oaxaca: les assassinats de l'industrie minière
Publié le 27 Mars 2013
https://paris.indymedia.org/spip.php?article13156
San José del Progreso, Oaxaca, 15 Mars 2013.
San José del Progreso est un petit village zapotèque des vallées centrales
de Oaxaca, situé à environ une heure de route de la capitale de l’Etat. La
route traversant la vallée d’Ocotlan, depuis Oaxaca en direction des
montagnes de la Sierra Sur, à l’air paisible à première vue… mais depuis
que les entreprises minières se sont réinstallées dans la région, elle est
devenue le théâtre d’embuscades répétées contre les opposants de la
région. Ce 15 mars 2013 est journée de commémoration d’un deuil justement,
car il y a un an jour pour jour, des pistoleros mitraillaient la voiture
de Bernardo Vasquez Sanchez, leader local de la Coordination des Villages
Unis de la vallée d’Ocotlan, en lutte contre l’entreprise minière
canadienne Fortuna Silver, installée à San José del Progreso, où depuis
2011 elle y exploite un gros filon d’or et d’argent.
L’activité minière, relativement abandonnée à Oaxaca durant le 20e siècle,
est désormais en recrudescence dans tout l’Etat du fait de l’explosion du
prix des matières premières et des libéralisations économiques effectuées
par le Mexique, de 1992 à aujourd’hui. Les vieilles mines coloniales,
abandonnées entre le 19e et le 20e siècle, sont de nouveau convoitées par
les multinationales principalement canadiennes, revenues exploiter des
gisements que les nouvelles techniques d’extraction rendent désormais
extrêmement rentables, malgré les dégâts environnementaux gigantesques qui
en résultent, du fait du traitement au cyanure des centaines de milliers
de tonnes de roche extraites annuellement de ces nouvelles exploitations.
A San José del Progreso, l’une des premières mines réactivées à Oaxaca,
Fortuna Silver a ainsi sorti de terre plus de 450 000 tonnes de roches en
2011, pour arriver à en extraire au final 13 tonnes d’argent et 130 kg
d’or… mais à 30 et 1660 dollars respectivement la livre d’or et d’argent,
ce sont près de 15 millions de dollars ainsi assurées par la mine, pour sa
première année de production. Un pactole qu’elle espère démultiplier dans
les années à venir, et qui justifie toutes les exactions possibles pour en
assurer le fonctionnement. Et en l’occurrence, à San José comme ailleurs
au Mexique (ou dans le monde), il suffit bien souvent de n’en distribuer
que quelques miettes aux autorités locales pour assurer l’ordre des
choses, malgré la captation de toutes les ressources aquifères, malgré la
pollution occasionnée par le cyanure et les explosions de dynamite, et
malgré l’humiliation quotidienne de voir les richesses de ses montagnes
pillées au quotidien.
A San José, face à l’opposition des habitants locaux, inquiétés -un peu
trop tard- par l’ampleur prise par le projet minier et les dégâts
occasionnés à leurs maisons par les explosions de dynamite procédées par
l’entreprise pour construire les rampes d’accès souterraines au minerai,
c’est d’abord la répression policière qui fut déployée contre les
habitants, qui en 2009 avaient bloqué durant deux mois les travaux de
construction de la mine avant d’en être sauvagement chassés par une
opération de plus de 1000 éléments de police durant laquelle 22 personnes
furent incarcérés afin d’empêcher la reprise de la contestation. Les
rancœurs présentes face à la répression policière et la corruption des
autorités municipales, ainsi que l’énervement provoqué par une tentative
du maire de l’époque d’exploiter une sablière de la communauté pour son
compte personnel, débouchèrent à cette période, le 18 juin 2009, en une
confrontation violente durant laquelle le président municipal de l’époque
et une autre autorité municipale de San José perdirent la vie. La
répression s’abattit alors de nouveau sur les principales figures de la
Coordination des Villages Unis de la vallée d’Ocotlan.
