Le pape, la pédophilie et la lutte des classes

Publié le 13 Mai 2010

AUTEUR: Sara FLOUNDERS

Traduit par Chloé Meier. Edité par Michèle Mialane.

 

 

Il y a plus de 150 ans, Karl Marx expliquait que "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours a été uniquement l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, bref oppresseurs et opprimés," se sont affrontés dans une lutte ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée". La société moderne s'accompagne "de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte".

 

Depuis 25 ans, l'Eglise catholique se trouve au centre d'une lutte acharnée: ceux et celles qui avaient subi des abus sexuels durant leur enfance ont été de plus en plus nombreux à déposer plainte contre des prêtres en tant qu'individus, et, plus récemment, contre la puissante hiérarchie de l'église, dont des évêques et des cardinaux avaient systématiquement protégé les abuseurs.

 

Venue de la base, cette demande de justice a fait l'impensable: révéler le rôle du pape actuel, Benoît XVI, dans de monstrueuses et criminelles manœuvres de dissimulation d'envergure internationale.

 

Le marxisme est une science permettant de comprendre les questions de classes qui sous-tendent des évolutions sociales apparemment obscures et à mille lieues du combat immédiat des travailleurs. Bien que cachée dans l’ombre des sacristies, la controverse actuelle est en tous points une lutte des classes au sein de l'Eglise catholique. C'est une petite partie de la lutte globale des classes pour l’égalité, la défense des droit et l’émancipation.

 

Ce que l'on acceptait autrefois, croyant qu'on ne pouvait rien y faire, est devenu intolérable. Les milliers de personnes qui aujourd'hui formulent des accusations étaient de fidèles croyants issus des classes populaires qui se sont trouvés des années durant dans l’impossibilité totale de résister, ou même de parler à leur propre famille des crimes subis. Ils ont été abusés dans des orphelinats, des maisons de correction, des institutions spécialisées pour sourds ou handicapés, des écoles paroissiales locales ou dans des églises.

 

Le fait que certaines personnes "d'en bas" bravent le secret et la répression marque une rupture brutale avec le passé. Jusque-là, les abus n'avaient pas été dénoncés parce que l'autorité religieuse n'était pas mise en cause. Pour preuve, dans de nombreuses écoles paroissiales, les abus sexuels étaient certes cachés, mais la maltraitance physique et psychologique, comme les humiliations, constituaient des pratiques si courantes qu'elles semblaient faire partie du cursus.

 

À mesure que les victimes ont commencé à parler, les prêtres qui les soutenaient ont été réduits au silence et se sont vu retirer leurs charges d'enseignement ou leurs postes à responsabilités. La hiérarchie ecclésiastique, un groupe restreint qui détient l'autorité religieuse absolue, n'a pas réussi pour autant à les faire taire ni à arrêter leur mouvement.

Pratiquement aucune dénonciation n'est venue de l'extérieur ou des autorités civiles, qui craignaient bien trop d'offenser une institution aussi puissante. Ce sont des catholiques apparemment dépourvus de tout pouvoir au sein de l'Eglise qui ont décidé de briser le silence. Ils ont porté plainte, fait des dépositions et finalement mené d'innombrables actions en justice; ils ont donné des conférences de presse, créé des sites internet, organisé des manifestations, mis sur pied des groupes d'aide et distribué des tracts lors de services dominicaux. Qu'ils se considèrent ou non comme partie intégrante de la lutte plus vaste pour les droits et la dignité, ils recourent en grande partie aux mêmes tactiques que d'innombrables autres mouvements.

 

Luttant pour défendre son autorité, ses biens et ses privilèges incontestés, la hiérarchie ecclésiastique a imposé un silence absolu et menacé d'excommunier les auteurs de dénonciations, ainsi que quiconque réclamait une intervention des autorités civiles. Ces efforts visant à maintenir la mainmise absolue du clergé participe d'un conflit interne portant sur la question suivante: Au service de qui cette puissante institution doit-elle se mettre ?

