Ethiopie : les nyangatom
Publié le 5 Mai 2013
Les nyangatom
Peuple pastoral de l’extrême sud-ouest de l’Ethiopie aux confins du Soudan et du Kenya. Il s’agit d’une ethnie minoritaire du groupe karimojong.
Nyangatom est leur nom de guerre, il veut dire « fusils jaunes »
Leurs autres noms à connotations péjoratives : nyam-atom voulait dire : « mangeurs d’éléphants
Bumé : « ceux qui sentent mauvais, nom donné par leurs voisins
Langue : nyangatom, langue nilotique du groupe teso-turkana
Population : environ 15000 personnes ( ?)
Crédits photo: Jean-Michel Turpin
Le milieu
La rivière Kibish constitue l’épine dorsale du dispositif agro-pastoral nyangatom. Ce fait n’a pas empêché le major anglais Gwynn à la suite de son expédition de 1908/1909 de faire de ce cours d’eau la frontière entre l’Ethiopie et le Soudan, frontière qui ne semble pas avoir été remise en cause par la haute diplomatie. Le paradoxe d’un centre transformé en frontière n’est pas une rareté et les populations en subissent le plus souvent les préjudices mais savent aussi en exploiter les ressources éventuelles.
Le pays nyangatom se situe en zone équatoriale et le schéma prévisible lié au passage de la convergence est de deux saisons de pluies, la principale en mars-avril, la seconde au cours de notre automne.
Les nyangatom conçoivent le cycle annuel comme une alternance de deux saisons et non 4 comme les occidentaux :
- Akiporo, « abondance »
- Akumu : « disette »
Le terme akumu désigne une année selon le contexte ou une saison. Le temps d’abondance commence avec le retour des pluies en mars-avril. Le temps de disette s’annonce entre juin et août, quand les herbages se dessèchent et se poursuit jusqu’à mars-avril de la nouvelle année.
En période humide de printemps, les habitants résident principalement autour du centre de leur territoire Nakua, et la population avoisine alors les 100 habitants au km2 (sur le territoire = 4200 km2 pour 5000 habitants).
A l’arrivée de la saison sèche, les mouvements et dispersions pour aller dans les pâturages ou sur les lieux de cueillette est perturbé par les craintes liées aux querelles avec leurs voisins eux aussi très mobiles et souvent hostiles.
Le territoire nyangatom offre trois régions « utiles » :
- Les berges de l’Omo et les terres basses avoisinant la forêt-galerie
- La région agro-pastorale de Nakua comportant le lit de la rivière temporaire et des points d’eau permanents, la forêt-galerie moins dense que celle de l’omo qui fournit le bois et le feu, matériaux pour la construction des huttes , Natante, la zone d’épandage qui est cultivée après les crues, les pâturages avoisinants
- La route occidentale : pâturages saisonniers, points d’eau temporaires, point de rencontre avec les toposa, alliés soudanais.
Origines succinctes
Il est difficile de répondre à la question de l’origine des nyangatom en tant que politie autonome car ils n’ont pas élaboré de modèle canonique sur la question. Les récits peuvent permettre une certaine reconstruction du leur ethnogenèse que l’œuvre de Lamphear situe vers le milieu du XVIIIe siècle. La simulation du système générationnel fait à partir de recensements recueillis à Nackua en 1973 cadre avec l’ethnohistoire de Lamphear : le milieu du XVIII e siècle était le temps où les Lycaons enfants des fondateurs auraient été Pères du pays.
La famine de la première moitié du XVIIIe siècle aurait provoqué vers la région épargnée de Koten, un afflux de réfugiés, « les gens du gruau ». L’aire méridionale, celle de Magos aurait été le berceau des futurs karimojong, dodos et d’une partie des toposa, celle de Koten-Morulim aurait été le lieu de formation des jie et celui de dispersion des turkana, dongiro ou nongyatom , des jiye du Soudan et d’une partie des toposa
Image Paul de Kidt
Mode de vie
Système de parenté
Ils ont une spécificité qui leur est propre et consiste à classer les individus selon leur statuts dans des catégories pour les reconnaitre et portant des noms appropriés.
