre les Kurdes et les forces de l'ordre. Les autorités turques, ennemies acharnées des Kurdes, ont publié des images des affrontements à Paris afin de dénoncer le soutien de la communauté internationale aux Kurdes au sein de la coalition militaire internationale qui a combattu et combat l'État islamique.

La tragédie de la rue Enghien aurait pu être bien pire si le tueur n'avait pas été désarmé par les personnes présentes dans le salon de coiffure à côté du centre culturel kurde. William M. avait sur lui deux valises avec des "chargeurs pleins de balles" et une boîte contenant 25 balles de calibre 45. William M., qui n'apparaît pas dans les fichiers de police comme un militant d'extrême droite, est un conducteur de train à la retraite que le climat racial et un incident personnel ont transformé en tueur vorace d'étrangers. Son père (90 ans) a déclaré que lorsque William M. a quitté sa maison pour commettre ses crimes, "il n'a rien dit. Il est fou.

William M. peut être ou être présenté comme un fou, mais son acte intervient à un moment où l'extrême-droite est non seulement très forte politiquement, mais aussi où cette force politique semble agir comme une garantie d'impunité pour ses membres. Mercredi 14 décembre dernier, après la demi-finale de la Coupe du monde Qatar 2022 entre la France et le Maroc, des groupes d'extrême droite ont commis des attaques racistes à travers le pays. Paris, Lyon, Nice et Montpellier ont vu des bandes d'extrémistes de droite, parfois armées, attaquer des supporters marocains. Ces agressions étaient l'expression finale de la propagande raciste et violente des leaders d'extrême droite, tels qu'Eric Zemmour ou Jordan Bardella, diffusée par les médias. C'est le vrai racisme, celui qui, à tout moment, sert d'inspiration meurtrière. La violence rhétorique xénophobe fait fureur comme si, en toute impunité, n'importe quel outrage pouvait être proféré sans la moindre médiation du pouvoir politique. Les discours de haine ne sont plus combattus. Ils sont, au contraire, les invités les plus assidus des médias.

SOURCE : Eduardo Febbro, depuis la France / Página/12

traduction caro d'un article paru sur Kurdistan americalatina.org

Rédigé par caroleone

Publié dans #Kurdes de France, #La France vue de l'Amérique latine, #Racisme

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