L’alternance politique du gouvernement de Oaxaca en 2010, passant du
tristement célèbre Ulises Ruiz au leader oaxaqueño de centre-gauche Gabino
Cué Monteagudo, permit l’obtention de la révision des procédures
judiciaires levées contre les opposants, mais la répression changea
simplement de profil. Sous la direction du nouveau maire priiste du
village, Alberto Mauro Sanchez, un véritable gang de sicaires impose
désormais sa loi sur le village depuis 2011, année de véritable démarrage
de l’exploitation minière. La tentative d’habitants du village d’empêcher
la captation des eaux du réservoir municipal, le 18 janvier 2012, fut
ainsi réprimée par balles par les hommes de main du président municipal,
entraînant plusieurs blessés graves et la mort du villageois Bernardo
Méndez. Face aux demandes de justice et de destitution du président
municipal effectuées par Bernardo Vásquez Sanchez, leader local de la
Coordination des Villages Unis de la vallée d’Ocotlan, opposée aux
activités de la mine, des tracts et graffitis commencèrent alors à fleurir
dans tout la bourgade, annonçant sa « chute » prochaine, tandis que la
ville se retrouvait patrouillée en permanence par des proches du maire
équipés d’armes à feu, la plupart membres de l’association civile «
Défendons nos droits », financée par la mine.
Le 15 mars 2012, les menaces de mort contre Bernardo Vásquez Sanchez
furent finalement mises à exécution. Alors qu’il revenait de Oaxaca, la
capitale de l’Etat, l’opposant local fut pris en chasse sur la route
fédérale, à quelques kilomètres de l’entrée du village, et sa voiture fut
mitraillée par des tueurs à gages. Bernardo mourut sur le coup. Son cousin
et Rosalinda, une autre membre de la CPUVO, également présents dans la
voiture, furent quant à eux gravement blessés et portent toujours les
séquelles physiques de l’attentat. Le 16 juillet dernier, suite à un
blocus temporaire des activités de la mine opéré par les opposants,
rebelote : deux opposants, Guadalupe Vásquez Ruiz et Bertín Vásquez Ruiz
furent à nouveau gravement blessés par balles par des employés du
président municipal.
Malgré les témoignages et les plaintes opérées au niveau international,
notamment par Amnisty International, ni le maire, ni l’entreprise
canadienne n’ont été inquiétées jusqu’à ce jour, et seules deux personnes
subalternes furent arrêtées. Bien au contraire : Fortuna Silver, qui s’est
vue octroyée par le gouvernement mexicain d’autres concessions minières
dans l’Etat de Oaxaca, prévoit de rouvrir l’exploitation d’autres sites à
l’abandon, et notamment à Capulalpam de Mendez, un village zapotèque de la
Sierra Juarez de Oaxaca, où l’opposition à la réexploitation de la mine
est unanime.
Ce 15 mars 2013, en mémoire de l’assassinat un an auparavant de Bernardo
Vásquez Sanchez, la Coordination des Villages Unis de la Vallée d’Ocotlan
avait donc décidé d’opérer à un blocage symbolique de la mine durant la
journée, et de réaliser un meeting et des offrandes pour sa mort, aux
portes d’entrée du complexe industriel. Cette fois de nouveau, plusieurs
camionnettes encerclèrent le rassemblement et effectuèrent quelques coups
de feu d’intimidation. La pression de différents cabinets et associations
de droits de l’homme dissuada les manœuvres opérées par les hommes du
président municipal pour ce jour-ci, mais la menace plane toujours contre
les opposants locaux, toujours déterminés à obtenir justice et faire
partir l’entreprise minière Fortuna Silver, qui, au-delà de la
contamination environnementale, a depuis son arrivée, plongé le village
dans la division, les rancœurs et la peur quotidienne.
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Tract diffusé le 15 mars 2013 par la Coordination des Villages Unis de la
Vallée d’Ocotlan (CPUVO) :
A un an de l’assassinat de Bernardo Vasquez Sanchez, la Coordination des
Villages de la Vallée d’Ocotlan exige la justice pour San José del
Progreso
Pour la communauté zapotèque de San José del Progreso et les villages des
Vallées centrales de Oaxaca, le 15 mars représente une page douloureuse.
