Ma race de José Marti
Publié le 25 Mars 2012
Un texte de mon maître à penser José Marti qui trouve toujours sa place en ses temps troublés où la brèche de la peste brune a été entrouverte laissant s'insinuer en elle les esprits faibles et égarés.
Sans cette notion de race, le racisme n'existerait pas, ou du moins le mot mais l'homme en aurait inventé un autre pour justifier sa haine de celui qui ne lui ressemble pas.
La couleur du sang est la même pour tous les hommes de la terre, la souffrance et les sentiments ne sont pas vécus différemment selon la couleur ou l'origine.
J'espère que vous trouverez également comme moi des enseignements en lisant ce texte.
Caroleone
"Les méchants ne réussissent que là où les bons sont indifférents." José Marti
Texte écrit par José Marti dans Patria, le journal qu'il avait fondé en exil aux États-Unis pour rassembler tous les indépendantistes. Ce texte est paru le 16 avril 1893 et il est d'une brûlante actualité à propos du racisme qui resurgit dans le monde.
"Le terme " raciste " se fait de plus en plus confus, et il est nécessaire d'en éclairer le sens. L'homme ne détient aucun droit particulier par le seul fait d'appartenir à telle race ou à telle autre : disons le mot homme, et tous les droits sont alors évoqués.
Le Noir, parce qu'il est noir, n'est ni inférieur ni supérieur à un autre homme, quel qu'il soit : il pèche par redondance, le Blanc qui dit " ma race " ; il pèche par redondance le Noir qui dit << ma race >> .
Tout ce qui discrimine les hommes, tout ce qui les chasse, les sépare ou les enferme, est un péché contre l'humanité.
Quel Blanc de bon sens aurait l'idée de se glorifier d'être blanc, et que vont penser les Noirs du Blanc qui se glorifie de l'être et croit pour autant avoir des droits particuliers ?
Que vont penser les Blancs du Noir qui se glorifie de sa couleur ?
Insister sur les divisions raciales, sur les différences raciales, d'un peuple naturellement divisé, revient à rendre plus difficiles le bonheur public et l'individuel, qui résident dans un plus grand rapprochement des éléments qui doivent coexister. Quand on dit que chez le Noir il n'est pas de faute originelle, ni de virus qui le rende inapte à développer pleinement son âme d'homme, on dit la vérité, et on doit la dire, la démontrer, parce que l'injustice en ce monde est grande, comme l'est l'ignorance de ceux là mêmes qui passent pour sages, au point qu'il est encore des gens de bonne foi qui tiennent le Noir pour incapable de posséder l'intelligence et le coeur de l'homme blanc ; et si l'on appelle racisme cette défense de la nature, peu importe qu'on l'appelle ainsi, car elle n'est que l'expression de la dignité naturelle, et la voix qui du fond du coeur de l'homme s'élève en faveur de la paix et de la vie de sa patrie. Si l'on avance que l'état d'esclavage n'implique pas une infériorité chez la race esclave, puisque par exemple, les Gaulois à la peau blanche, aux yeux bleus et aux cheveux dorés furent vendus comme esclaves, l'anneau au cou, sur les marchés de Rome, il s'agit alors d'un bon racisme, car il n'est que justice et sert à ôter des préjugés au Blanc ignorant. Mais à cela se limite ce racisme juste, qui est le droit du Noir à soutenir et à montrer que sa couleur ne le prive d'aucune des aptitudes ni d'aucun des droits de l'espèce humaine.
Le raciste blanc, qui croit que sa race a des droits supérieurs, quel droit a t il de se plaindre du raciste noir qui lui aussi considérera que sa race a des qualités propres ?
Le raciste noir, qui voit dans sa race des qualités spécifiques, quel droit a t il de se plaindre du raciste blanc ?
L'homme blanc qui, par sa race, se croit supérieur à l'homme noir, admet l'idée de race, et légitime et provoque le raciste noir. L'homme qui met en avant sa race, quand bien même ce qu'il met en avant sous cette forme erronée ne serait que l'identité spirituelle de toutes les races, légitime et provoque le raciste blanc. La paix requiert les droits communs naturels : les droits discriminatoires, contraires à la nature, sont ennemis de la paix. Le Blanc qui s'isole, isole le Noir. Le Noir qui s'isole, pousse le Blanc à s'isoler.
