Lacandon.org : Communiqués du collectif CACTUS
Publié le 29 Août 2010
Dans l'État d'Oaxaca le 27 avril 2010, une caravane de solidarité formée
par des membres d'organisations civiles mexicaines et internationales a
été attaquée sur le chemin vers la communauté autonome de San Juan Copala.
Une vingtaine de paramilitaires de l'organisation Ubisort (Union pour le
bien-être social de la région triqui) affiliée au parti au pouvoir dans
l'État, le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), ont mitraillé le
convoi, faisant deux morts et une quinzaine de blessés. Alberta Cariño
Trujillo (Bety), directrice du collectif CACTUS, et Jyri Antero Jaakkola,
observateur international finlandais, ont été assassinés dans cette
embuscade. La caravane de solidarité avait pour but de briser le siège
établi autour de San Juan Copala depuis octobre 2009 ; siège exercé pour
anéantir le processus d'autonomie proclamé et mis en pratique depuis
janvier 2007 par l'assemblée communale.
Le collectif CACTUS se réorganise et continue son travail après
l'assassinat de Bety.
"Nous voulons aujourd'hui vous dire merci. La solidarité exprimée face au
lâche assassinat de notre compañera Alberta (Bety) Cariño Trujillo et de
Jyri Antero Jaakkola, nous dit que les frontières n'existent pas"
Communiqué du Centre d'Appui Communautaire Travaillant Unis - CACTUS
Nous sommes ici et n'oublions pas
Toi tu n'es pas mort. Sont morts ceux qui ont éteint le murmure de tes yeux.
Et mourront tous ceux qui haïssent ta voix, ton signe, la douce lumière de
ton étoile.
Mourront tous ceux qui nient les semailles et la chanson.
Roberto Armijo
Les jours passaient, comme d'habitude sur la Terre du Soleil, la pluie ne
tombe pas et quand elle tombe elle emporte tout, la terre s'en va, et les
gens s'en vont. La vie est érodée, les terres sans semences, la famille
avec un pied ici et un autre là-bas. Les villages commencent à être seuls,
la migration va non seulement vers le Nord (aux États-Unis), mais aussi
vers les villes, et, dans notre cas, la dépendance à la drogue, les
kidnappings, les viols, les copains nettoyant les pare-brises et les
cracheurs de feux, semblent être déjà notre pain quotidien. Nous ne savons
pas comment nous en sommes arrivés là, mais nous sommes nés ici sur cette
terre digne.
C'est ce qui nous a vus naître et nous avons vu comme la vie changeait,
nous sommes nés en 1998 sous le nom de CACTUS. Ceux qui nous ont fait
naître nous parlent beaucoup de nos premiers pas, mais peu, beaucoup,
peut-être même tous, en savent peu sur nous.
Malgré les années, l'histoire est courte, en nos temps et avec nos
manières, nous disons que l'année 2006 a fini par déterminer notre
direction. Pour beaucoup de raisons, notre travail était par nature
silencieux, ou plutôt nous disions juste le nécessaire. Avant 2006, peu de
gens nous connaissaient, et les médias de communication encore moins.
L'Autre Campagne et l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca, mais
surtout, les organisations qui nous ont ouvert leur cœur, nous ont connus
et ont écouté notre parole, aujourd'hui nous pouvons les appeler
compañeras et compañeros.
Compañeras et compañeros d'Oaxaca, du Mexique et du monde, nous voulons
aujourd'hui vous dire merci. La solidarité exprimée face au lâche
assassinat de notre compañera Alberta (Bety) Cariño Trujillo et de Jyri
Antero Jaakkola nous dit que les frontières n'existent pas, que la
solidarité est ce qui unit les peuples, qu'un autre monde construit à
partir d'en bas est possible.
Et comme preuve que les frontières sont des séparations illusoires, il y a
toutes les lettres que nous avons reçues de Finlande, de France, de Grèce,
d'Espagne, de Suisse, du Pays basque, d'Allemagne, d'Italie, de Belgique,
de toute l'Europe et aussi les lettres que nous avons reçues de notre
Amérique, de Colombie, d'Équateur, du Pérou, d'Argentine, du Brésil, du
Guatemala, du Honduras, des États-Unis et du Canada, et de beaucoup
d'autres dignes coins de ce monde. En ouvrant chaque lettre, nous sentions
que nous ouvrions un chemin vers la justice, que depuis chaque coin du
monde notre lutte est votre lutte.