Ce jour-là fut assassiné notre compagnon Bernardo Vasquez Sanchez par un
groupe de sicaires embauchés par les autorités municipales du village,
fortement liées à l’entreprise minière Fortuna Silver Mines. A un an de
son assassinat, nous dénonçons le fait que les violations des droits de
l’homme perpetrées par l’entreprise minière continuent ; la communauté
continue à vivre sans justice, vu l’implication prise par l’entreprise
dans les domaines sociaux, politiques et municipaux.
Depuis 2006 la défense de la Coordination des Villages Unis de la Vallée
d’Ocotlan est restée cantonnée au cadre juridique défini par l’Etat de
Oaxaca et par l’Etat fédéral. Nous sommes un mouvement de citoyenNEs
préoccupéEs par la contamination de l’environnement, la polarisation
sociale au sein de la municipalité et la spoliation de notre territoire.
Notre défense est et continuera à s’exercer de manière pacifique. C’est
ainsi que ce 15 mars nous rappelle le niveau d’impunité avec laquelle les
entreprises minières peuvent opérer et implanter leurs projets grâce à la
complicité des gouvernements municipaux, de l’Etat de Oaxaca et du
gouvernement fédéral mexicain.
Face aux violations de nos droits commises par l’entreprise minière
Fortuna Silver Mines, la Coordination des Villages Unis de la Vallée
d’Ocotlan EXIGE :
- De l’exécutif fédéral et de l’Etat de Oaxaca : la fermeture définitive
de l’entreprise minière Cuzcatlan, filiale de Fortuna Silver Mines, vu que
put être prouvé le fait que depuis 2006 l’entreprise a provoqué des
violations des droits humains contre la communauté.
- A l’officine de Défense des Droits Humains du village de Oaxaca, la
Coordination pour l’Attention des Droits Humains de l’Etat de Oaxaca et la
Commission Nationale des Droits Humains : que soit lancée une plainte du
fait des violations systématiques de ces droits commises contre la
communauté de San José del Progreso.
Nous lançons un appel aux autorités canadiennes afin qu’elles assument le
cas de l’assassinat de Bernardo Vazquez, et qu’elles enquêtent sur les
violations aux droits humains commises par l’entreprise minière au sein de
la communauté de San José del Progreso.
Ce 15 mars, nous avons décidé de bloquer de manière symbolique les
installations de l’entreprise minière, vu qu’elle ne représente pas
jusqu’à présent une option de développement pour la communauté, mais que
bien au contraire elle génère une division interne et des conflits qui ont
abouti à la mort de 4 citoyens de San José del Progreso. Finalement, nous
rendons responsables le président municipal de San José del Progreso,
Alberto Mauro Sanchez Muñoz, et l’entreprise minière Fortuna Silver Mines
de tout acte attentant à l’intégrité physique et psychologique des membres
de la CPUVO.
Pour la Défense de la Vie : Non à la mine ! Que s’en aillent la mine
Cuzcatlan et Fortuna Silver de San José del Progreso ! Nous ne voulons pas
de morts supplémentaires du fait de l’imposition des projets miniers à
Oaxaca !
Coordination des Villages Unis de la Vallée d’Ocotlan (CPUVO)
San José del Progreso, Oaxaca. 15 mars 2013.
plus d’informations en espagnol : http://endefensadelosterritorios.org
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Mexique : industrie minière et résistances
article en cours d’une compa de Toulouse
1992 a été une année funeste pour le Mexique rural : la modification de
l’article 27 de la Constitution levait la restriction sur la propriété
privée de la terre et scellait le début de la privatisation des terres
communales et des ejidos, inaliénables jusqu’alors. Deux ans plus tard,
l’entrée en vigueur du Traité de Libre Commerce entre le Canada, les
Etats-Unis et le Mexique, parachevait le processus de destruction de la
paysannerie mexicaine.