À Cuba, il n'y a nulle raison de craindre la guerre des races. La notion d'homme est supérieure à celle de blanc, de mulâtre, de noir. Celle de cubain est supérieure à celle de blanc, de mulâtre, de noir. Sur les champs de bataille, quand ils sont morts pour Cuba, se sont élevées ensemble dans les airs les âmes des Blancs et des Noirs. Dans la vie de chaque jour faite de résistance, de loyauté, de fraternité, d'astuce, à côté de chaque Blanc toujours il s'est trouvé un Noir. Les Noirs, comme les Blancs, se répartissent selon leurs caractères timorés ou courageux, dévoués ou égoïstes, dans les différents partis où les hommes se regroupent. Les partis politiques sont des sommes de préjugés, d'aspirations, d'intérêts et de caractères. Les ressemblances essentielles se cherchent et se trouvent par dessus les différences de détail ; et les éléments fondamentaux des caractères analogues se fondent dans les partis, même si sur des points accidentels, ou des questions secondaires par rapport au mobile commun, ils accusent des divergences.
Mais en définitive, la similitude des caractères, qui est un facteur d'union supé
rieur aux relations internes d'un groupe humain de la même couleur dans tous ses degrés, qui parfois connaît des dissensions d'un degré de couleur à l'autre, est déterminante et commande en matière de formation des partis. L'affinité des caractères est plus puissante entre les hommes que l'affinité de couleur. Les Noirs, répartis entre les secteurs divers ou opposés créés par l'esprit humain, jamais ne pourront se liguer, ni ne voudront se liguer, contre le Blanc, qui se répartit entre les mêmes secteurs. Les Noirs sont trop fatigués de l'esclavage pour entrer volontairement dans l'esclavage de la couleur. Les hommes vaniteux et intéressés, blancs ou noirs, s'en iront d'un côté ; et les hommes généreux et désintéressés s'en iront de l'autre. Les hommes authentiques, noirs ou blancs, auront des rapports loyaux et amicaux dictés par le goût du mérite, et la fierté de tout ce qui peut honorer la terre où nous sommes nés, que nous soyons blancs ou noirs. Le mot raciste disparaîtra de la bouche des Noirs qui l'emploient aujourd'hui de bonne foi lorsqu'ils comprendront qu'il constitue l'unique argument, valable en apparence, et pris comme tel par des hommes sincères et craintifs, pour refuser au Noir la plénitude de ses droits d'homme. Seraient également coupables de racisme, le raciste blanc et le raciste noir. De nombreux Blancs ont déjà oublié leur couleur ; il en va de même pour de nombreux Noirs. Ensemble, Blancs et Noirs, ils travaillent à la culture de l'esprit, à la propagation de la vertu, et au triomphe du travail créateur et de la charité sublime.
À Cuba, jamais il n'y aura de guerre de races. La République ne peut pas reculer ; et la République, depuis le jour sans pareil de la rédemption du Noir à Cuba, depuis la première Constitution de l'indépendance, le 10 avril à Guaimaro, n'a jamais parlé de Blancs ni de Noirs. Les droits publics, concédés alors par pur calcul par le gouvernement espagnol et introduits dans les mœurs avant l'indépendance de l'Ile, ne pourront être niés désormais, ni par l'Espagnol qui les maintiendra tant qu'il vivra à Cuba, afin de continuer à diviser le Cubain noir et le Cubain blanc, ni par l'indépendance, qui ne saurait nier dans la liberté les droits que l'Espagnol a reconnus au temps de la servitude.
Pour le reste, chacun sera libre, dans l'enceinte sacrée du foyer. Le mérite, la démonstration publique et continuelle de la culture, et les relations inévitables achèveront d'unir les hommes. À Cuba, il y a beaucoup de grandeur, chez les Noirs comme chez les Blancs. "
Traduction de Jean Lamorre, professeur à l'Université de Bordeaux en France et de Santiago de Cuba.
Comité libanais pour la libération des 5