Dans le cadre du scandale international qui secoue actuellement l'Eglise catholique, des preuves détaillées ont déjà été fournies sur des dizaines de milliers de cas de viols ou d'abus sexuels commis par des milliers de prêtres sur des enfants. Les accusations portent sur des décennies. La colère a éclaté sous ses formes les plus virulentes dans les villes abritant les croyants les plus fervents des Etats-Unis; elle a ensuite gagné l'Irlande, l'Italie, puis l'Allemagne, dont la population est en grande partie composée de catholiques.

La grande nouveauté, à laquelle les médias consacrent une attention quasi quotidienne, réside dans les preuves, émanant de toutes parts, de la responsabilité personnelle que porte le pape actuel, Benoît XVI, dans les pratiques utilisées pendant des dizaines d'années pour permettre aux prédateurs sexuels de s’évanouir dans la nature, les couvrir ou les muter discrètement. Les condamnations les plus lourdes sont proférées par ceux-là mêmes qui se considèrent encore comme appartenant à l'église catholique.

 

Le théologien catholique libéral Hans Küng expose le rôle du pape Benoît XVI dans une Eglise qui a laissé les abus se multiplier, étouffé les affaires et ordonné de se taire: "Personne, dans toute l'Eglise catholique, n'en savait autant que lui sur les cas d'abus sexuels, parce que ceux-ci relevaient de sa compétence. (...) Il est mal placé pour agiter un doigt réprobateur devant les évêques et leur reprocher de ne pas être intervenus. C'est lui-même, en tant que chef de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui en avait donné l'instruction, une instruction qu'il a réitérée une fois devenu pape.”

 

Dans l'éditorial du National Catholic Reporter du 26 mars 2010, on peut lire: "Le Saint Père doit, dans le cadre d'un forum crédible, répondre lui-même aux questions relatives à son rôle — en tant qu'archevêque de Munich (1977-82), en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (1982-2005) et en tant que pape (depuis 2005) — dans la mauvaise gestion de la crise concernant les abus sexuels commis par le clergé.”

Avant d'accéder au sommet de la hiérarchie catholique, en avril 2005, Benoît XVI était le cardinal Joseph Ratzinger. Ses détracteurs le comparaient volontiers à un pit bull et le surnommaient "le rottweiler de Dieu". Sympathisant de l’extrême droite, il comptait parmi les poulains du pape Jean-Paul II, et se montrait déterminé à faire régner la discipline, le conservatisme et l'autorité de l'Eglise dans une institution en plein bouleversement.

Pendant 24 ans, Ratzinger a dirigé l'institution la plus puissante et la plus répressive de l'église catholique: la Congrégation pour la doctrine de la foi. Appelée des siècles durant le Saint-Office de l'Inquisition, celle-ci était chargée de former des tribunaux religieux pour torturer et juger des milliers de personnes accusées de sorcellerie et d'hérésie. Elle a été l’instigatrice de pogroms et d’expropriations en masse à l’encontre des Juifs et des Musulmans. Le pape Jean-Paul II a tenté de s’en servir pour instaurer une Inquisition des temps modernes.

 

Des documents jettent la lumière sur une vaste opération de dissimulation

L'ampleur de la conspiration criminelle internationale ourdie afin d'assurer le silence, et donc de protéger les pédophiles en série et placer les intérêts de l'église au-dessus de la sécurité et du bien-être des enfants, a éclaté au grand jour l'année dernière, lorsqu'on a découvert comment avaient été gérés des cas d'abus sexuels en Irlande, un pays essentiellement catholique.

 

Pendant des années, les victimes d'abus ont demandé à l'église de prendre des mesures et au gouvernement d'engager des poursuites. Une série de révélations dans la presse irlandaise a finalement décidé le gouvernement irlandais à commander une étude dont la réalisation a pris neuf ans. Le rapport final, qui compte 2600 pages, a été publié le 20 mai 2009. Il repose sur le témoignage de milliers d'anciens usagers et employés de plus de 250 institutions placées sous la houlette de l'église. La commission chargée de l'enquête a établi que des prêtres et des nonnes catholiques avaient terrorisé des milliers de garçons et de filles pendant des dizaines d'années, et que les inspecteurs gouvernementaux n'avaient pas réussi à mettre un terme aux coups, aux viols et aux humiliations systématiques. Elle a qualifié d'endémiques le viol et l'atteinte à la pudeur dans les industrial schools (des écoles spécialisées dans l'éducation d'enfants abandonnés, négligés, et criminels) et les orphelinats dirigés par l'église catholique (www.childabusecommission.com/rpt/).