Le système de parenté est patrilinéaire, le père contrôle la production économique des fils de ses épouses. Chaque épouse gère sa progéniture et ses biens mais les fils doivent nourri les pères qui possèdent le troupeau.
L’ensemble de la population est répartie en deux classes et deux statuts : Pères et Fils.
Dans le système générationnel, le lien Père du pays-Fils du pays, qui représente la structure proprement politique de la société, est l’expression directe d’une logique d’identification des générations alternes et d’opposition des générations successives. Sont donc, en un temps donné, Pères du pays, les hommes de la génération en titre, mais également leurs petits-fils et, s’il en subsiste, leurs grands-pères. Les Fils du pays sont les enfants des Pères en titres, mais également leurs grands-pères et leurs petits-fils. Ainsi donc l’ensemble de la population est-elle répartie en deux classes et deux statuts seulement, ceux de Pères et de Fils.
Dans les familles, les générations émergent pour ainsi dire mécaniquement tous les 25 ans environ à l’échelle de la société globale.
De maigres biens
Les nyangatom regroupent l’ensemble de leurs possessions matérielles individuelles et familiales sous le générique « ngiboro », un nom pluriel dont la traduction la plus proche serait « Tout ce que l’on doit, et rien que ce que l’on peut emporter quand on décampe ».
Mis à part le bétail sur pied, une famille ne possède que ce que femmes, enfants et ânes sont capables d’emporter au moment du changement de résidence.
La vraie richesse d’un homme c’est son troupeau, le nombre de ses femmes et enfants.
Il possède ses ornements corporels, son appuie-tête et ses armes.
Les ustensiles domestiques, la houe, la meule et le molette appartiennent aux femmes mariées.
Les célibataires des deux sexes ne possèdent que leurs ornements corporels.
L’appuie-tête longuement sculpté est poli au cours des réunions sous l’arbre des hommes.
le labret de métal est un ornement labial constitué de fils métalliques plus ou moins sophistiqués parfois ornés d’une petite sphère en aluminium est porté par tous les hommes. Les labrets en ivoire sont réservés aux hommes du groupe générationnel des Eléphants, ceux en pierre ou en quartz aux hommes du groupe les Montagnes ou les Pierres.
Les hommes possèdent aussi une tabatière qui est un étui contenant le trona (condiment sodique du tabac à chiquer), un couteau, des sandales en cuir de buffle, un bâton phallique ou une canne sculptée, ces insignes de masculinité sont confectionnés par leur détenteur.
Les femmes
Les vêtements féminins sont uniquement en cuir de chèvre. Certaines ceintures féminines sont décorées aux armes du clan, certains tabliers de prestige des nouvelles épouses restent aux mains d’une lignée d’hommes.
Elles portent des colliers de perles de verroterie, de noyaux de fruits de jujubier, de rondelles de coquilles d’œufs d’autruches. Ces colliers passent des mères aux filles et sont échangés entre co-épouses, parentes, voisines.
Les femmes mariées sont marquées aux insignes du clan et de la section territoriale de leur mari : assemblage spécifique de colliers (le noyau de jujubier est l’insigne de la section des Ibis), couleur des boucles d’oreilles (laiton ou fer blanc), ornements du tablier de pudeur de la jeune épousée.
L’appartenance sociale est exhibée en permanence et vécue à travers l’appartenance de ces précieux ornements.
La femme, même en cas de nécessité médicale refuse de se séparer des colliers car elle pense que privée de ceux-ci cela provoquerait la mort de son mari.
Dans l'univers des Nyangatoms, les hommes peuvent se marier plusieurs fois, mais les femmes ont toujours leur mot à dire. Si la société est plutôt patriarcale, les femmes ne sont pas mises à l'écart du système générationnel. Les filles ont ainsi leurs propres groupes d'âges, parallèles à ceux de leurs frères au sein de la même génération. Plus un homme possède de bétail, plus il peut prétendre à prendre une nouvelle épouse avec, au coeur, l'espoir de fonder son propre village au sein de la communauté. La répartition des tâches de la vie quotidienne est à la fois très codifiée et pragmatique. Mais certaines activités demeurent strictement masculines, comme la récolte du miel ou l'usage de l'arc et de la flèche pour extraire le sang du cou des zébus.
