Oscar Niemeyer: "A 103 ans, j'aime toujours travailler"

Publié le 7 Février 2011

 

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L’avenue Atlantica, qui berce la mythique plage de Copacabana, porte bien son nom. C’est face à l’océan, au dernier étage d’un immeuble aux drôles de formes, qu’Oscar Niemeyer a établi son atelier. Le prolifique architecte (Brasilia, le siège des Nations unies à New York, du PCF à Paris, etc.) y puise son inspiration, "toujours face à la mer". A 103 ans, il continue de créer, à l’image du musée Pelé qu’il vient de concevoir. "Heureux d’honorer le Roi", ce fan de foot attend avec gourmandise le match amical France-Brésil mercredi soir. L’occasion d’évoquer ses souvenirs et ses projets, avec entrain et malice.

 

Paru dans leJDD
 

Allez-vous regarder France-Brésil mercredi?


Je ne peux pas vraiment regarder les matches car je ne vois plus grand-chose. Mais j’ai toujours la télé allumée pour écouter les commentaires. J’ai suivi comme ça tous les matches de la Coupe du monde en Afrique du Sud. Pour moi, comme pour tous les Brésiliens, le football est quelque chose de spécial. Jusqu’à 15 ans, les gamins ne pensent qu’au foot. Après, ils ne pensent qu’aux femmes! C’est comme ça que ça fonctionne ici. Je n’ai pas dérogé à la règle…

 

Quel est votre premier souvenir de footballeur?


Oh là, c’est loin tout ça ! Mon plus grand souvenir restera un match disputé avec le Fluminense, présidé à l’époque par mon oncle, en lever de rideau d’un Fla-Flu [Flamengo-Fluminense, le derby de Rio]. Je n’avais pas été trop mauvais, je crois. Je jouais milieu droit.

 

On vous aurait plutôt imaginé à gauche…


(Il rigole.) Oui, vous n’avez pas tort. Ma place était plutôt à l’extrême gauche!

 

Que savez-vous des joueurs français?


Ils sont un peu les Brésiliens de l’Europe, non? Comment s’appelait cet artiste avec le numéro 10? C’est ça: Michel Platini! C’était un expert. Il faisait ce qu’il voulait. Les Français sont romantiques mais les Brésiliens sont des artistes, ils veulent du spectacle. Zidane? J’ai adoré son coup de tête à l’Italien [Marco Materazzi] en 2006. Il fallait qu’il réagisse face à ce fils de pute.

 

« Ce que j’aime, c’est inventer»

Vous venez de dessiner le futur musée Pelé, qui sera édifié à Santos. Comment avez-vous procédé?


Je me suis inspiré du foot et du ballon pour imaginer ce musée [constitué d’une tour de 20 mètres de hauteur et d’un ballon de 7 mètres de diamètre, en ciment]. J’ai voulu faire quelque chose à l’image de Pelé qui est un inventeur, un peu comme moi. Même si lui est plus important qu’Oscar Niemeyer…

 

Comment travaillez-vous?


Quand on me propose un projet, je le pense d’abord dans ma tête, je me demande comment il peut s’implanter. Après, je le dessine précisément. Parfois, je résous tout ça en quelques heures. C’est comme une œuvre d’art. Ce que j’aime, c’est inventer. Jouer sur les formes, les dimensions, les perspectives. Chaque projet doit être un renouvellement. Récemment, j’ai fait une église [il demande à son arrière-petit-fils de nous montrer son projet]. Vous avez déjà vu une église pareille? La croix fait office de support et l’église est soutenue par les bras de la croix. J’ai voulu faire quelque chose qui attire l’attention!

 

A 103 ans, l’heure de la retraite n’a donc pas encore sonné…


Non, j’aime toujours travailler, imaginer des projets. L’architecture m’intéresse toujours et je suis né pour ça, je crois. Mais quand les gens m’en parlent un peu trop à mon goût, je change de conversation! Je trouve que la vie est plus importante que l’architecture. Je préfère discuter politique avec des amis communistes, me tenir informé des problèmes des Brésiliens, penser à des solutions pour s’en sortir dans ce monde pervers, ouvrir les jeunes sur la philosophie, la culture, etc. C’est ce qu’on essaie de faire avec notre magazine Nosso Caminho ("Notre chemin").

 

Quel souvenir gardez-vous de la France, où vous avez vécu et travaillé à la fin des années 1960?


J’ai toujours beaucoup d’enthousiasme pour la France, son peuple et la façon dont les jeunes savent se prendre en main et se révolter quand c’est nécessaire. C’est un bon exemple. Une personne illustre parfaitement l’idée que je me fais de la France : André Malraux [alors ministre de la Culture, qui lui avait permis de rester en France après le coup d’Etat militaire au Brésil en 1964]. C’était un garçon fabuleux, brillant, intelligent et modeste, qui en plus écrivait bien. J’ai beaucoup voyagé et rencontré de nombreuses personnalités, mais Malraux est l’homme qui m’a le plus impressionné dans ma vie.

 

A quand remonte votre dernier voyage en France?


Il y a une dizaine d’années. J’ai arpenté les Champs-Elysées. C’est merveilleux. J’avais loué un appartement boulevard Raspail, près d’une librairie passionnante. J’allais aussi à la Coupole, un endroit délicieux. La France est vraiment un pays fantastique, même s’il semble que la vie n’y est pas facile pour tout le monde en ce moment.

 

« J’ai 102 ou 103 ans. Le temps passe vite...»

Parlez-nous du Brésil d’aujourd’hui. Peut-on parler de miracle brésilien?

 
Oui, je crois. C’est très beau ce qui se passe ici en ce moment. J’ai vu l’évolution et je peux vous dire que nous sommes partis de très loin. Lula a permis aux Brésiliens de sourire un peu. Il a fait un travail fantastique. C’est une vraie bénédiction d’avoir eu un président comme lui. Intelligent, patriote, parlant bien et proche du peuple car il en est issu. Je l’ai connu alors qu’il n’était que simple ouvrier métallurgiste. On organisait des réunions communes avec le Parti communiste. Lula s’est aussi occupé de l’Amérique latine tout entière. Il a fraternisé avec Fidel [Castro], avec [Hugo] Chavez et il a redonné de la fierté aux Sud-Américains en montrant que les autres – les Américains notamment – ne peuvent pas tout faire.

 

La nouvelle présidente Dilma Rousseff va-t-elle maintenir cet élan?


Elle est préparée, compétente, elle a travaillé avec Lula. Elle suscite l’espoir et je pense qu’elle va poursuivre le travail qu’il a entrepris.

 

Comment voyez-vous l’avenir?


Nous avons publié dans notre magazine un article de Fidel Castro qui résume mon sentiment. Il pense que la guerre nucléaire est inévitable. Tout est prêt à exploser. C’est la triste réalité [il réfléchit longuement]. J’ai 102 ou 103 ans. Le temps passe vite, on ne peut pas l’arrêter. Nous vivons dans un monde difficile. Il faut essayer de le changer pour établir un système plus juste.

 

Quel est le secret de votre longévité?


Je ne sais pas. Ma vie, c’est le destin. Mais la vie n’est pas si généreuse, c’est une bataille. Un jour on m’a demandé: "Niemeyer, que penses-tu de la vie?" J’ai répondu: "Une femme à côté. Le reste, c’est Dieu qui choisit."

Eric Frosio, à Rio de Janeiro - Le Journal du Dimanche

Samedi 05 Février 2011

 

 

 

http://camarade.over-blog.org/

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #Arts et culture

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