« La Colombie s’est érigée comme l’Israël de l’Amérique Latine pour déstabiliser la région »
Publié le 14 Mars 2011
10 mars 2011

Jorge Eliécer Molano est un avocat colombien qui travaille depuis 23 ans pour la défense des droits de l’Homme. Il a défendu des cas comme la disparition des 11 détenus suite à la prise du Palais de Justice en 1985 ; le massacre dans la commune de San José de Apartadó, dans laquelle furent abattus deux enfants aux mains des militaires et paramilitaires ; le lien de quatre généraux colombiens dans la création de groupes paramilitaires ; ou encore l’assassinat d’un étudiant pendant l’irruption de militaires à l’Université.
Maintenant, Molano dénonce les agissements du service d’intelligence de Colombie, le Département Administratif de Sécurité (DAS), après les révélations de la
Fiscalité de Colombie qui informent que pendant le mandat d’Uribe le DAS recherchait des informations sur des politiciens, des syndicalistes, des journalistes et des défenseurs des droits de
l’Homme (colombiens et de l’Etat espagnol) pour les discréditer. Pendant toutes ces années, Molano fut menacé.
DIAGONAL : D'où sont venues les menaces dans votre combat pour la défense des droits de l’homme ?
JORGE MOLANO : Les menaces proviennent du ministère de la Défense et furent transmises par la vice-présidence de Colombie en 2008. Ils m’ont
dit que je courrai un énorme risque, je leur ai demandé d’où venait ce risque, mais ils ne m’ont pas répondu. Cette année, le Gouvernement m’a dit que suite à leur réunion avec la Junte des
Généraux et le Ministère de la Défense, les militaires ne voyaient pas bien mon travail puisqu’il était en train d’attaquer l’honneur militaire et ils ont même demandé que je parte du
pays.
D. : Un des cas que vous avez dénoncé est la disparition des détenus suite à la prise du Palais de Justice de Bogotá en 1985.
J.M : Les faits se sont passés il y a 25 ans. Maintenant la justice colombienne a donné sa sentence. Onze personnes du groupe guérillero M19 furent
sorties par l’Armée colombienne du Palais, en plein centre de la capitale, sous les caméras de télévision qui enregistraient la sortie. On n’a jamais plus rien su d’eux. Ils furent transférés à
des prisons militaires et sont morts de leurs tortures. On a dénoncé et entamé un processus judiciaire pendant lequel les intimidations furent une pratique récurrente. 13 ans après, l’avocat
qui a suivi le cas réussit à ouvrir la fosse, dans laquelle furent exhumés les corps mais il fut assassiné le 18 avril 1998. La juge condamna en juillet le général Plazas Vega qui dut
abandonner le pays suite aux menaces, 15 jours après avoir dicté la sentence. Le procureur qui examine le cas fut retiré de son poste sous les pressions de l’Armée et des secteurs
politiques. Nous attendons donc que la sentence soit dictée contre différents généraux, ceci est positif, mais le Gouvernement n’a pas la volonté de la voir se réaliser. Le général Plazas Vegas
fut déjà condamné à 30 ans pour ces faits. Cependant il se trouve enfermé chez lui, dans une maison de 400 m2. De plus, pendant qu’il était soumis au jugement, Plazas Vega fut recruté par
l’Université Militaire, pour donner des cours sur le module de la Guerre Juridique, dans lequel les avocats des Droits de l’Homme sont considérés - après la guérilla – comme étant le
deuxième front rebelle du pays.
D. : Quelle est l’implication de l’ex président Alvaro Uribe dans les recherches commandées au service secret DAS contre les défenseurs des droits de
l’homme ?
J.M.:Pendant huit ans de gouvernement d’Uribe, nous avons été devant un président inepte, qui ne savait pas ce qu’il se passait, ou devant un président qui
dirigeait une entreprise criminelle. De plus, l’action du DAS a dépassé les frontières. Il y a eu une action qui s’est déroulé avec l’Opération Liberté dans différents pays, contre les citoyens
européens, les députés espagnols et les membres du Parlement Européen. Ces actions d’espionnage ont une relation avec des assassinats postérieurs, des déplacements de population et des
attentats. Tous ces faits peuvent être considérés comme un crime contre l’humanité comme le reconnaît l’ONU. Uribe doit répondre de cela. Il va être jugé par la Commission des Accusations du
Congrès de la République, que certains appellent la commission des absolutions, parce que pendant les 50 dernières années, elle n’a résolu aucun cas sous prétexte que les plaintes ne sont pas
fondées. Nous avons des doutes sur le fait que le procureur agisse contre les quatre directeurs du service secret qui ont une relation avec ces agissements criminels.
