Jean Ferrat. Robert Belleret : « Un “émerveilleur” qui n’a jamais lâché prise, il est resté debout »

Publié le 14 Mars 2011

humanite2010 logoUN AN DEJA !!

 

 

 

 

 

 

 

Le journaliste à qui l’on doit une biographie de référence sur Léo Ferré sort Jean Ferrat, le chant d’un révolté. Un ouvrage très fouillé et passionnant sur le parcours du chanteur, dont le père fut déporté à Auschwitz.

 

Dans votre ouvrage, vous revenez longuement sur la période de la guerre et le parcours du père russe de Jean, Mnacha Tenenbaum, qui fut déporté à Auschwitz et qui est mort là-bas. Qu’avez-vous découvert précisément ?

 

Robert Belleret. À travers tous les entretiens qu’il a donnés, Jean Ferrat disait assez peu de choses là-dessus. Même au moment où il fait Nuit et Brouillard, je ne crois pas qu’il ait dit « j’ai fait cette chanson en pensant à mon père ». Plus tard, il rappelle qu’il avait onze ans quand il a découvert qu’il était juif : « Ma mère m’a dit un jour, ton père est juif. Cela été un choc », je crois que c’est dans l’Humanité cet interview-là. Il dit même un truc étonnant : « D’un 
seul coup, je n’étais plus normal, 
le monde s’est effondré, mon père est parti et puis on ne l’a plus revu. » 
À cet âge-là, il ne peut pas avoir de souvenirs précis. Son père a été vraisemblablement raflé dans la rue à Paris. J’ai retrouvé la date certaine de son internement à Drancy que j’ai trouvé en allant au Mémorial de la Shoa. Dans les illustrations, je reproduis un document, la fiche d’internement le 19 mars 1942. C’est un document qui a dû être rempli par un gendarme français très certainement, qui se trompe sur l’orthographe du nom de la ville 
de naissance de Mnacha, Ekaterinodar (Russie) en inscrivant Ekaterinoslaw, qui est une ville en Ukraine. J’ai découvert également la date de sa rafle en décembre 1941, à quel moment il a été transféré de Compiègne à Drancy. J’indique aussi la date, qui je crois avait déjà été donnée, de son départ pour Auschwitz.

 

Vous resituez les choses d’un point de vue de l’histoire de la famille 
de Jean, du coup, on s’éloigne presque du monde de la chanson…

 

Robert Belleret. J’ai appris cela en faisant beaucoup de portraits quand je travaillais au Monde, de gens aussi différents que Lagarfeld, Lucchini, Guy Beart, Aznavour, Souchon, Charles Fiterman… Ce que je trouve le plus passionnant, c’est l’enfance, l’adolescence et quand les choses se décident. Pourquoi devient-on un artiste ? Qu’est-ce que l’on a en soi ? Comment acquiert-on cette sensibilité particulière pour 
devenir peintre, écrivain, auteur 
de chansons ? Le père de Jean 
avait réussi son intégration, 
il avait une bonne situation, 
une belle maison à Vaucresson, puis un appartement à Versailles quand les choses ont été économiquement plus difficiles. Curieusement et d’une façon radicale, il avait rayé toutes traces de ses racines, il ne fréquentait aucun russe, ni aucun juif et d’un seul coup, il est raflé, il se retrouve dans un wagon. Je trouve qu’il y a un côté Monsieur Klein, le film de Joseph Losey, où soudain l’histoire s’abat sur quelqu’un qui est broyé. Ce n’est pas rien d’avoir un père déporté qui ne revient pas, d’être l’auteur de Nuit et Brouillard. Je pense que cela valait le coup de le raconter.

 

Il y a de très beaux passages sur Louis Aragon et Ferrat…

 

Robert Belleret . J’ai lu, pour le coup, toute l’œuvre poétique d’Aragon dans la Pléiade. C’est tellement prodigieux. Jean est tombé là-dedans tout jeune, 
il adapte les Yeux d’Elsa. Son dernier enregistrement qui est formidable même s’il n’est pas facile d’approche, pour moi, c’est un double album d’Aragon. C’est l’artiste de sa vie et Ferrat n’aurait pas été Ferrat s’il n’y avait pas eu Aragon. Il y a une imprégnation à la différence de Léo Ferré qui passait de Rutebeuf à Rimbaud, d’Apollinaire à Verlaine, Ferrat a été d’une fidélité extraordinaire à l’œuvre d’Aragon. Il la connaissait, s’en imprégnait jusqu’à écrire parfois comme Aragon. C’est 
un couple sacrément important.

 

Il y avait le Jean des engagements, 
le Jean des émerveillements. 
Vous résumez d’ailleurs cela à deux adjectifs : fraternel et révolté…

 

Robert Belleret . Je me suis battu pour le titre le Chant d’un révolté. 
Il y a ça dans ses textes très ciselés, cet amour de la nature, de l’air, 
des oiseaux. C’est « l’émerveilleur », mais quand on regarde son parcours et ses interviews, il n’a jamais lâché prise, il est resté debout. Jean Ferrat ne s’est jamais couché. On peut 
ne pas être d’accord, mais moi 
il se trouve que je suis en parfaite empathie avec ses idées. Ce qu’il dit sur la télé, sur la pub, sur la dictature de l’argent, les magouilles de 
la finance, la Bourse, j’applaudis 
des deux mains. Je suis sur cette ligne-là. Je pense que l’on vit une époque monstrueuse et qu’il faudrait se ressaisir complètement. Ça a été un plaisir de relayer cela.

 

Robert Belleret, biographie Jean Ferrat, 
le chant d’un révolté, 462 pages, 
Éditions de l’Archipel.

 

 

Entretien réalisé par V. H.

 

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par caroleone

Publié dans #Devoir de mémoire

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