Pablo Neruda, l'enquête relancée

Publié le 25 Avril 2013

PabloNeruda.jpgUn juge chilien a ordonné hier 8 janvier 2013, selon Bloomberg, l'exhumation de la dépouille de l'écrivain Pablo Neruda. Objectif: réaliser une autopsie pour connaître les raisons exactes de sa mort. On se rappelle qu'il y a un an, J-M Gosselin nous contait comment un ancien collaborateur du prix Nobel de littérature chilien - son chauffeur - avait affirmé que le grand poète avait été "assassiné" sur ordre de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990). Cette version était démentie par la Fondation Neruda et la famille, bien que... Selon la version officielle, Neruda est mort en 1973 âgé de p69 ans des suites d'un cancer de la prostate, deux semaines après le coup d'Etat de Pinochet, qui renversa l'ami de l'écrivain,  Salvador Allende. L'histoire n'est peut-être pas celle-là. Nous publions de nouveau ci-après l'article de J-M Gosselin pour mieux comprendre cette histoire et ce nouveau rebondissement.

 

 

QUAND J’ENTENDS LA CHANSON NOIRE DE DON PABLO NERUDA

 

D'après son assistant personnel Manuel Araya,  le poète Pablo Neruda aurait été assassiné par le régime du général Pinochet. Une nouvelle thèse qui bat en brèche celle de la mort de Neruda des suites de son cancer. Vérité ou manipulation ?

 

En mai 2011, le magazine mexicain Processo fait d’incroyables révélations á propos de la mort de Pablo Neruda en septembre 1973. Il rapporte la troublante et poignante confession du chauffeur, assistant et garde du corps de Pablo Neruda, Manuel Araya. Dans la foulée le Parti communiste du Chili (PCC), au sein duquel Pablo militait, dépose une plainte pour que les causes du décès soient établies, allant jusqu’á demander que l’on exhume le corps pour qu’il soit autopsié s’il le faut. La faisabilité de cette hypothèse est á l’étude. Les avis divergent. La justice devant ces divulgations toutes nouvelles a considéré recevable la plainte. Le juge Mario Carroza,  le même qui a instruit les affaires liées aux droits de l’homme au Chili, a ouvert une instruction. En neuf mois le dossier s’est épaissi de nombreux témoignages et de de contre-témoignages. Il  comprend á cette date deux volumes de plus  500 pages. Pour Mario Carroza il existe des  « éléments permettant de conclure à la véracité des dires d’Araya » sans pour autant, pour le moment, infirmer totalement la thèse de son épouse révélée en 1974 dans le quotidien Madrilène Pueblo et expliquant combien la commotion reçue par le coup d’état de Pinochet avait atteint le poète allant jusqu’à le faire mourir, d’autant que, comme le titrait l’article : « mon mari a rêvé toute sa vie de faire des changements dans son pays. », oui, mais pas ce type de changement anti-démocratique.


 

 

Flash-back sur les dernières semaines de vie du Poète

 


En 1972, Pablo Neruda habite avec son épouse Matilde Urrutia, sa sœur, Laura Reyes, et trois autres personnes travaillant á son service, dans sa maison achetée en 1938 á un vieux socialiste espagnol, Eladio Sobrino, non loin de Santiago et connue sous le nom de Isla Negra. Le poète venait de rentrer de France où il avait occupé le poste d’ambassadeur du Chili.

L’écrivain est malade. Il est atteint d’un cancer. La vie s’écoule paisiblement entre soins, lecture de la presse, écriture, promenades chez les antiquaires et dans les villages avoisinant, sorties dans la Citroën conduite par Manuel Araya, réceptions d’amis intellectuels et politiques. Il achève ses mémoires « J’avoue que j’ai vécu »… il y mettra le point final peu avant sa mort. Le cancer ne semble pas affecter la vie du poète. Il est en forme, comme on peut l’être lorsque l’on a un cancer á la prostate, c’est la politique qui le préoccupe. Dans son dernier texte, il s’exclame : « J’écris ces lignes hâtives pour mes Mémoires trois jours seulement après les faits inqualifiables qui ont emporté mon grand camarade, le président Allende »..  

 

Le 11 septembre le poète s’apprête á recevoir l’avocat Sergio Insuza pour travailler avec lui sur les statuts de la fondation qui va porter son nom, et l’écrivain José Miguel Varas. A 7 heures il apprend que l’armée a lancé un coup d’Etat militaire á Valparaiso. Ses amis ne peuvent venir. Neruda s’y attendait, Il s’en était confié á Luis Corvalán, le secrétaire général du PCC qui l’avait rassuré : « c’est possible, mais toi Pablo ils ne pourront pas t’atteindre. Tu es suffisamment connu pour qu’ils ne tentent rien ». Et le prix Nobel de lui répondre : « tu te trompes, Federico Garcia Lorca était le prince des gitans et tu sais ce qu’ils lui ont fait. » (in Corvalán, « Santiago.Moscú.Santiago. Apuntes del exilio », 1983). En apprenant la mort de son ami Allende, les craintes de Neruda sont confirmées, d’autant qu’en captant une chaine télévisée Argentine il voit les images de l’assaut de La Moneda. La douleur spirituelle et humaine l’étreint.