De plus, le nouveau gouvernement a donné des responsabilités aux impliqués. Normalement, une fois que les faits ont été connus, la fiscalité ordonne de confisquer
les ordinateurs et la documentation du DAS. Mais les détectives ont gardé beaucoup d’informations pour se préserver. Le plus inquiétant c’est que le directeur actuel du DAS est la personne qui
a reçu l’avis de confiscation de matériel et c’est lui-même qui doit ordonner la destruction des preuves.
D. : Quelles sont les implications de la CIA et quels sont les intérêts économiques qui se cachent derrière ces faits ?
J.S.:La plupart des équipes avec lesquelles se sont faites les écoutes furent approvisionnées par les Etats-Unis. Les clefs des bureaux du DAS dans la capitale
étaient aussi sous le contrôle des membres de l’ambassade des Etats-Unis. La Colombie fut érigée comme étant l’Israël de l’Amérique Latine et a joué un rôle déstabilisateur dans la région. Dans
un des rapports de la Fiscalité il est stipulé clairement que le service secret de Colombie est financé par la CIA dans l’objectif de s’infiltrer dans la représentation diplomatique du
Venezuela, de l’Equateur et de Cuba. La pression internationale est de plus en plus forte, mais l’Union Européenne qui est au courant des assassinats qui ont été commis et les relations entre
les militaires et paramilitaires, a préféré regarder d’un autre côté. Elle a avancé, en gagnant plus de terrain sur les Etats-Unis, dans la signature d’un accord de libre-échange. Cela paraît
incroyable d’imaginer que l’on oppose les accords économiques des droits humains.
D. : Combien de disparus politiques ces dernières années ?
J.M.:Les statistiques officielles parlent de 42.000 disparus depuis 1980.Selon la Médecine légale, l’organisme de la Fiscalité Générale, pendant les 3 dernières
années, 7.060 colombiens ont disparus. Face à ces données, on affirme que la Colombie est la démocratie la plus ancienne de l’Amérique Latine. N’importe qui peut penser que nous avons eu une
dictature. Les chiffres dépassent amplement ceux des disparus pendant la dictature de Pinochet au Chili, les juntes militaires argentines et ceux des dictatures de l’Uruguay et du
Paraguay.
D : Que sait-on de nouveau sur l’investigation du massacre à San José de Apartadó ?
JM : Ce procès est bien douloureux. En tant que défenseur des droits de l’Homme, ce qui m’a le plus ému c’est de penser à l’image de Santiago, un bébé de 18
mois qui a été retrouvé égorgé. L’argument de ceux qui ont fait cela était qu'ils l’ont tué pour qu’il ne devienne pas un rebelle quand il sera grand et pour qu’il ne puisse pas reconnaître ses
bourreaux (les assassins). Tout d’abord, le gouvernement a évoqué que les faits étaient attribuables aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). En fait, un colonel de l’armée
colombienne a reçu de l’argent des paramilitaires pour acheter des témoins qui allaient accuser les FARC. Après trois ou quatre ans, ils ont réussi à faire ouvrir une enquête. Celle-ci était
liée à une personne de la Brigade 17 qui avait agi avec les paramilitaires. Il a été vérifié que les paramilitaires furent convoqués pour arriver de différents endroits. Deux jours après, on a
convoqué l’Armée pour qu’elle fasse une réunion avec les paramilitaires au même endroit. Pendant cinq jours, les militaires et les paramilitaires marchaient ensemble, dormaient dans le même
endroit et pendant le massacre ils étaient ensemble.
La Justice colombienne a décidé de poursuivre en justice dix militaires, dans un jugement auquel assistaient des observateurs de l’Etat espagnol, la Suède et les
Etats-Unis, parmi d’autres pays. La juge décida le 4 août dernier de libérer les militaires parce qu’elle considérait que rien n’a démontré qu’ils avaient fait un pacte avec les paramilitaires
et considérait que ce n’était pas une situation de délit de démembrer une fille de quatre ans et un bébé de 18 mois !
Traduit de l'espagnol par Katya Riofrío Jaud pour Investig'Action
Reçu d'ALAIN RONDEAU