Lettre à Marie-Rose
Publié le 30 Mai 2013
Ma petite Marie-Rose,
Comme tu me manques chaque jour davantage au fil du temps qui passe et devrait m’éloigner de ta pensée et qui pourtant m’en rapproche irrémédiablement.
Car chaque jour où je prends de l’âge, je vis en te revoyant dans tes habits de grand-mère toute simple, ta robe en tweed qui piquait quand on s’asseyait sur tes genoux, ton beau chignon blanc soigneusement confectionné chaque matin avec des cheveux longs, longs, longs, plus longs que ceux de toutes les grand-mères du monde.
Je t’entends encore avec ta voix chaude et tendre et tu vois, je suis ton chemin.
Je me rappelle tes mots et le sens que tu voulus donner à ma vie.
Peut-être pour que je réalise ce que tu n’avais pas pu réaliser ?
Non, c’est impossible car tu voulais être missionnaire et moi je n’ai que pour mission la défense des peuples et des hommes pour plus de justice sur cette terre, plus d’égalité et pour qu’un jour on puisse voir la solidarité monter le flambeau aux couleurs de nos luttes bien haut sur le toit du monde.
Jamais je n’ai pu assez te remercier de m’avoir aidé à vivre et voler de mes propres ailes.
Non, je n’en avais pas encore pris conscience hélas, ce sont les dures réalités de mon existence et le poids de mes valises que je n’arrivais plus à traîner qui un jour me l’ont révélé.
J’ai bien compris alors ce que je te devais.
Tout.
La vie un peu plus rose, l’espoir, les idéaux, l’humanisme sertissant une bague en fil de fer d’un diamant en cœur qui bat, l’amour des autres, la compassion, l’amour des plantes, l’instinct de survie, le dépassement de soi, l’amour maternel, savoir apprécier le moelleux d’une joue ou d’un front de bébé sans chercher plus loin, profiter de la tendresse maternelle tant que le petit enfant a besoin de solides appuis pour grandir heureux. Tu m’as enseigné l’humilité, la noblesse de cœur, le pardon, l’éducation par la douceur et la non-violence, la patience, la joie de vivre et l’art de se contenter des choses simples que la vie nous offre : un bon repas préparé en famille, partagé en famille, la joie de travailler la terre, de connaître la géographie des plantes, l’histoire des sciences, l’histoire des hommes qui surent se sacrifier pour les malheureux et un bien-être commun.
Chaque jour je récite mes leçons, mais elles sont si bien installées dans ma petite chambre de bonne que je ne peux les oublier. De plus contrairement aux autres souvenirs d’un passé qu’on oublie, elles sont bien rangées dans un papier de soie rouge, je souffle dessus, le papier s’envole légèrement et les idées diffusent leur substance d’espérance au cœur du monde en distillant un pollen qui fertilisera les consciences en éveil.
Un jour, je leur conterais à mes amis lecteurs pour qui Pierre et toi êtes des êtres précieux, comment j’ai appris toutes les techniques des hommes premiers qui vivaient en autosuffisance (hormis celle de tuer un animal car je n’ai jamais su ni voulu m’y résoudre), je leur conterais mes histoires simples de la vie naturelle qui savent à partir de quelques petites choses du quotidien rédiger le plus beau des poèmes.
Ma poésie est votre mémoire, grâce à elle j’ai trouvé la plus jolie façon de vous dépeindre et d’écrire goutte à goutte une histoire, une partie de votre chemin, celle que j’ai partagé avec vous et dont je me souviens.
Je te laisse à présent, je t’envoie une petite étoile là-haut dans le nuage si blanc qui chaque jour surveille le monde comme il va. C’est ma petite mouette Anna, elle est une partie de moi-même, je lui ai confié un message pour l’au-delà et je l’ai envoyée avec, dans ses bagages une grande part de mes souffrances dont j’ai su me délester. Je ne veux plus les voir revenir.
Prends soin de nous et de ceux que j’aime comme j’ai su t’aimer plus que tout ainsi que ton cher époux.
Je t’embrasse ma mie Marie-Rose.
Caro