Le mythe du ‘sauvage brutal’

Publié le 25 Septembre 2013

 

 

Yanomami, Demini, Brésil

Yanomami, Demini, Brésil
© Fiona Watson/Survival
 

Les descriptions des Indiens comme des gens violents et sauvages sont très répandues. L’exemple le plus récent de telles stigmatisations nous est donné par l’anthropologue américain controversé Napoleon Chagnon qui a travaillé chez les Yanomami du Venezuela dans les années 1960.

Dans son livre publié en 1968 Yanomamö : Fierce People, Chagnon construisait une image sensationnaliste de ces Indiens, les décrivant comme des gens ‘sournois, agressifs et inquiétants […] féroces […] en constant état de guerre les uns contre les autres’.

Fierce People a été un best-seller aux Etats-Unis et est toujours une référence pour les étudiants en anthropologie. Il est également une source importante dans de nombreux ouvrages récents de vulgarisation scientifique publiés par des auteurs tels que Jared Diamond ou Stephen Pinker qui répandent également le mythe du ‘sauvage brutal’.’

 

Controverse

 

Malgré la popularité de Fierce People, les conclusions de Chagnon ont été sévèrement critiquées. De nombreux anthropologues, médecins et missionnaires qui ont une grande expérience des Yanomami pour avoir travaillé avec eux pendant de nombreuses décennies mettent tout simplement en cause les conclusions de Chagnon et sont en profond désaccord avec sa description de ce groupe.

En février 2013, Chagnon a publié son autobiographie Noble Savages : My Life Among Two Dangerous Tribes – The Yanomamö and the Anthropologists.

De nombreux anthropologues, tous spécialistes des Yanomami, titulaires de doctorats d’universités de plusieurs pays du monde et ayant effectué des travaux de terrains depuis les années 1960 jusqu’à nos jours, ont signé une lettre ouverte condamnant les théories de Chagnon.

L’éminent anthropologue Marshall Sahlins explique comment Chagnon a exploité ses sujets d’études yanomami pour arriver à ses fins. Il a récemment démissionné de l’Académie nationale américaine des sciences pour protester contre l’élection de Napoléon Chagnon à cette institution.

Le grand anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro affirme que les Yanomami sont loin d’être les robots sociobiologiques méchants et impitoyables dépeints par Chagnon.

Philippe Descola, professeur au Collège de France et l’anthropologue brésilienne Manuela Carneiro da Cunha ont fait des déclarations sur les positions de Chagnon et la démission de Sahlins.

Des spécialistes ont écrit au Daily Telegraph en 2001, pour protester contre un article reflétant l’idéologie de Chagnon.

Carlo Zacquini, un missionnaire laïque catholique qui a travaillé et vécu parmi les Yanomami pendant près de 50 ans, ‘n’a jamais constaté qu’ils étaient violents’.

 

Les Yanomami s’expriment

 

Écoutez ce que Davi Kopenawa, porte-parole yanomami et président de Hutukara, a dit à propos de Fierce People et de Noble Savages dans des entretiens avec Survival.

Lire un extrait de son livre co-écrit avec l’anthropologue français Bruce Albert La chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami où il traite de la violence des sociétés occidentales.

Si un petit nombre de Yanomami a pu mourir dans des conflits internes, beaucoup plus ont été tués par des étrangers dans des attaques violentes ou par les maladies qu’ils leur ont transmises.

Entre 1989 et 1993, on estime que près de 20% des Yanomami du Brésil sont morts de maladies introduites par les chercheurs d’or. Ces invasions font encore peser d’énormes menaces sur leur santé et leur sécurité. Davi Kopenawa met en garde :

 

Aujourd’hui, nos véritables ennemis sont les chercheurs d’or, les éleveurs et tous ceux qui veulent s’emparer de nos terres. Notre colère doit être dirigée contre eux. C’est ce que je pense.

Davi Yanomami à l'assemblée générale de l'Association yanomami Hutukara en 2008.

Davi Yanomami à l'assemblée générale de l'Association yanomami Hutukara en 2008.
© Luciano Padrão/CAFOD
 
 

Conséquences

La plus grande tragédie dans cette histoire est que la réalité du monde yanomami a été largement ignorée, les médias ayant préféré se concentrer sur des détails croustillants du débat qui fait rage entre les anthropologues ou bien sur les hypothèses controversées avancées par Chagnon. Fait rarement mentionné, The Fierce People a eu des répercussions désastreuses non seulement sur les Yanomami, mais aussi sur les peuples indigènes en général.

