Marcos Ana : Mon coeur est une cour
Publié le 1 Mars 2013

La terre n'est pas ronde;
c'est une cour carrée
où les hommes tournent
sous un ciel d'acier
J'ai rêvé que le monde était
un spectacle tout rond
entouré par le ciel,
des villes, des campagnes
en paix, du blé et des baisers,
des rivières, des montagnes
et de vastes mers où voguent
des coeurs et des bateaux.
Mais le monde est une cour.
Une cour où les hommes
sans espace, tournent fou.
Parfois, quand je monte
à ma fenêtre, je palpe
de mes yeux la vie
de lumière dont je rêve toujours.
Et je me dis alors :" Le monde
est plus qu'une cour
et ces dalles terribles,
qui consument mes jours."
J'entends des collines libres,
des voix dans les peupliers,
la parole bleue du fleuve
qui ceind mon échafaud.
" C'est la vie " disent-ils,
les arômes,le chant
rouge des chardonnerets,
la musique dans le verre
blanc et bleu du jour.
Le rire d'un jeune homme....
Mais je rêve éveillé :
ma grille est la paroi
d'un rêve qui donne sur les champs.
Je m'éveille et tout déjà
- hors du sommeil - est une cour.
Une cour où les hommes
sans espace, tournent fou.
Tant de siècles déjà
d'être né emmuré
j'ai oublié le monde
et le chant de l'arbre,
la passion qui enflamme
les lèvres enamourées
les mains sans clous
et les portes sans clés !
Je crois que tout déjà
- hors du rêve - est une cour.
Une cour sous un ciel
de fosse, déchiré,
que les murs et les parafoudres
ont cerné et poignardé.
Même le rêve a oublié
l'ancienne liberté des jours.
Tout, tout, tout déjà
- même en rêve - est une cour
Une cour où tourne
mon coeur cloué,
mon coeur nu,
mon coeur hurlant,
mon coeur qui a
la forme grise d'une cour.
Une cour où tournent
les hommes sans repos.
MARCOS ANA
Né en 1920. Très jeune, il a combattu auprès de l’armée républicaine durant la guerre civile. Quelques semaines après l’instauration par la force de la dictature de Franco, en 1939, Marcos Ana fut arrêté, torturé, et condamné à mort. Il resta dans les geôles du franquisme pendant 23 ans. Durant ces années d’emprisonnement, Marcos Ana a écrit des poèmes qui ont porté avec détresse son nom, et ceux de ses compagnons, à travers le monde, contribuant ainsi à susciter une campagne de solidarité internationale sans précédent. Il a été un des premiers prisonniers politiques de par le monde à être défendu par Amnesty International. A sa libération, en 1962, Marcos Ana parcourt le monde où il sera reçu dans les parlements, les universités,… afin de témoigner de la situation inhumaine des prisonniers politiques sous la dictature de Franco. A Paris, il créera et dirigera jusqu’à la fin du franquisme le Centre d’Information et de Solidarité avec l’Espagne (CISE), présidé par Pablo Picasso. En 2007, il publie son autobiographie, "Dites-moi à quoi ressemble un arbre", qui sera rapidement un succès. Quelques mois après sa parution, le cinéaste Pedro Almodóvar en achète les droits d’adaptation à l’écran. . Il est un véritable symbole vivant de la culture antifranquiste.
Sources : Emmila gitana pour le poème, Les chemins de la mémoire pour la bio