La mort nous fait mal, aujourd'hui plus que jamais, mais la douleur, est
notre rage la plus digne contre l'injustice. Nous sommes ici et nous
n'oublions pas, que depuis 2006 ils ont cherché à nous faire taire, nous
n'oublions pas les vingt compañeros mixtèques qui ont été réprimés en
novembre 2006, envoyés à la prison de Nayarit ; nous n'oublions pas non
plus les innombrables perquisitions dans nos bureaux ou les menaces contre
notre compañera Bety, lui disant qu'ils allaient lui couper la langue ; ou
la nuit de décembre où ils ont tué notre compañero Plácido Abraham López
Castro dans la communauté de San Pedro Yosotatu ; ou avril 2008, quand
Tere et Feli ont été assassinées… chaque jour la douleur s'est accrue et
les injustices s'accumulent.
Mais la lutte des peuples pour l'autonomie et l'autodétermination a été
renforcée il y a seize ans. Depuis 2001, lorsque la classe politique n'a
pas reconnu les accords de San Andrés et a trahi les peuples indigènes,
diverses expressions d'autonomie sont nées et la parole des peuples a
ouvert un chemin pour la construction d'un monde
digne et juste.
Depuis sa naissance, CACTUS a effectué son travail dans la région
mixtèque, pour permettre la construction, avec les peuples indigènes de la
région, de conditions de vie dignes et justes. C'est ce qui a poussé
l'organisation à engager des initiatives de type communautaire, à la
demande des communautés. C'est le cas de la commune autonome de San Juan
Copala, qui comme chacun le sait, est née durant l'année 2007. Les
compañeros nous ont demandé d'appuyer la formation pour la construction
d'une radio communautaire, qui aura ensuite été connue comme "La Voix qui
brise le silence". Quelques mois plus tard, le meurtre des nos compañeras
animatrices Tere et Feli, nous a rapprochés encore plus, puisque face à ce
crime nous ne pouvions rester muets. Pour cela et depuis lors, nous
réclamons justice.
A travers les communiqués émis par la commune autonome, nous avons été
informés de la gravité de la situation à laquelle ils faisaient face. Dès
novembre 2009, des meurtres ont commencé à être dénoncés. Ce contexte
grave, nous a fait prendre part, avec d'autres organisations de l'État
d'Oaxaca et des observateurs internationaux, à la caravane humanitaire du
27 avril dans laquelle notre compañera Bety Cariño a été brutalement
assassinée.
Ce terrible fait ne peut pas rester impuni, à deux mois de ce crime
terrible, nous continuerons à réclamer justice, et nous exigeons que les
responsables physiques et intellectuels du meurtre de Bety et de Jyri
soient punis.
Aujourd'hui, nous voulons dire aux compañeros internationaux et mexicains
que, même si le gouvernement cherche à criminaliser la solidarité, notre
cœur et notre conviction sont toujours présents. Les intimidations n'ont
pas cessé, ils continuent à nous poursuivre, mais ils ne pourront pas
taire notre parole.
Nous combattrons jusqu'à ce que les assassins de nos compañeros Bety et
Jyri soient punis, jusqu'à ce que justice soit faite pour les peuples
indigènes de ce pays appelé Mexique, et jusqu'à ce que l'autonomie et
l'autodétermination de la Commune autonome de San Juan Copala et de tous
les peuples indigènes en résistance soient respectées.
Les jours passent comme d'habitude sur la Terre du Soleil, mais maintenant
sur notre CACTUS fleurit une Pitaya Rouge.
Bety vit !
"Semant des rêves, récoltant des espérances"
CACTUS
Centre d'Appui Communautaire Travaillant Unis
Juin 2010.
http://cactusoaxaca.wordpress.com/
Vous pouvez consulter une rubrique en français avec des vidéos
sous-titrées sur la caravane du 27 avril 2010, sur le site :
http://liberonsles.wordpress.com
Rubrique Oaxaca : Caravane du 27 avril 2010
----------------------------------------------------------------------------
Centre d'appui communautaire travaillant unis CACTUS
"Semant des rêves, récoltant des espoirs"
Pour toi notre compañera, notre sœur, qui devient aujourd'hui un guide
pour ton peuple Nuu Savi *
"Poussons le silence jusqu'à ce qu'il se transforme en parole"
sous-commandant Marcos
Depuis le pays des nuages, nous partageons avec vous notre parole simple,
qui essaie d'arriver à toutes celles et tous ceux qui ont accompagné notre
cheminement, et aussi à tous ceux qui ne nous connaissent pas mais se sont
solidarisés avec nous depuis chez eux. Nous remercions toutes les
initiatives de soutien qui nous invitent à continuer à semer des rêves
pour que quand viendra le temps juste, nous récoltions des espoirs.
