Le long calvaire des Triquis de San Juan Copala

Publié le 20 Août 2010

 


Oaxaca, 15 août 2010.

Sur le Zócalo, une douzaine de femmes triquis ont installé un plantón. Un
campement précaire, qu'elles occupent en permanence avec quelques enfants,
dont certains en bas âge. Des banderoles appellent à soutenir le municipio
autonome de San Juan Copala, assiégé depuis bientôt un an par les
paramilitaires de l'UBISORT (1).

Comment une telle situation est-elle possible ? Pourquoi cette guerre
contre un village indien, comme au bon vieux temps des westerns ? À la
différence qu'ici les viols, les tirs de fusils d'assaut, les morts, la
frayeur, les yeux hagards des enfants ne sont pas destinés à revisiter,
pour les glorifier, les vieux massacres qui ont accompagné la création de
la nation nord-américaine. Ici, en ce mois d'août 2010, dans l'État
d'Oaxaca, on tue pour de bon. Les paramilitaires sont postés sur les
routes d'accès aux communautés dont les habitants réunis en assemblée
générale ont décidé, en janvier 2007, de ne plus reconnaître les autorités
imposées par le PRI du gouverneur Ulises Ruiz, et de mettre en place leur
propre institution d'autogouvernement, le municipio autónomo.

L'encerclement s'est mis en place progressivement. Il a commencé par des
agressions et des assassinats. Dans un second temps, les hommes n'ont plus
été autorisés à sortir des villages. Puis est tombé le couperet de la même
interdiction pour les femmes.

À deux reprises, des organisations solidaires ont tenté de briser le
cercle. La première fois, les sbires de l'UBISORT ont tiré sur l'une des
camionnettes, tuant Betty Cariño, militante mexicaine des droits
indigènes, et Jyri Jaakola, observateur international de nationalité
finlandaise.

À la deuxième tentative, alors que dans le monde entier des observateurs
suivaient les événements, les nombreux policiers présents sur les lieux
ont déclaré ne pas pouvoir assurer la sécurité de la caravane, composée de
plusieurs centaines de personnes convoyant plus de 30 tonnes de vivres et
de médicaments. Selon certains des participants que nous avons interrogés,
la présence dans la caravane du sénateur Alejandro Encinas, accompagné de
sympathisants du PRD, a semé la division et la confusion. Il est clair que
ce parti politique, au pouvoir dans plusieurs États de la république
mexicaine, et lui-même instigateur de plusieurs mouvements paramilitaires
(2), ne cherchait pas à briser l'encerclement, mais seulement à tirer un
profit en terme d'"image", à la veille des élections dans plusieurs États
(3).

Le 30 juillet, les mêmes forces de police, accompagnées de paramilitaires,
ont envahi San Juan Copala, blessant gravement par balles deux femmes du
village. Le prétexte était la recherche des responsables de la mort d'un
"conseiller municipal" nommé par l'UBISORT.

Nous nous approchons pour parler aux femmes du planton. Leur témoignage
est bouleversant. "Ce que l'on vit dans nos villages, disent-elles, c'est
l'enfer. Les gens de l'UBISORT nous tirent dessus, comme si nous étions
des bêtes. Nous n'osons plus sortir de chez nous, même pour faire nos
besoins. Nous manquons de tout, les personnes malades, les anciens par
exemple, ne peuvent pas aller se faire soigner."

À la question que nous posons, sans illusion ni aucune envie de plaisanter
(que fait la police ?), la réponse est sans ambigüité : "la police, les
soldats, le gouvernement (4) et les paramilitaires, ce sont les mêmes.
Comment voulez-vous qu'ils empêchent cela ? C'est le gouvernement qui veut
nous détruire, nous forcer à partir..."

"Aidez-nous, ajoutent-elles, vous qui venez de loin, vous avez peut-être
les moyens de faire savoir ce que nous vivons..."

Pendant ce temps, la saison touristique bat son plein à Oaxaca. Un peu
plus loin, devant le marché, un troupeau de gringos d'Europe, avec des
gloussements grotesques, s'esclaffe ou s'horrifie devant l'étal de
chapulines (5) d'une vieille Indienne. Puis tout ce beau monde remonte
dans une camionnette impeccablement blanche. Ils peuvent partir
tranquilles, et vivre de nouvelles émotions fortes. Les paramilitaires ne
tirent pas sur les vaches à lait de leurs patrons.

La violence qui s'étale à pleines pages sur les journaux a pour cible
principale, au-delà des règlements de comptes entre dirigeants et hommes
de mains mafieux, ces paysans qui comme les Triquis de San Juan Copala ont
décidé de rester vivre sur la terre mère.

D'ici quelques jours, les femmes de San Juan Copala vont marcher vers la
capitale, pour tenter de briser l'encerclement (paramilitaire, policier,
économique, médiatique), avant qu'il ne soit trop tard.

Jean-Pierre Petit-Gras


(1) Union pour le bien-être social dans la région triqui. Les
paramilitaires se choisissent souvent des noms amusants...

(2) Au Michoacan, et au Chiapas, notamment, avec l'Armée de Dieu (Ejército
de Dios), utilisée contre les opposants à l'autoroute San
Cristobal-Palenque.

(3) Gabino Cué vient d'être élu, contre le candidat du PRI, à la tête
d'une candidature soutenue par le PAN (droite), le PRD (gauche)
Convergencia et le PT. La prise de fonction n'aura lieu qu'en décembre,
mais il est d'ores et déjà douteux que cette "alternance" changera la
situation. Gabino Cué était haut fonctionnaire à l'intérieur lors des
opérations policières brutales et injustifiées contre les habitants d'une
autre région indigène, Loxicha, au début des années 2000. Plusieurs
Loxichas sont encore emprisonnés.

(4) Dans les campagnes du Mexique, d'ailleurs, le terme "gobierno" désigne
indistinctement le gouvernement, la police, les soldats.

(5) Mets apprécié par les indigènes de l'Oaxaca, les chapulines sont des
sauterelles grillées, assaisonnées avec du piment ou de l'ail. Les
chapulines sont certainement plus saines que les hamburgers, viandes aux
hormones ou autres céréales transgéniques dont s'alimentent les habitants
des pays du Nord.

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #indigènes et indiens, #ABYA YALA, #Mexique, #Répression

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