 

En Irlande, l'ampleur des abus et la force du mouvement exigeant des comptes ont contraint le pape Benoît XVI à publier au nom de l’Eglise catholique de pâles excuses qui rejetaient la faute sur les évêques irlandais. Qu'il se lave ainsi de toute responsabilité, alors que de notoriété publique il a joué un rôle majeur dans l'imposition du silence, a mis en rage des millions de catholiques croyants et sincères, et enflammé une opposition qui allait déjà croissant depuis des décennies au sein même de l'Eglise.

 

Dans un sermon prononcé à Springfield, (Massachusetts), le révérend James J. Scahill, qui dénonce de longue date les agissements de l'église pour étouffer tout scandale, a répondu à ces excuses formulées du bout des lèvres en qualifiant certains membres du clergé de "félons" et réclamé la destitution du pape Benoît XVI.

 

"Nous devons personnellement et collectivement déclarer que nous doutons beaucoup de la véracité des propos du pape et de ceux qui, dans la hiérarchie de l’église, le défendent ou se sacrifieront en son nom. Il devient évident que pendant des décennies, voire des siècles, les dirigeants de l'Eglise ont couvert des actes d'abus sexuels sur des mineurs afin de protéger l'image de l'institution et du clergé" (James J. Scahill, New York Times, 12 avril 2010)

 

James J. Scahill explique avoir commencé à réagir en 2002, à la demande de ses paroissiens, alors que des affaires de pédophilie s'étendant sur plusieurs décennies étaient dévoilées à Boston.

 

Le cardinal Bernard Law, de l'archidiocèse de Boston a clairement contribué à protéger des prêtres pédophiles de toute sanction par une autorité religieuse ou laïque en les transférant discrètement. En 2002, le scandale a éclaté à l'échelle nationale lorsqu'un juge du Massachusetts a autorisé la divulgation de milliers de pages de documents, notes et dépositions légales. Ces archives, qui font état de plus de 1000 enfants abusés dans l'archidiocèse par 250 prêtres ou personnes travaillant pour l'église depuis 1940, révèlent clairement un double dessein: d'une part dissimuler et protéger les coupables, et d'autre part marginaliser les victimes. Le cardinal Law a été contraint de démissionner et l'archidiocèse de Boston a dû verser entre 85 et 100 millions de dollars de réparations pour 552 cas.

 

Cette décision de justice qui contraint l'Eglise à verser plusieurs dizaines de millions de dollars aux victimes, l'ampleur des scandales dans d'autres villes et la couverture médiatique des affaires de pédophilie dans l'Eglise ont poussé les évêques américains à publier une "Charte pour la protection des enfants et des jeunes", qui prescrit une politique de tolérance zéro incluant le renvoi immédiat des prêtres à la moindre faute. Par contre, la charte ne prévoit aucune mesure contre les évêques impliqués dans des actes destinés à dissimuler les crimes.

 

Pourtant fort modestes, les efforts consentis par l'assemblée épiscopale américaine se sont heurtés à l'opposition de Joseph Ratzinger, alors cardinal. Celui-ci a demandé que toutes les accusations d'abus soient transmises à l'institution qu'il dirigeait — la Congrégation pour la doctrine de la foi — avant que les prêtres puissent être exclus du sacerdoce. L’un de ses premiers gestes après son accession au pontificat a été de nommer le cardinal Law, de Boston, à un poste prestigieux au Vatican.

 

Dans une lettre tristement célèbre qu'il a envoyée aux évêques en 2001, le cardinal Ratzinger a usé de sa position pour exiger le secret sur les allégations d'abus sexuels, sous peine d'excommunication: il demandait que les prêtres accusés de crimes sexuels ainsi que leurs victimes "observent le secret le plus strict" et qu'ils soient "tenus au silence perpétuel".

