Dur, dur, d'être musicien !!
Publié le 5 Août 2010
mercredi 28 juillet 2010, par Lidice Busot-Mozes / "le Patriote"
Quel est l’élément commun entre les chiffres 100 000 et 500 ? Pour trouver la réponse ça vaut vraiment le détour de faire un étonnant voyage en chiffres autour des grands festivals de l’été sur la Côte d’Azur. Car, ceux qui jouent pour le plaisir du public sont face à une réalité parfois bien différente de celle que l’on imagine.
Le mépris, c’est ce que les artistes niçois n’arrivent plus à supporter. « Tu n’es pas connu, tu n’es pas considéré », ainsi est résumée l’ambiance dans le métier par David Benaroche, manager artistique. Attitude un peu contradictoire pour lui, qui rappelle, à juste titre, que ceux qui sont connus aujourd’hui ne l’étaient pas au départ. Ainsi, pendant un festival, des figures comme Diana Krall et Keith Jarrett peuvent demander jusqu’à 100 000 euros pour leur prestation alors que des groupes qui vont jouer dans les festivals Off seront payés 500 euros. C’est le cas notamment au Nice Jazz Festival où le saxophoniste niçois Sébastien Chaumont avait joué il y a deux ans. « C’est un gros travail car cela se passe de 23 heures et jusqu’à 3 heures du matin et plus. Il faut être capable de jouer avec tout le monde, d’introduire les uns et les autres… », se souvient-il. Pour autant, le salaire n’est pas du tout à la hauteur. Richard, un autre musicien habitué du Off, est lui aussi remonté contre ces pratiques car « les conditions de travail sont honteuses. L’organisation fait même des économies sur le matériel utilisé lors du OFF et essaye de nous rabâcher que c’est un honneur de travailler avec eux », déplore-t-il.
Le trio niçois Sashird Lao, prix du public en 2007 lors des TSF Jazz à Juan Révélations peut, de son côté, s’estimer chanceux. Après quelques tournées internationales et un succès grandissant, il peut désormais prétendre à un cachet plus important pour leur prestation mais ce ne sera jamais comparable au montant, par exemple, du quartet d’Archie Shepp qui s’élève à 15 000 euros.
Exiger des comptes. Mais pourquoi une si grande différence entre les musiciens connus et les locaux ? Les têtes d’affiche sont-elles trop gourmandes au point de rafler les budgets de tous les festivals ? Difficile d’obtenir une réponse claire. Mais plusieurs aspects méritent réflexion.
Aujourd’hui, les festivals sont devenus la vitrine de beaucoup de villes et un véritable outil de promotion touristique. Les institutions locales, mairies, conseils généraux, conseils régionaux, financent abondamment ces manifestations, quand elles ne les organisent pas elles-mêmes. Alors pourquoi n’exercent-elles pas leur pouvoir afin d’imposer un certain respect des musiciens locaux ? « Les collectivités territoriales qui connaissent bien la situation désastreuse pour le métier devraient demander des comptes à l’heure d’accorder des subventions aux festivals », lance en guise de proposition Marcel, pianiste habitué des festivals de la région. Pour lui, il n’est pas question de se laisser faire, car il estime qu’avant tout, un musicien doit être respecté et que cela passe par le prix du cachet. « Ca m’est arrivé de refuser de travailler dans certains festivals qui voulaient ne me payer que 50 euros par musicien », avoue ce dernier qui n’a pas la langue dans la poche. Pour lui, un salaire correct pour un groupe local commence à partir de 150 euros nets par musicien et les déclarations qui lui correspondent. Et c’est ce dernier aspect le plus épineux aujourd’hui : « Peu de personnes veulent déclarer les musiciens. Il faut partir en croisade pour obtenir une déclaration », reconnaît Jean Marc Jafet qui rappelle qu’un musicien n’a pas seulement les horaires de concert mais également des longues heures de répétitions. En effet, grâce aux déclarations obtenues dans l’année, le musicien peut, par la suite, obtenir le statut d’intermittent du spectacle. Bien qu’abîmé depuis la réforme de 2003, le régime d’indemnisation des intermittents permet aux artistes d’avoir un revenu régulier pendant l’année. Pourtant de bons musiciens survivent à peine avec un salaire inférieur au smic ou une retraite de misère. Beaucoup doivent alors compléter leur revenu par des petits boulots, loin de leur métier artistique. « Je ne fais pas que des Festivals, je suis bien obligé de faire de l’alimentaire et travailler dans des bateaux, lors des mariages et autres manifestations », commente Sébastien Chaumont. Concurrence déloyale. D’autres artistes pointent du doigt ceux qui, d’une certaine manière, font une concurrence rude aux professionnels. Cette année il y aurait au moins un big band américain venu participer au Nice Jazz Festival en payant leur propre billet d’avion et l’hébergement. Une aubaine pour les organisateurs. Mais en ville, le problème est le même. « De plus en plus de gens qui ont un métier à côté se mettent à jouer de la musique et proposent leurs prestations gratuitement dans les clubs », signale Richard qui a vu fleurir ce genre de pratiques dans la vieille ville de Nice où, selon lui, les patrons qui déclarent et qui payent correctement les musiciens se comptent sur les doigts d’une main.
Quant à Jean Marc Jafet, il reconnaît être un privilégié parce qu’il peut vivre de sa musique. « Quand je pense que des musiciens tels que Kenny Garret, le saxophoniste de Miles Davis, jouaient aux Etats-Unis jusqu’à il y a peu pour 50 dollars dans les clubs, je trouve cela incroyable », précise-t-il, conscient que le système français lui a permis d’exercer sa passion en toute liberté. En revanche, il ne cache pas qu’il s’est souvent battu pour avoir un salaire et des déclarations convenables. Cette année, l’enfant du pays a réussi à être en haut de l’affiche et reconnaît avoir perçu de la part du Nice Jazz Festival, et sans discussion, la somme que son agent avait demandé au départ. Le rêve inaccessible pour beaucoup d’artistes…
Lidice BUSOT