 

Il dort mal. Il eut des suées et de la fièvre cette nuit-là dira son épouse. Un médecin appelé en urgence conseillera un transfert á Santiago. Le PCC diffuse l’information que son état de santé est sérieux. Dans la plainte déposée en 2011, le PCC reconnaît avoir, dans un premier temps, fait circuler l’idée que le poète était dans un état grave, et l’avoir fait « Dans le but de le protéger. ». «  Nous avons fait croire qu’il était plus mal en point qu’il ne l’était en réalité », énonce rétrospectivement le parti.

Le 16 septembre, Luis Echeverría, président du Mexique, demande à Gonzalo Martínez Corbalá, ambassadeur en poste au Chili, d’offrir l’asile politique à Neruda et à son épouse. Ils acceptent. On organise le transfert : ce sera Santiago dans un premier temps, puis direction Mexico. Le 19 septembre, accompagné de son épouse, il est transporté en ambulance. Araya suit dans une Fiat 125. Le trajet, est long, alors qu’il y a á peine 100 kilomètres á parcourir. Il  dure six heures. Les militaires arrêtent le convoi á de nombreuses reprises, sachant très bien qui est transporté. Mais officiellement ils le font  pour  chercher des  armes. Il s’agit d’humilier le prix Nobel et son entourage.


Neruda est hospitalisé le 19 septembre en fin de journée à la clinique Santa María, afin d’attendre le 22, date du départ pour le Mexique. Gonzalo Martínez Corbalá, confirme d’ailleurs dans un récent entretien a Jornada, quotidien mexicain, que : « Pablo avait accepté de s’exiler (…) A tel point qu’on m’a donné ses bagages et ceux de Matilde, ainsi qu’un paquet contenant le manuscrit de « J’avoue que j’ai vécu », écrit à l’encre verte. »Le 22 l’ambassadeur du Mexique vient chercher Neruda. Ce dernier lui demande, sans explications, de repousser le voyage au 24. Ce point est déterminant dans la nouvelle thèse. En effet si le poète avait été en si mauvais état de santé qu’on le disait, y compris son épouse,  Neruda n’aurait pas pu parler longuement avec l’ambassadeur mexicain, Et Martínez Corbalá de rajouter  que Neruda « parlait tout à fait normalement ». Certes il indique, contrairement à Araya, que Neruda avait du mal à tenir la position debout. Était-ce la fatigue de l’exténuant voyage ? Ou était-ce pour une autre raison ?  De son côté son épouse, dans ses mémoires « Mi vida junto a Pablo Neruda »,  parue chez Seix Barral en 1986, une année après sa mort, raconte que les derniers jours de Neruda furent durs.

 

Dans son témoignage Manuel Araya raconte que le 23 septembre Pablo lui demande d’aller avec Matilde à Isla Negra, récupérer des objets personnels pour les emporter au Mexique. Et le témoignage de devenir ici très important : « Vers 16 heures, alors que nous rangions les affaires, nous avons reçu un coup de téléphone. C’était Neruda. Il nous réclamait immédiatement à Santiago, car il se sentait très mal. Il nous a expliqué que, pendant qu’il somnolait, un médecin était entré dans sa chambre et lui avait fait une piqûre. Nous sommes retournés aussitôt à la clinique. Nous l’avons trouvé fiévreux, rouge, gonflé. » Qu’a-t-on injecté, sans ne rien dire á personne, à Don Pablo Neruda ?


Un des médecins demande á Araya d’aller acheter un médicament nécessaire aux soins d’urgence de Neruda. Il obtempère, mais doit aller en banlieue. Le médicament ne se trouve pas en centre-ville (ce qui est étrange). Le chauffeur du poète est attaqué par deux véhicules ; des nervis, dont on ne sait pour qui ils travaillaient, le passent á tabac. Ils le frappent au visage, le rouent de coups de pieds et lui tirent une balle dans le genou. Il est ensuite trainé au Stade national transformé par la dictature en  centres d’arrestation et de torture. Ici une autre thèse apparait, confirmée par les auditions du  juge Carroza. Araya aurait quitté la clinique, certes, mais à la demande de Matilde et non à celle d’un médecin. Objectif : acheter de l’eau de Cologne pour frictionner les jambes du poète.


