Complainte somnambule. Federico Garcia Lorca
Publié le 9 Avril 2012
Un petit cadeau pour vous, ma poésie préférée de Federico, le bel andalou au si tragique destin. Un martyr de la guerre d'Espagne qui manque tant à son pays, à sa culture, aux humanistes épris de liberté.
A tous les amoureux de l'Espagne et de ce poète si tendre.
Caroleone
Complainte somnambule
Verte que je t’aime verte.
Verte brise. Vert ramage.
Le bateau est sur la mer,
Le cheval dans la montagne.
Elle a l’ombre sur la taille
Et rêve à sa balustrade,
Verte est sa chair, cheveux verts,
Son regard de froid métal.
Verte que je t’aime verte.
Au clair de lune gitane,
Elle ne peut voir les choses
Et les choses la regardent.
Verte que je t’aime verte.
Le givre en grandes étoiles
Avec le poisson de l’ombre
Ouvre à l’aube son canal.
Le figuier lime son vent
De ses branchages qui grattent.
La montagne, chat farouche,
Sort ses acides agaves.
Mais qui viendra ? Et par où… ?
Toujours à sa balustrade,
Verte est sa chair, cheveux verts,
Songeant à d’amères vagues.
Compère, je veux troquer
Votre toit pour mon cheval,
Mon harnais pour un miroir,
Mon couteau pour votre châle.
Depuis les ports de Cabra,
Compère, mon sang m’échappe.
Si je pouvais, mon garçon,
Je conclurais ce partage.
Mais je n’ai plus de maison
Et je n’ai plus de visage.
Compère, c’est dans mon lit
Que je voudrais rendre l’âme.
Un lit en fer si possible,
Aux bons draps de fine toile.
Ne voyez-vous pas ma plaie
Qui va du cou au thorax ?
Trois cents roses brunes font
A ton plastron blanc des tâches.
A tes reins l’odeur du sang
Suinte autour de ton écharpe.
Mais je n’ai plus de maison
Et je n’ai plus de visage.
Laissez-moi monter au moins
Là-haut jusqu’aux balustrades.
Laissez, laissez-moi monter
Jusqu’aux vertes balustrades !
Balustrades de la lune
Où retentit l’eau qui claque.
Voilà les amis qui montent
Là-haut vers les balustrades.
Laissant des traces de sang.
Laissant des traces de larmes.
Sur les toitures tremblaient
Des lanternes de ferraille.
Mille tambourins de verre,
Au petit jour faisaient mal.
Verte que je t’aime verte.
Verte brise, vert ramage.
Les deux amis sont montés.
Le vent laisse un goût bizarre :
Menthe, fiel et basilic
Dans la bouche à son passage.
Dis-moi compère, où est-elle ?
Où est donc ta fille grave ?
Elle a guetté si souvent !
Elle t’a guetté si tard,
Frais visage, cheveux noirs,
A sa verte balustrade !
Dessus la face du puits,
Se balançait la Gitane.
Verte est sa chair, cheveux verts,
Son regard de froid métal.
Un bout de lune glacée
La retient à la surface.
La nuit prit un tour intime
Comme une petite place.
Des gardes civils grisés
Viennent à la porte et frappent.
Verte que je t’aime verte.
Verte brise. Vert ramage.
Le bateau est sur la mer.
Le cheval dans la montagne.
Federico Garcia Lorca
Peintures de Dali