Ancien juriste au Vatican, le père Tom Doyle a dénoncé par ces mots cette politique adoptée dans les plus hautes sphères du Saint-Siège: "Il s'agit d'une politique explicitement conçue pour étouffer des affaires d'abus sexuels sur des enfants par des clercs et pour punir quiconque tenterait d'attirer l'attention sur ces crimes commis par des hommes d'Eglise. Si des prêtres pédophiles devaient être découverts, la réaction était non pas d'enquêter et de les poursuivre, mais de les affecter ailleurs."

 

Négligence ou complicité criminelle ?

 

Quelle est l'étendue des crimes sexuels sur des mineurs? La hiérarchie de l'Eglise est-elle coupable d'avoir ignoré le problème — ce qui équivaut à de la négligence criminelle? Ou se rend-elle coupable de complicité criminelle en refusant d'intervenir quand bien même les crimes lui sont directement signalés?

 

Une note signée de la main du cardinal lorsqu'il dirigeait la puissante institution vaticane vers laquelle étaient dirigées toutes les accusation d'abus, a été publiée en avril dernier, déclenchant un nouvelle vague d'effroi. Celui qui occupe maintenant la charge de pape a interrompu toute action entreprise contre un prêtre pédophile, le révérend Lawrence C. Murphy.

 

Le révérend Murphy était accusé d'avoir abusé – en dépit des demandes déposées pour réclamer son expulsion, y compris par son évêque – de plus de 200 garçons dans l'école pour sourds de Milwaukee. Durant des décennies, les anciens élèves ont formulé des requêtes pour que le père Murphy soit inculpé en recourant à un langage de signes et en faisant des dépositions sous serment lors de réunions auxquelles participaient des évêques et des fonctionnaires civils.

 

Au même moment, en Italie, le grand public apprenait que 67 anciens élèves d'une autre école pour sourds, sise à Vérone, accusaient 24 prêtres, frères et autres laïcs d'avoir abusé d'eux depuis l'âge de sept ans.

 

En Allemagne, plus de 250 affaires étouffées ont refait surface au cours des deux derniers mois, y compris dans des districts qui étaient placés sous la surveillance directe du cardinal Ratzinger.

 

Encouragés par le retentissement international du procès de Boston et par une condamnation à plusieurs dizaines de millions de dollars de réparations, de nombreuses autres victimes ont commencé à sortir de leur silence et à saisir la justice. Plus de 4000 prêtres ont été mis en accusation pour des actes pédophiles commis aux Etats-Unis et qui remontaient parfois jusqu'à 1950; l'Eglise catholique a dû verser plus de 2 millions de dollars aux victimes. En 2007, l'archidiocèse de Los Angeles a annoncé un accord chiffré à 600 millions pour un total de 500 plaignants. Six diocèses ont dû se en déclarer faillite et nombres d'autres vendre d'importants biens ecclésiastiques pour honorer leurs dettes.

La plupart de ces cas sont détaillés par le SNAP (Survivors Network of those Abused by Priests), un réseau de victimes d'abus commis par des prêtres qui se décrit comme étant le plus vieux et le plus grand groupe de soutien en la matière.

 

Il convient de relever que les abuseurs ne s'en sont pas pris aux seuls enfants. Le St. Louis Post-Dispatch du 4 janvier 2003, indiquait que plusieurs ordres de nonnes catholiques avaient financé une enquête réalisée par des chercheurs de l'Université de St. Louis University. Ceux-ci ont estimé à 34 000 au minimum les nones ayant subi des maltraitances sexuelles, soit 40% de toute la communauté monacale féminine des Etats-Unis.

D'ailleurs, la grande majorité des témoignages, actions en justice, investigations et révélations ont émané de l'Eglise catholique elle-même, à savoir des religieux ayant été abusés. C'est souvent par la suite que de nombreux catholiques ordinaires se sont joints à eux pour demander des comptes à une hiérarchie cléricale privilégiée soucieuse de défendre sa position, son autorité et ses biens, et non les enfants.