Image :Femmes et enfants veillent sur les plantantions de sorgho, principale source d'alimentation des Nyangatoms. Perchés sur des miradors de fortune, armés de branches et de billes de terre, ils chassent les oiseaux qui attaquent sans relâche. Crédit Photo: Jean-Michel Turpin
Agriculture, élevage, cueillette
Ce sont des éleveurs qui pratiquent néanmoins l’agriculture de subsistance, la pêche et la cueillette.
L’agriculture se pratique soit sur brûlis dans des parcelles à proximité du village, soit c’est une agriculture de crue . Les terres sont ensemencées dès que les pluies « les ont fécondées ».
La pêche
Plusieurs techniques sont utilisées : le harpon pendant la montée des eaux, la lance de pêche ou la pique lorsqu’il est possible de pénétrer dans le lit du fleuve. Parfois ils utilisent des hameçons grossièrement forgés et des lignes, sans grand succès.
La pêche à la nasse est la plus pratiquée pendant la montée des eaux.
Le crocodile est consommé par les nyangatom de l’Omo : un ou deux hommes par village s’attaquent au monstre qui est harponné à partir d’une pirogue dont la ligné est amarrée à un arbre du rivage.
L’agriculture
C’est celle du mil, du sorgho, du maïs et des haricots. Ils collectent le miel et complètent par la pêche et un peu de chasse leurs repas.
La cueillette
Le temps fort de la collecte se situe entre les mois de juin à août et octobre à janvier. Ce n’est qu’en janvier /février que les ressources sauvages risquent de faire défaut et creuser les famines, il reste encore quelques graines, racines, figues desséchées et petits concombres.
Petit récapitulatif avec quelques images choisies de répertoire du botaniste Gillett, trouvé sur le livre Les fusils jaunes.
Les feuilles
- Cadabra farinosa
- acalypha indica
Les fruits
- Jujubes
Les glands
- Dobera glabra
Les tubercules
- Cayratia ibuensis
Les baies
-cordia sinensis
Les drupes
- Ximenia coffra
Les cosses
- Acacia tortilis
Les graines
- Grewia villosa
Conflits
C’est un peuple guerrier qui est fort redouté dans la basse vallée de l’Omo.
Ils entretiennent des rapports hostiles avec tous leurs voisins, turkana et dassanech en particulier avec lesquels ils se disputent les herbages et le bétail. D’ailleurs dans les années 70 ils furent pratiquement décimés par les dassanech.
Dans les années 80, la guerre civile au Soudan fait entrer les armes dans les tribus de la basse vallée de l’Omo armant ses peuples et entraînant alors les conflits avec encore plus de vigueur.
Ils sont apparentés aux toposa du Soudan, ce sont les seuls avec lesquels ils ne sont pas en conflit.
Leur problème actuel : Le barrage Gigel gibe III sur la basse vallée de l’Omo
Les Bodi (Me’en), les Daasanach, les Kara (ou Karo), les Kwegu (ou Muguji), les Mursi et les Nyangatom vivent le long de l’Omo et en dépendent étroitement. Ils ont développé au cours des siècles des pratiques socio-économiques et écologiques complexes adaptées aux conditions climatiques difficiles et imprévisibles de cette région semi-aride.
La crue annuelle de l’Omo alimente la riche biodiversité de la région et garantit une sécurité alimentaire à ces peuples lorsque les précipitations sont rares.
Ils en dépendent donc pour pratiquer une ‘agriculture de décrue’, en utilisant le limon déposé sur les berges du fleuve par le lent retrait des eaux.
Ils pratiquent également l’agriculture pluviale et itinérante, produisant du sorgho, du maïs et des haricots.
Le barrage bloquera la partie sud-ouest de l’Omo qui s’étend sur 760 km depuis les hautes terres d’Ethiopie jusqu’au lac Turkana au Kenya. La vallée inférieure de l’Omo est un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco en raison de son importance géologique et archéologique.
Pour en savoir plus, voici un article sur cocomagnanville
Une vidéo de 1973 à voir à l’aide du lien ci-dessous :
Les nyangatom, Aspects de la vie d’une tribu nilotique de Serge Tornay
Sources : Serge Tornay les fusils jaunes, survival