Histoire sociale du mantois : Auguste Goust
Publié le 11 Janvier 2012
Retrouvez sur le blog de Roger Colombier l'histoire sociale du Mantois racontée par un spécialiste et découvrez ce qui a fait la richesse de notre patrimoine, enrichissons notre esprit des luttes du passé qui seules peuvent nous permettre par leur expérience de trouver les réponses aux luttes de l'avenir, l'histoire étant un éternel recommencement. Il suffit juste de remettre les idées dans notre contexte actuel en se débarrassant de nos préjugés sectaires ainsi que de nos barrières pour faire front sur des idées communes.
L'être humain est capable de le faire et j'en profite pour remercier tous les camarades qui gravitent pas ce blog ou le suivent de près et qui permettent d'enrichir nos analyses pour évoluer vers le progrès et non subir la récession imposée par le capitalisme.
Amicalement
caroleone
Des pages précédentes ont insisté sur l'importance de l'implantation du chemin de fer dans la région.
En effet, si le Mantois est resté profondément rural et artisanal jusqu'au milieu du 19e siècle, son décollage industriel et la transformation de son tissu économique débutent avec le rail. A partir de cette époque, l'ensemble des activités se concentre le long des voies ferrées ou à proximité des gares, dont toutes, jusqu'à la plus petite, possèdent un triage marchandises.
Le paysage social change également. Les industries appellent des prolétaires pour faire tourner leurs machines et des cités ouvrières s'installent dans la région. La première d'entre elles est la cité Buddicom des cheminots, en 1856, sur le territoire de Gassicourt. Et de ce fait, une corporation, jusqu'alors inconnue, voit aussi le jour dans le Mantois, celle des employés des Chemins de fer de l'Ouest.
Mais peu connaissent que ce nouveau métier va également engendrer le syndicalisme dans la région. Pourtant, les travailleurs du rail sont les premiers à s'organiser en syndicat dès 1896. Et ils ont contribué aussi à fonder l'Union fraternelle des syndicats ouvriers de l'arrondissement de Mantes en 1908.
L'un d'eux, Auguste Goust, a donné son nom à une artère principale de Mantes-la-Jolie, sans doute parce qu'il en fut son maire de 1908 à 1941 et le député de la circonscription de 1914 à 1919 et de 1923 à 1928. Mais Auguste Goust (1859-1949) ne fut pas que cela et combien savent qu'il fut un syndicaliste éminent, un membre de la loge maçonnique Liberté pour le travail, ou tout simplement un cheminot avant sa longue carrière politique de plus de 34 années?
D'abord un cheminot épris de justice sociale.
Auguste Goust naît à Poissy le 10 janvier 1859 dans l'ancienne Seine-et-Oise. Grâce à de bonnes études au sein de l'Orphelinat de Saint-Germain-en-Laye, il entre dans l'administration des Impôts. Mais il la quitte pour les Chemins de fer de l'Etat, après avoir réussi le concours de commis-principal de bureau. Il va adhérer au Syndicat national des employés des chemins de fer de France et des colonies qui est affilié à la CGT.
Instruit et bon orateur, le prestige d'Auguste Goust grandit au sein de sa corporation qui le désigne comme représentant du personnel au Conseil d'administration des Chemins de fer de l'Etat de 1908 à 1912.
Il devient aussi le trésorier de la Société de la prévoyance mutuelle des employés des chemin de fer. Syndicaliste et mutualiste, Auguste Goust se prononce pour un régime de retraite spécifique aux cheminots. Le 10 décembre 1905, il a approuvé que son syndicat s'affilie à la Fédération départementale CGT des syndicats de Seine-et-Oise.
Coopérateur et dirigeant syndicaliste dans le Mantois.
Ecouté chez les cheminots, Auguste Goust ne l'est pas moins dans le mouvement ouvrier du Mantois. Au début, il a pour parrain le luthier Périer, dont il a épousé la fille et qui fut candidat malheureux de la gauche aux élections municipales de 1904 à Mantes-la-Jolie. Auguste Goust fonde aussi la Solidarité Mantaise, une coopérative ouvrière à but non lucratif qui recense plus de 300 sociétaires en 1905 .
A cette époque, le mouvement syndicaliste se décompose entre anarcho-syndicalisme et réformisme, ce dernier courant étant majoritaire dans la CGT. Dans la région, on songe à fédérer tous les syndicats dans une même organisation. Les discussions sont vives et une première tentative, dirigée par des anarcho-syndicalistes, échoue en 1905. Les Statuts de l'Union fraternelle des syndicats ouvriers de l'arrondissement de Mantes sont toutefois déposés à la mairie de Mantes-la-Jolie, le 10 mars1908, sous l'impulsion d'Auguste Goust qui en sera son premier dirigeant; cette union ne rassemble que le courant réformiste de la région: les cheminots, les luthiers, les métallurgistes, les maçons et les ouvriers boulangers, mais qui sont les organisations les plus nombreuses en adhérents.