 

À travers toute l'Europe, de plus en plus de voix s'élèvent pour exiger que le pape Benoît XVI soit traduit devant la Cour pénale internationale (PCI) au motif que protéger l'Eglise plutôt que ses victimes constitue un crime. Geoffrey Robertson, expert judiciaire auprès de l'ONU et ancien Président de la cour spéciale pour la Sierra Leone, estime qu'il est temps de remettre en question l'immunité du pape. Dans un article du London Guardian du 2 avril 2010 intitulé "La place du pape est sur le banc des accusés", il déclare: "L'immunité ne peut plus durer. Le Vatican devrait être soumis à l'ensemble du droit international. La pédophilie est un crime contre l'humanité. L'aberrante prétention du Saint-Siège à former un Etat — dont le pape fait office de chef et bénéficie donc de l'immunité qui lui permet d'échapper à toute action en justice — n'a aucun sens".

 

Reste que la CPI a pour l'heure mis en accusation quatre pays seulement, en l'occurrence des pays qui se trouvent dans la ligne de mire de l'impérialisme.

 

En outre, la CPI n'a pas jugé nécessaire de se pencher sur les crimes commis par les Américains en Irak et en Afghanistan, ni sur ceux perpétrés par des Israéliens contre des civils palestiniens ou libanais. On ne verra donc vraisemblablement pas de sitôt le Vatican – forteresse de l'impérialisme à l'échelle mondiale – convoqué devant les tribunaux pour répondre de ses actes.

 

Guerre déclarée contre les mouvements mondiaux pour la justice

 

Quel rôle le Vatican joue-t-il dans une société de classes particulièrement chère à l'impérialisme?

 

Joseph Ratzinger ne s'est pas contenté d'absoudre, de couvrir et de transférer des milliers de prêtres pédophiles. Il a abusé pendant 25 ans de sa position de chef de l'institution la plus puissante de l'Eglise, la Congrégation pour la doctrine de la foi, afin de démettre des milliers de personnes – prêtres, évêques et religieux un tant soit peu progressistes ou ayant à cœur de défendre les droits et la dignité des pauvres et des opprimés – des fonctions qu'ils occupaient dans des paroisses, des écoles ou à un certain niveau de la hiérarchie.

Les théologiens, enseignants, écrivains et intellectuels catholiques dissidents se sont vus empêchés d'écrire, de publier et d'enseigner dans des institutions religieuses. Certains évêques, qui avaient tenté de faire valoir leur autorité pour contribuer à un changement social, ont été mis en examen pour déloyauté et contraints de démissionner. Ils ont ensuite été remplacés par les clercs les plus réactionnaires qui soient, des conservateurs essentiellement attachés à préserver l'autorité et le dogme religieux.

 

Toutes ces manœuvres faisaient partie d'un projet de la droite destiné à étouffer la théologie de la libération. Ce courant religieux progressiste s'employait à aligner l'Eglise sur les mouvements de libération ainsi que sur les luttes anti-coloniales et révolutionnaires qui se développaient non seulement en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, mais aussi aux Etats-Unis, au sein du mouvement pour les droits civils.

 

À l'instar du père Camilo Torres en Colombie, qui a participé aux efforts d'unification du marxisme révolutionnaire et du catholicisme en tant qu'orateur, écrivain, et organisateur, certains prêtres représentaient des menaces directes pour l'exploitation capitaliste. Le père Torres, qui avait rejoint la lutte armée contre les dictatures soutenues par les Etats-Unis, a été tué au combat.

Les nonnes militant à la tête du mouvement chrétien Sanctuary movement, qui prêtait assistance aux immigrants salvadoriens en les aidant à fuir les escadrons de la mort, ont également été traquées, comme l'ont été Philip et Tom Berrigan, deux prêtres qui, avec un groupe militant catholique opposé à la guerre du Vietnam, n'ont cessé d'agir malgré le risque d'arrestation et ont purgé des peines de prison.

L'Eglise a interdit d'écrire et de s'exprimer à des théologiens de la libération tels que le charismatique Brésilien Leonardo Boff ; elle a exclu de leur ordre religieux et contraint à la démission des prêtres qui s'étaient mis au service des pauvres, comme le prêtre haïtien Jean-Bertrand Aristide, et qu'elle accusait d'avoir "glorifié la lutte des classes". Dans la région mexicaine du Chiapas, l'évêque Samuel Ruiz a reçu l'ordre de s'abstenir de toute "interprétation marxiste".