Ceux qui sont arrivés sur ces terres dans les années 1990, et qui plus
tard ont fondé avec d'autres le Centre d'Appui Communautaire Travaillant
Unis, nous disent :
"CACTUS est né de la nécessité de donner une réponse plus adéquate à la
réalité de la région mixtèque, à sa problématique et à sa richesse
culturelle, à partir d'un point de vue plus social et politique. Né
juridiquement comme association civile et pensé comme une organisation qui
irait en enrichissant sa vision politique et son action par un engagement
de plus en plus politique venant des communautés, c'est-à-dire, avec la
participation principale des populations organisées."
Ces années ont été difficiles, par-dessus tout, il a été difficile de
maintenir l'engagement pris depuis le début : "enrichir la vision et
l'action avec la participation principale des communautés" nombreuses sont
les façons et les manières de travailler qui au fur et à mesure se sont
transformées, en cherchant notre chemin, en cherchant des stratégies et
des moyens de nous transformer en communauté.
L'année qui définit CACTUS, est peut être 2006, au travers de l'APPO et de
l'Autre Campagne. Cependant 2010 restera l'année de la pire tragédie que
nous ayons vécue. L'assassinat de notre compañera Bety nous a arraché la
possibilité de continuer ce projet politique de la main de celle qui, par
son exemple et sa lutte, nous a amenés à pousser le silence jusqu'à ce
qu'il se transforme en parole. Son souci pour l'égalité des genres,
l'amenait à interrompre des réunions pour dire que la participation des
femmes manquait, cela ne l'éloignait pas des fêtes du mois d'août à Chila,
sa terre natale, cela ne l'empêchait pas de danser et de crier "ils ont
peur de nous parce que nous n'avons pas peur d'eux".
La joie de son sourire, est aujourd'hui la mémoire qui guidera CACTUS. À
plus de trois mois de l'assassinat de Bety, nos efforts se concentreront
sur notre réorganisation, pour remettre en place le travail et le chemin à
suivre, parce que nous croyons que cela sera le meilleur hommage que
pouvons offrir à notre sœur assassinée, continuer sur le chemin de
l'autonomie et de l'autodétermination des peuples.
Nous voulons partager avec vous le fait que nous avons passé un moment
difficile, surtout parce que nous étions "presque" sur le point de décider
que CACTUS ne continuerait pas son travail, c'est pour cela que ce temps a
été un temps de réflexion, qui nous a amenés à une restructuration de
notre équipe opérationnelle et de notre façon de travailler.
Peut-être tout cela est difficile à comprendre, cependant, pour nous,
cette étape est fondamentale, car nous ne pouvions pas continuer sans
avoir une idée claire du chemin que suivra CACTUS, nous pensons que
beaucoup parmi vous se sont posé la question "Qu'est-ce qui est en train
de se passer avec CACTUS ?" Nous croyons qu'à partir de ce moment précis
une nouvelle étape commence, guidés par le travail réalisé par le
compañero Omar et la compañera Bety à l'intérieur du collectif.
Cette autre étape de CACTUS, continue sous quatre horizons de travail.
Ainsi nous avons décidé de nommer une coordination pour chaque horizon de
travail de la façon suivante :
Économies communautaires, Maria Antonia Izaguirre
Éducation pour l'autonomie, Camilo Gomez et Eva Galvez
Communication indigène et communautaire, Oscar Gonzalez
Souveraineté alimentaire, Elvia Contreras
et une coordination générale de la façon suivante :
Administration, Rebeca Flores
Trésorier, Elvia Contreras
Coordination générale, Fernando Urbano
Par ce communiqué nous annonçons que nous entreprendrons des initiatives
pour réclamer justice pour Bety, sans oublier l'exigence de justice pour
Jyri Jaakola. Ces actions se réaliseront dans le cadre de l'horizon des
droits humains pour la dignité et la justice.
Ceci est notre parole, nous continuons à croire que c'est le temps des
peuples et que notre simple effort continuera pour la construction de
l'autonomie et de l'autodétermination.
Nous sommes toujours là, les CACTUS, les pieds bien ancrés au sol, la tête
haute, digne, le cœur ardent...
"Semant des rêves, récoltant des espoirs"
Fernando Urbano
Coordination générale
Août 2010
http://cactusoaxaca.wordpress.com/
* "Mixtèques" signifie "peuple des nuages" en nahuatl.
La Mixteca est une zone regroupant les États mexicains d'Oaxaca, Guerrero
et Puebla.
Vous pouvez consulter une rubrique en français avec des vidéos
sous-titrées sur la caravane du 27 avril 2010, sur le site :
http://liberonsles.wordpress.com
Rubrique Oaxaca : Caravane du 27 avril 2010