Un esprit laïque convaincu et affiché.
Le Journal de Mantes, qui soutient dès le début son action politique, ne manque jamais d'afficher ses opinions en la matière. Par exemple, sa profession de foi, lors des élections municipales du 3 mai 1908: "La loi sur la séparation de l'Église et de l'Etat est encore proche et l'école est au coeur de la lutte. Il faut que vous choisissiez, pour assurer l'exécution de cette loi républicaine qui ne veut plus voir en France deux jeunesses ennemies: l'une élevée par nos institutions républicaines dans l'esprit de discussions et de respect de la loi; l'autre étouffée par les dogmes asservis à des maîtres sous la domination de Rome et en insurrection ouverte contre le gouvernement de la République."
Une très longue carrière politique.
En 1906, ledit gouvernement nomme Georges Gaillard comme sous-préfet de Mantes. Pour "Tenter d'amener la circonscription à la République", écrit sans ambages le Journal de Mantes qui ne cache pas ses sympathies pour le parti radical-socialiste. Et en effet, la sous-préfecture va mettre toute son autorité à faire basculer cet arrondissement à gauche et battre Paul Lebaudy, son député de droite. Sous l'égide du sous-préfet, des comités "républicains" (en fait d'obédience radicaux-socialistes) voient le jour dans tous les cantons et dans les communes les plus importantes de l'arrondissement. Ils sont reçus plusieurs fois à la sous-préfecture, laquelle accorde quelque financement ici ou là. Le sous-préfet invite aussi la Ligue des droits de l'homme, dont le dirigeant local n'est autre qu'Auguste Goust. Georges Gaillard et son épouse n'hésitent pas plus à se montrer aux manifestations publiques organisées par les syndicats ouvriers, chez lesquels Auguste Goust fait déjà figure de proue.
Réformiste dans ses convictions syndicales, Auguste Goust le reste en adhérant au parti radical-socialiste. Et avec l'appui du sous-préfet, soutenu par le Journal de Mantes, journal le plus ancien et le plus lu dans tout le Mantois, fort de son aura parmi le mouvement ouvrier et les francs-maçons, Auguste Goust se présente donc à l'élection municipale partielle du 27 octobre 1907. C'est un homme d'âge mûr qui est élu conseiller municipal d'opposition et devient son dirigeant (avec 5 élus) contre la majorité de droite forte de 18 sièges. Mais le docteur Dupont va connaître un mandat municipal de courte durée avec l'échéance normale des élections municipales fixées au 3 mai 1908. En effet, Auguste Goust démarre lui un long mandat électif comme maire de Mantes-la-Jolie, à la tête d'une liste de gauche. Mais premier signe de son louvoiement futur, l'adoption de deux motions lors du premier conseil municipal qu'il préside: la première, une adresse de sympathie au gouvernement radical-socialiste votée par les élus de gauche; la seconde, établie en réplique par la minorité de droite, à l'adresse des troupes coloniales françaises au Maroc, qui recueille des suffrages de gauche pour être adoptée.
S'il démissionne de ses fonctions au sein de l'union fraternelle des syndicats ouvriers de l'arrondissement, Auguste goust ne renie pas celle-ci pour autant. Il lui fait obtenir en 1908 une Bourse du travail dans un ancien couvent devenu local municipal suite à la séparation de l'Église et de l'Etat. Et quand son conseil municipal devra le récupérer, sa municipalité trouvera un autre lieu pour ladite Bourse du travail. de même, il intercède auprès du ministre du Travail pour que s'établisse un conseil de prud'hommes à Mantes et dont les premières élections auront lieu en 1913. Ainsi, il est indéniable que Bourse du travail et conseil de prud'hommes furent deux clés essentielles pour l'émergence durable du syndicalisme dans la région. Mais, lors de la grève générale des cheminots d'octobre 1910, sa position est équivoque en soutenant le mouvement et en exhortant les grévistes à reprendre le travail dès que le gouvernement les réquisitionne. Le mouvement ouvrier ne semble pas lui en tenir rigueur, puisqu'il est réélu maire en mai 1912. ce qui fait dire au Journal de Mantes: " Si l'idée démocratique a suffisamment progressé au cours de ses quatre années, pour permettre ce résultat, c'est encore au maire de Mantes que nous le devons; c'est lui qui a organisé les ouvriers et qui a appris à certains timorés à connaître les travailleurs dont la mentalité est autrement féconde que celle de certains bourgeois, ignorants et égoïstes, habitués à s'évaluer d'après leur nombre de sacs d'écus". Cependant, aux élections législatives à laquelle Auguste Goust se présente, il rencontre à sa gauche un candidat dit "socialiste unifié" aux idées chères à Jean Jaurès.
Auguste Goust est élu député de Seine-et-Oise dès le premier tour; "La Démocratie de l'arrondissement fête son élu" titre le Journal de Mantes, qui décrit l'immense banquet de la victoire servi dans l'Ile-aux-Dames par le buffetier de la gare: plus de 1 000 convives dont les élus et dirigeants radicaux-socialistes du département. Et le sous-directeur des Chemins de fer de l'Etat, présent lui aussi à ces agapes, d'apporter, au nom du Directeur général à Auguste Goust, "le salut affectueux des cheminots".