 

Cette chasse aux sorcières, cette purge, visait les militants anti-racistes et ceux qui luttaient pour la justice sociale. L'évêque Richard Williamson, qui a nié publiquement l'holocauste, a, lui, été réintégré dans l'Eglise à bras ouverts.

 

Confrontée à une opposition qui s'amplifie à tous les niveaux, la puissante institution qui protégeait la propriété et les privilèges de la classe dirigeante occidentale depuis des siècles a déployé les forces les plus réactionnaires et les plus fanatiques pour mener bataille contre ceux qui prônaient le changement, l'ouverture, l'égalité ainsi qu'une prise en compte des besoins des pauvres et des opprimés.

 

Sous le pontificat de Jean-Paul II puis de Benoît XVI, l'Eglise catholique a été et reste une fidèle alliée de l'impérialisme américain, qu'elle épaulait pour empêcher la construction socialiste de l'Europe de l'Est. En échange, les puissants médias des Etats-Unis en assuraient la promotion et en donnaient une image favorable, tout en diabolisant parallèlement l'Islam et d'autres religions de peuples opprimés.

 

En 2006, Benoît XVI a apporté son soutien à la propagande anti-musulmane que Washington nourrissait sciemment pour justifier la guerre et l'occupation en Irak et en Afghanistan. Par ailleurs, dans un discours de première importance, il lui est arrivé de citer un empereur byzantin du XIVe siècle, pour qui le prophète Mahomet n'avait apporté sur terre que "des choses mauvaises et inhumaines".

 

Son alliance avec l'impérialisme américain a poussé l'Eglise catholique à renouer avec les pires excès réactionnaires de son sombre passé. Les membres de groupes liés aux escadrons de la mort et aux dictatures militaires qui ont sévi dans toute l'Amérique Latine, ou encore au fascisme ou à l'extrême droite européenne – le l’hermétique Opus Dei ou les Légionnaires du Christ, part exemple – ont été nommés aux plus hauts postes, au Vatican ou ailleurs dans le monde.

 

Deux clercs fascistes, Josemaria Escrivá, qui s'est rangé aux côtés d'Hitler lors de la Deuxième guerre mondiale et a mis sur pieds des groupuscules d'extrême droite pour faire la chasse aux communistes ainsi qu'aux syndicalistes révolutionnaires dans l'Espagne de Franco, et le cardinal croate Aloysius Stepinac, qui a participé à la constructions de camps d'extermination destinés aux Juifs, aux Serbes et aux roms, ont même été inscrits sur la liste des canonisables.

 

Protéger ou cacher les prêtres pédophiles et contraindre à la démission les forces religieuses qui cherchaient à défendre les droits des plus faibles et s'alliaient à leur mouvement allait de pair. L'indulgence envers les criminels et la répression impitoyable des progressistes sont deux volets d'une même politique de classes élaborée pour préserver l'autorité de la hiérarchie en place, une politique adoptée quel que soit le contexte social.

 

Une approche répressive de toute forme de sexualité

 

De l'Etat esclavagiste romain à la conquête impérialiste, dont elle a été l'un des principaux instruments, en passant par la société féodale européenne, l'Eglise catholique est restée une institution religieuse ancrée dans une société de classes et un modèle patriarcal. De ce dernier, elle a hérité les fondements d'une approche répressive. Qu'il s'agisse d'homosexualité ou hétérosexualité, que ce soit dans le cadre du mariage ou du célibat, elle s'est arrogé le droit de légiférer sur toutes les formes que peut revêtir la sexualité des hommes et des femmes.