A quelques détails près, Le magistrat confirme le jour et le lieu de l’arrestation d’Araya. Matilde évoquant cet épisode, racontera dans ses mémoires posthumes : « Le soir commençait à tomber et mon chauffeur n’était toujours pas revenu […]. Il avait disparu avec notre voiture, et avec lui je perdais la seule personne qui m’accompagnait à toute heure du jour. » A 22 h 30, le 23 septembre, le poète meurt à la clinique Santa María. La presse locale annonce que Pablo est mort à cause d’une piqûre. Manuel Araya apprend le décès du poète avec moult heures de retard et en prison. Depuis, il a tenté pendant 30 ans, de raconter son histoire, mais personne ne voulait l’écouter. Cette histoire n’était pas nouvelle pourtant, puisque le 24 septembre 1973 le quotidien conservateur El Mercurio avait écrit les lignes suivantes  qui paraissaient très informées : « A la suite d’un choc relatif á l’injection d’un calmant, son état inquiétant s’est accentué. La brusque chute de pression artérielle (hypotension) alarma le médecin traitant le professeur Roberto Vargas Salazar qui sollicita le soutien d’un cardiologue, lequel diagnostiqua un état très grave. »… et puis pas de suite á ces informations. L’ensemble des doutes, des questions, des suspicions furent remisés au grenier de l’histoire par la théorie de la veuve développée dans le quotidien Pueblo le 19 septembre 1974 : « L’unique vérité est que le très dur impact de la nouvelle (le coup d’état) fit que quelques jours après il y eut une paralysie du cœur. » La messe était dite. Neruda était mort de chagrin. Et pour d’autres scientifiques, il est mort de son cancer. Pourquoi aller chercher plus loin ?

 

Les doutes et les versions

 

Pour Matilde Urrutia, on le voit,  il n’y avait pas de doute. Et si son cancer était quasiment guéri, son cœur n’a pas résisté. Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Ainsi, appuyant les propos d’Araya,  Rodolfo Reyes le  neveu du poète et représentant légal des héritiers, s’est prononcé en faveur de l’enquête, de même que l’actuel président du Parti communiste chilien, Guillermo Teillier. En revanche, suivant la ligne de Matilde, la Fondation Neruda refuse la thèse de l’homicide et a déclaré : « Rien ne permet d’affirmer que Pablo Neruda soit mort d’autre chose que du cancer avancé dont il était atteint »

Est-il possible qu’on ne sache jamais comment Neruda est mort ? Mensonge, manipulation, trahison ? Le doute sur les causes de son décès est bel est bien réel, d’autant qu’en exil Neruda aurait été un ennemi puissant, « un ennemi formidable de de la dictature » pour reprendre l’expression de Guillermo Tellier.

Et puis, n’oublions pas que l’on sait aujourd’hui que Pinochet n’hésita pas á faire assassiner des personnalités qui dénonçaient son régime : le général Carlos Prats (assassiné á Buenos Aires en 1974 avec son épouse), Bernardo Leighton (démocrate-chrétien grièvement blessé avec son épouse dans un attentat á Rome en 1975), Orlando Letelier (socialiste assassiné avec sa secrétaire á Washington en 1976)… et, cas plus troublant encore, Eduardo Frei Montalva, président du Chili de 1964 á 1970 assassiné … dans la clinique Santa Maria en 1981 par les séides de Pinochet…


Comme Jean Ferrat nous crions : « Neruda comme tu ressembles á ton malheureux pays ! »

 

Jean-Matthieu Gosselin

 

 

EN RÉSUMÉ

 

Pablo Neruda meurt le 23 septembre 1973, à la clinique Santa Maria de Santiago. Selon les dires de son épouse il y est entré suite à une aggravation de son cancer de la prostate.  Sa maladie lui aurait été fatale. Pour Manuel Araya, alors son assistant personnel, il s’est réfugié à la clinique Santa Maria parce qu’il craignait pour sa vie, se sentant menacé par le régime dictatorial  institué par le général Pinochet après son coup d'état. Par ailleurs, alors qu’il devait partir en exil pour le Mexique et que l’information s’était propagée,  il aurait reçu une piqure d’un médecin inconnu. Il aurait alors fait part de son inquiétude grandissante à Arraya. La piqure aurait occasionné une réaction allergique. Pour Manuel Araya, Pinochet l'aurait fait tuer par ce qu’« il était un intellectuel et qu'il (Pinochet) ne souhaitait pas (l') avoir comme opposant ». Tels sont les nouveaux éléments récemment apparus.

 

 

Actualité de l'histoire

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #Chili, #Fragments de Neruda

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