Battu aux législatives du 16 novembre 1919, Auguste Goust est réélu maire le 30 du même mois, aucune liste ne se présentant contre la sienne à majorité commerçante et libérale. Et il recouvre son siège de député en 1923. Lors de la grève générale des cheminots de 1920, malgré des discours enflammés devant les grévistes, il est timoré dans ses interventions au gouvernement et le soutien de son conseil municipal à la grève. Cette fois, des velléités locales voient le jour à son encontre. Et aux municipales de 1925, une liste dite de "bloc ouvrier et paysan", aux sympathies communistes reconnues, l'affronte, avec 17 candidats dont 9 cheminots. Il est cependant réélu maire comme chef de file de "l'Union des Gauches et des intérêts communaux".
En 1936, il soutient Gaston Bergery à la députation; celui-ci est élu comme député radical du Front populaire, après le désistement en sa faveur du PCF et de la SFIO. Auguste Goust semble gauchir son discours; le conseil municipal de Mantes, le 13 février 1937, vote la construction d'une nouvelle Bourse du travail, considérant que les locaux actuels sont insuffisants, étant donné "les mouvements sociaux qui se sont produits depuis juin 1936", avec pour résultat "le développement des syndicats actuels", la "création de nouveaux syndicats et l'augmentation du nombre de syndiqués". Une convention à durée illimité scelle alors l'accord entre la municipalité et l'Union locale CGT de la région mantaise.
Auguste Goust, franc-maçon.
C'est à ce titre qu'il va être déchu de son mandat de maire auquel le régime de Vichy l'avait pourtant nommé, après le coup d'état du maréchal Pétain. En effet, Auguste Goust appartient à la loge maçonnique Liberté pour le Travail, fondée en 1877 par le Grand Orient de France et dont il fut le Vénérable maître. Mais le "vainqueur de Verdun" ne veut pas de ceux qu'ils nomment partisans de l'anti-France: francs-maçons, juifs, syndicalistes, républicains, gaullistes ou communistes.
Lorsque Pétain signe l'armistice avec Hitler, Auguste Goust est le maire élu de Mantes-la-Jolie. Auparavant, lorsque le gouvernement de la 3e République dissout l'Union locale CGT et déchoit les conseillers prud'homaux aux sympathies communistes, il ne bouge pas le petit doigt. L'ancien syndicaliste ne dit rien non plus lorsque les syndicats sont chassés de la Bourse du travail à cette époque. Même silence quand la police de Vichy fait arbitrairement interner des cheminots à Aincourt ou ailleurs.
Le 11 janvier 1941, la France étant rentré en collaboration avec Allemagne nazie, il ne démissionne pas du conseil municipal qu'il préside, quand 6 de ses conseillers le font. Il souhaite bonne chance au prochain conseil municipal qui ne sera plus élu mais désigné par l'Etat français. Le 25 juillet, il fait partie de ces hommes désignés par Vichy pour administrer la ville; et en leur nom, il adresse "au chef de l'Etat, le maréchal Pétain, avec nos respectueux hommages, l'assurance de notre bonne volonté de contribuer dans toute la mesure de nos moyens et dans notre rôle d'administrateur, au relèvement de la France". Mais le 26 octobre de cette même année, un arrêté du gouvernement le destitue en tant que franc-maçon.
Après la libération du Mantois, la démocratie reprend ses droits malgré que la Deuxième Guerre mondiale ne soit pas encore terminée. Le Comité clandestin de libération, dirigé par le communiste René Martin, propose de rétablir Auguste Goust dans sa charge de maire dans l'attente des élections municipales. Le 24 septembre 1944, Auguste Goust préside donc un conseil municipal composé des partis et organisations n'ayant pas collaboré avec Vichy ou les Allemands. Les élections municipales du 20 avril 1945 donnent un communiste comme maire à la ville de Mantes: Claude Gilliet, ancien cheminot comme Auguste Goust. Mais ce dernier fait partie de la majorité municipale sous l'étiquette socialiste. En tant que doyen d'âge, il préside l'installation du conseil municipal élu, constatant dans son discours avec satisfaction "la victoire des républicains laïques". Sans doute se rappelait-il son programme politique qui l'avait amené à la députation, en 1914, et affirmait son attachement "au progrès démocratique et à la défense de la société laïque".
Auguste Goust décède à Mantes le 28 janvier 1949, à près de 90 ans. Une foule nombreuse assiste à ses obsèques, sans doute parce qu'en dépit de ses contradictions et de ses voltes-faces, il laissait dans l'esprit de la population l'image d'un bon administrateur de leur ville.
Auguste Goust, le 1er novembre 1944, lors de la cérémonie en l'honneur des résistants du Mantois fusillés par les Allemands.