 

Non seulement Joseph Ratzinger s'est abstenu de prendre quelque mesure que ce soit contre les auteurs de violences sexuelles – ce qui aurait menacé l'autorité et le caractère sacro-saint du sacerdoce – mais il a aussi été le maître d'œuvre en matière d'application de doctrines religieuses archaïques sur la sexualité ainsi que sur la subordination des femmes dans l'Eglise comme dans l'ensemble de la société. Pas question de la moindre libéralisation sur des sujets tels que le contrôle des naissances, l'avortement, le divorce ou la reconnaissance de l'homosexualité. Au sein même de l'Eglise, on a brandi les notions de péché et de faute pour instaurer ces règles d'un autre âge. Les catholiques homosexuels, ceux qui s'étaient remariés, avaient eu recours à la contraception ou à l'avortement se sont vu refuser les sacrements, ont été exclus de l'église ou excommuniés.

 

Les institutions ecclésiastiques disposant d'importants moyens financiers et d'un certain poids politique ont pleinement utilisé leur influence dans la société civile, sous des formes agressives, pour empêcher tout assouplissement des lois sur le divorce et l'octroi aux femmes du droit à la contraception et à l'avortement. L'Eglise catholique a organisé et financé des campagnes politiques contre le mariage homosexuel et l'adoption d'enfants par des couples du même sexe. Or, tout en proclamant haut et fort qu'il était de son devoir de protéger les enfants à naître, elle refusait de protéger ceux qui se trouvaient sous sa responsabilité directe.

 

A mesure que déferlait la vague de protestation contre les abus d'enfants confiés à l'église, ce groupe réactionnaire a cherché à faire passer ses pratiques d'occultation pour un combat contre la communauté homosexuelle en établissant un lien entre la pédophilie, à savoir l'abus sexuel de mineurs, et l'homosexualité, un acte entre adultes consentants.

Le 14 avril 2010, Tarcisio Bertone, bras droit du pape et cardinal secrétaire d'Etat du Vatican, a mis la pédophilie sur le compte de l'homosexualité, qu'il a qualifiée de pathologie. En 1986, Joseph Ratzinger avait utilisé le terme de "perversion intrinsèque" dans une lettre aux évêques qui avait fait grand bruit. Il est allé jusqu'à justifier et même encourager les attaques violentes contre les homosexuels en déclarant que "ni l'Eglise ni la société ne devaient être surprises si le nombre des réactions irrationnelles et violentes venait à augmenter" alors que la communauté gay exigeaient certains droits civils.

Il faut que ces crimes commis contre tous les mouvements de libération viennent nourrir la colère à l'encontre de la hiérarchie ecclésiastique.

 

Toutes ces années de répression, de chasse aux sorcières et de bigoterie organisée ont fait fondre le soutien sur lequel la hiérarchie catholique pouvait compter. Celle-ci n'est plus très en phase avec sa propre communauté. Quant aux valeurs de la société, elle est carrément à côté de la plaque.

 

Malgré tous les efforts déployés, elle ne parviendra pas à recouvrer le pouvoir absolu dont elle jouissait il y a 500 ou même 100 ans, lorsque les prêtres et les évêques n'avaient de compte à rendre à personne pour les horreurs auxquelles ils se livraient sur les femmes ainsi que sur les esclaves, les serfs, les paysans ou autres travailleurs illettrés.

Des excuses soigneusement formulées pour se dédouaner de toute accusation et des rencontres auxquelles sont conviées quelques victimes soigneusement choisies ne suffiront pas à résoudre la crise qui secoue l'élite réactionnaire à la tête de l'Eglise. Ceux qui ont ont été victimes d’abus ne se tairont plus et ils ne sont plus seuls.

 

L'auteur du présent article a survécu à 14 ans passés dans des écoles catholiques.

 

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Source : http://www.workers.org/2010/world/pope_0429/

 

Article original publié le 25 avril 2010

 

Sur l’auteure

 

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Rédigé par caroleone

Publié dans #Libre pensée et laïcité

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C
<br /> cet article est excellent, c'est l'un des mieux que j'ai lu à ce sujet et il révèle les dessous de la soutane qui sent fort !!<br /> C'est un véritable scandale qu'il faut dénoncer et comme nous aimons le dire Jacques : A bas la calotte !! ça plait bien à nos lecteurs, n'est ce pas !!<br /> <br /> <br />
T
<br /> Les voix ou voies du seigneur sont "impénétrables", tant pire pour ceux et celles qui ont été pénétré par viol!<br /> <br /> <br />