Lisez comment la dictature militaire brésilienne a été influencée par l’idée que les Yanomami étaient hostiles les uns envers les autres.

Lisez pourquoi le gouvernement britannique a refusé de financer un projet éducatif pour les Yanomami.

Plus récemment, la théorie de Chagnon était citée dans le livre controversé de Jared Diamond The World Until Yesterday (qui paraîtra en France en 2014), dans lequel il prétend que si la plupart des sociétés traditionnelles, comme les Yanomami, vivent dans un ‘état de guerre permanent’ c’est qu’ils sont beaucoup plus violents que les sociétés industrialisées et qu’ils se réjouissent de leur ‘pacification’ par l’Etat.

Le livre de Diamond a été condamné par le directeur de Survival, Stephen Corry, des organisations indigènes et de nombreux universitaires, et ses arguments ont été comparés à ceux des colons européens qui cherchaient une justification aux brutalités de l’impérialisme.

Pour en savoir plus

Visitez le blog ‘Anthropologie Report’ pour savoir ce que les anthropologues disent au sujet de Noble Savages.

 

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Survival réfute les allégations sur la ‘violence’ yanomami

24 Septembre 2013

Le directeur de Survival discrédite la thèse de Napoléon Chagnon selon laquelle les Yanomami seraient un peuple 'féroce'.
Le directeur de Survival discrédite la thèse de Napoléon Chagnon selon laquelle les Yanomami seraient un peuple 'féroce'.

© Fiona Watson/Survival

 

 

Un nouvel article de Stephen Corry, directeur de Survival International, expose les graves lacunes que comportent les thèses développées ces dernières décennies selon lesquelles les Indiens yanomami d’Amazonie seraient ‘féroces et violents’. Ce document a été publié samedi par Truthout, un organe indépendant d’information nord-américain.

Le linguiste et philosophe américain Noam Chomsky a salué cette prise de position en déclarant : ’J’ai été heureux de lire les arguments invoqués par Corry contre le mythe du ‘sauvage brutal’. Sa nouvelle analyse du rôle de Chagnon laisse peu de doute quant à sa crédibilité.

Les thèses avancées par l’anthropologue américain Napoleon Chagnon au sujet de la supposée violence yanomami sont soutenues avec enthousiasme par les auteurs de vulgarisation scientifique Steven Pinker (aux États-Unis) et Richard Dawkins (au Royaume-Uni).

Chagnon affirme que la tribu (qu’il appelle yanomamö) vit dans un état de guerre chronique, expliquant que la plupart des combats sont déclenchés à propos des femmes et affirmant que 45 % des hommes sont des tueurs. Il ajoute que ceux-ci ont un avantage génétique sur les hommes qui n’ont pas tué.

 

Corry démontre que les données de Napoléon Chagnon concernant le pourcentage de Yanomami tueurs sont fausses.
Corry démontre que les données de Napoléon Chagnon concernant le pourcentage de Yanomami tueurs sont fausses.

© Fiona Watson/Survival

 

Ses recherches sont utilisées pour étayer la thèse selon laquelle la société humaine était beaucoup plus violente avant la création de l’Etat.

Cependant, dans son nouvel article, Corry montre que :

- Chagnon manipule à tort ses propres données. Même si elles sont exactes, ce qui est peu probable, Chagnon gonfle d’un quart la proportion des Yanomami qui prétendent avoir tué.

- Même en prenant les chiffres de Chagnon à leur valeur nominale, les morts violentes yanomami sont moins nombreuses que dans certaines guerres modernes, réfutant l’argument central du récent livre de Steven Pinker The Better Angels of our Nature (Les meilleurs anges de notre nature).

- Chagnon contredit ses propres théories sur les causes des guerres yanomami.

- Chagnon omet de faire part de ses impressions sur son premier jour chez les Yanomami .

- Chagnon s’est appuyé sur les rapports exagérés des missionnaires évangéliques pour étayer sa théorie. En retour, il a salué l’œuvre de ces missionnaires de qui il était dépendant. Sa ‘théorie du ’sauvage brutal’ s’accorde étroitement avec les représentations évangéliques du mode de vie ‘païen’ des tribus indigènes.

Stephen Corry a déclaré aujourd’hui: ‘Il ne s’agit pas d’une simple querelle académique : cela concerne la façon dont nous considérons notre développement. L’idée qu’il est « scientifiquement prouvé » que l’Etat « moderne » apporte la paix et la prospérité est absurde, mais elle est désormais utilisée pour justifier sa brutalité vis-à-vis des plus démunis. Les représentations mensongères de Chagnon nuisent aux peuples indigènes en général’.

 

SURVIVAL