Mais Salinas de Gortari, le président de l’époque, ne s’arrêta pas en si
bon chemin : en 1992, il signa aussi la loi minière, autre énormité
juridique qui, conjointement avec la Loi d´Investissements Étrangers,
permettait que des entités étrangères contrôlent 100% des activités
d´exploitation et de production. L´Article 6 de cette loi minière
établissait que l´exploration et l´exploitation de minéraux aurait la
priorité sur toute autre utilisation de la terre, y compris l´agriculture
ou le logement. Exit les communautés rurales établies sur place .
C’est ainsi que les Etats-Unis, mais surtout le Canada, se sont emparés de
l’exploitation minière au Mexique, ainsi qu’en Amérique centrale. En deux
décennies, les firmes canadiennes ont réussi à s’accaparer de 70% de
l’exploitation de l’or mexicain en plus de nombreuses autres ressources
minières (argent, cuivre, plomb, etc.). Les compagnies transnationales
signent des concessions prolongées, en très nette augmentation ces
dernières années , qui leur assurent des profits colossaux dont les
communautés ne voient que les miettes, souvent détournées d’ailleurs par
les autorités locales. En revanche, ce que les populations perçoivent
concrètement, c’est la pollution des terres et des ruisseaux qui provoque
différentes maladies infectieuses, déformations génétiques,
fausses-couches ou accouchements prématurés pour les femmes, maladies de
la peau, empoisonnement du bétail, … Et puis il y a toutes les manœuvres
et autres stratégies frauduleuses, ourdies par les compagnies minières
pour tenter d’obtenir l’assentiment des populations. « Cela peut aller de
la distribution de paniers alimentaires ou de jouets sur les places
publiques, jusqu’aux écoles ou cliniques édifiées à la va-vite, sans
concertation locale » commente Leticia Silva, de la FAO (Frente Amplio
Opositor a la mina San Javier, sur le territoire sacré des Wirikutas, dans
l’Etat de San Luis Potosí). Ces stratégies de domination passent également
par les tentatives de soudoiement et de cooptation des liderazgos,
héritées des vieilles méthodes des caciques et des partis politiques
locaux, sous l’œil complice des autorités fédérales. Et puis il y a la
violence pure, brutale, celle des persécutions et des assassinats
d’opposants locaux, celle des sicaires qui agissent en toute impunité
lorsque la cooptation n’est plus possible, celle des familles divisées,
des populations déplacées, des liens communautaires affaiblis ou détruits
.
- Voir les articles de Mandeep Dhillon, Les entreprises minières
canadiennes au Mexique : violence made in Canada, in Bulletin Ciepac
n°535, 2007. http://www.ciepac.org/boletines/chi... et d’Adam
CHARLEBOIS,
« pillages de l’ère moderne », mercredi 6 juillet 2011.
www.lepetitjournal.com/Mexico
- Selon OCMAL, l’Observatoire des conflits miniers en Amérique latine, les
concessions octroyées par le gouvernement fédéral mexicain pour
l’exploration et l’exploitation représentent aujourd’hui 16,58% de
l’ensemble du territoire. Durant le sexennat de Felipe Calderón, entre
2006 et 2012, le nombre de concessions a augmenté de 53%, passant de 21 à
32,5 millions d’Ha. Rien que pour le 1er semestre 2012, 1 343 nouveaux
permis ont été accordés. Voir le lien (en espagnol)
http://www.conflictosmineros.net/co...
- « Depuis que l´ALENA est entré en vigueur en 1994, plus de 15 millions
de mexicains ont été déplacés de leurs terres. Mais le mythe qui consiste
à faire croire que l´exploitation minière est une activité fondamentale
pour le développement économique a été crucial pour l´industrie. La
plupart des emplois crées pour la population locale sont à court terme et
de bas salaires. De plus, les entreprises minières reçoivent de fortes
aides du gouvernement dans la majorité des pays, produisent des villages
fantômes quand les projets se terminent et laissent aux gouvernements
locaux le problème de la gestion des déchets. Le coût environnemental à
long terme pour les communautés locales n´a jamais été calculé. » (Mandeep
Dhillon, « Les entreprises minières canadiennes au Mexique : violence made
in Canada », in Bulletin Ciepac, juillet 2007).