Luis Garcia Montero : Je suis comme je suis à cause des poèmes que j'ai lus
Publié le 13 Juin 2010
UN AVIS QUE JE PARTAGE BIEN SUR
Caroleone
Madeleine Sautié Rodriguez
POUR l’intellectuel espagnol Luis Garcia Montero, ce 15ème Festival international de poésie qui s’est tenu jusqu’au 30 mai à La Havane est l’occasion rêvée, pour les poètes du monde, de connaître et de discuter ce qu’ils font.
C’est justement à cette fête des lettres que nous devons la présence de ce poète, critique et journaliste de Grenade, un des grands noms de la littérature hispanique actuelle: Prix national de poésie, nominé pour le Cervantès en 1999, ce militant du Parti communiste espagnol et de la Plate-forme contre l’impunité du franquisme a bien voulu bavarder avec Granma après avoir donné une conférence au Centre culturel Dulce Maria Loynaz sur le recueil de Rafael Alberti intitulé Sobre los angeles (Sur les Anges). Uni au grand poète espagnol par une solide amitié, Garcia Montero a préparé l’édition complète de sa poésie.
Participant zélé aux activités qui ont marqué le centenaire du poète Miguel Hernandez, militant antifasciste depuis les tranchées républicaines, il est convaincu qu’il faut fréquenter Alberti. Hommage ou revitalisation?
«Les deux, parce que c’est un grand poète et un des plus populaires d’Espagne, ce qui est entièrement mérité. Il incarne un peu les années difficiles de la guerre civile espagnole et des prisons du franquisme. Il est donc juste que l’ensemble de la société lui rende hommage, et tout hommage est à sa manière une revitalisation: il y a des jeunes auprès de qui il convient de divulguer son œuvre.»
Garcia Montero trouve dans les poèmes d’Alberti «un dialogue qui s’établit entre la réalité et la conscience individuelle» et qui lui a apporté des enseignements précieux. «Une des leçons léguées par Rafael est que le métier du poète consiste à faire de la bonne poésie. Le contenu n’est jamais une justification: si le contenu le plus beau, le plus juste, le plus solidaire, est exprimé en mauvais vers, le poème n’atteint pas son but. Et Rafael s’est lancé dans des recherches pour faire de la bonne poésie politique, il ne s’est jamais reposé sur ses lauriers. Le poète ne peut pas fermer les yeux sur la réalité. Il ne peut pas mentir, ni à lui-même ni aux autres. La leçon la plus vivante de Rafael, c’est la poésie de la conscience.»
Sa dévotion pour Garcia Lorca est évidente: «Pour ma génération, grandir est revenu à chercher la ville qui avait été rayée de la carte par la guerre civile. Nous avons dû apprendre à vivre contre le franquisme et récupérer les noms de ceux qui ont été réduits au silence par l’exil, la mort, la manipulation. Lorca, c’était un peu notre travail de croissance intellectuelle.»
Montero croit dans le pouvoir de la poésie: «Elle est inséparable de la conscience critique, parce qu’un poète est un citoyen et, dans ce sens, toute poésie a une dimension éthique. La poésie est un espace de résistance, un espace de rébellion face à un monde fait de précarités.»
Quel rôle joue la poésie dans les luttes des peuples? Garcia Montero estime que la poésie agit à long terme, car «elle mise sur le dialogue, de conscience à conscience. Je ne sais pas si mes poèmes sont utiles, mais je sais que je suis comme je suis à cause des poèmes que j’ai lus: Antonio Machado, Federico Garcia Lorca, Rafael Alberti, Eliseo Diego, José Marti. Voilà pourquoi je continue de défendre le rôle de la poésie dans la résistance. Elle incarne la conscience individuelle dans les temps les plus durs, et il vaut la peine de la prendre au sérieux».
GRANMA