Chili: "Voter pour Frei, c'est inoculer le virus du sida pour lutter contre le cancer
Publié le 13 Janvier 2010
Mario Casasus
Dans un entretien accordé en exclusivité à Clarín.cl, Máximo Kinast Avilés, correspondant du Monde Diplomatique.cl au Pérou, lève le voile sur le mirage électoral chilien :
« La Droite va gagner et nous allons avoir un Président ultra néolibéral. Le nom du futur Président du Chili est ce qui importe le moins. Peu importe lequel des
deux candidats va l’emporter. Dire qu’il faut voter pour Frei pour faire barrage à la droite est aussi absurde que d’inoculer le VIH SIDA pour lutter contre le cancer. L’oligarchie sous le visage
de la « Concertación » c’est déjà de l’histoire ancienne. Nous allons avoir un « guépardisme » (1) de première qualité pour que tout continue comme avant - et cela va continuer – avec l’un comme
l’autre des deux candidats. »
MC. - Au Chili on ressent les effets d’une politique xénophobe envers les migrants péruviens. Constate-t-on, à Lima, le même rejet réciproque en direction
des Chiliens ?
MK. – Je crois qu’au Chili il y a un rejet très fort, comme dans n’importe quel autre pays où il existe une très forte minorité d’étrangers. Ce rejet n’est pas réciproque. Peut-être parce que les
Chiliens nous sommes peu nombreux à Lima. Au Pérou, parler du Chili est un thème récurrent qui a été exploité par beaucoup d’hommes politiques pour justifier des problèmes qui n’ont rien à voir
avec les conséquences de la Guerre du Pacifique. On constate une puissante opposition populaire aux investissements en provenance du Chili, mais, paradoxalement, les Péruviens font leurs achats
dans les grandes surfaces qui appartiennent aux chaînes d’hypermarchés chiliennes.
MC. – Comment a été traitée, par la presse du Pérou, la farce électorale que nous vivons ici au Chili ? Est-ce que la presse écrite et les télévisions
consacrent des espaces au pays voisin ?
Mk. - Je peux t’assurer que tous les jours, pour une raison ou pour une autre, les journaux du Pérou font une référence ou une comparaison avec la situation au Chili. L’opinion publique est
intéressée par ce qui se passe au Chili. Il y a quelques jours, la revue « Caretas » (Masques) a consacré sa couverture à l’assassinat de Frei Montalva. Les sujets qui intéressent le plus, dans
la presse comme sur Internet, ce sont cette affaire d’espionnage, la frontière maritime et les élections actuelles.
MC. – Venons-en au sujet qui nous intéresse : quel est l’enjeu du 17 janvier ? Un rééquilibrage à l’intérieur du modèle néolibéral ? Ou bien la mise à
l’écart de la nouvelle oligarchie issue de la « Concertación » ?
MK. - Il n’y a absolument aucun enjeu. Tout est déjà mijoté. La droite va gagner et nous aurons un président ultra néo-libéral. Les promesses, on les oublie et on ne les tient pas. Le nom du
président à venir est ce qui importe le moins. N’importe lequel des deux candidats fait parfaitement l’affaire. Prétendre qu’il faut voter Frei pour faire barrage à la droite est aussi absurde
que d’inoculer le VIH SIDA pour lutter contre le cancer. La « nouvelle oligarchie issue de la Concertación » c’est de l’histoire ancienne. Bien des noms de vaches sacrées sont passés à
l’histoire. Quel que soit le résultat, la Concertación c’est du passé. Il y aura de profonds réajustements et des changements de leaders et des têtes nouvelles. Nous allons assister au retour du
"guépardisme" par excellence, pour que tout continue - et cela va continuer - comme avant avec n’importe lequel des deux candidats.
MC. - La présidente Bachelet vit-elle avec le syndrome de Stockholm ? Ne sommes-nous pas en présence d’un pacte de soumission passé avec la droite avec
machiavélisme ?
MK. – Pauvre femme. Sa nullité me fait de la peine. Je crois sincèrement qu’elle souffre du syndrome de Stockholm. Son « miliquismo » (2) est une aberration puisque ce sont les militaires qui ont
assassiné son père et qu’elle-même et sa mère ont passé quelques jours dans la Villa Grimaldi (3). Même si elles ont bénéficié d’un traitement « universitaire » et n’ont pas subi celui qui était
la norme et que subissaient tous les autres les hôtes, Grimaldi ce n’était pas précisément Punta Peuco (4). Je crois que quelque chose s’est brisé chez elle, un chip, un câble, et c’est pourquoi
Michelet arme les militaires. Je ne crois pas qu’elle ait passé un pacte avec la droite. Elle est de droite. Si ce n’est pas ça l’explication, comment peut-on comprendre qu’elle ait eu l’idée de
privatiser la mer et d’avoir recours à la Loi Antiterroriste contre les Mapuches ?
MC. – la grande nouvelle de la fin de l’année qui vient de s’écouler a été l’arrestation des médecins qui ont empoisonné le président Eduardo Frei Montalva. S’agit-il d’une manipulation
électoraliste de la part de la Justice pour mettre en avant Frei Jr ? Pourquoi les grands médias font-ils silence sur le fait que c’est Frei Jr qui a sauvé Pinochet ?
MK. – le pouvoir judiciaire, au Chili, est assez corrompu. Souvenons-nous du Ministre qui a refusé l’extradition de Fujimori en recopiant les textes des avocats de la défense. Et le refus
historique, sous la dictature de Pinochet, du recours en amparo ; sauf un, celui de Sabastian Piñera, suite au détournement de fonds à la banque de Talca. Mais dans ce cas-ci, je ne crois pas
qu’il ait eu un accord. Simplement il fallait bien qu’un jour ou l’autre le procès sorte. Il est évident qu’avec la niaiserie chronique du Chilien moyen, l’assassinat du père apportera des voix
au fils. Exactement comme son père gagna des voix grâce à la mort de sa sœur, quelques jours avant les élections de 1964, suite à un accident de la route. Frei Jr est un excellent gérant des
affaires de la droite et des multinationales. C’est pourquoi notre presse – dans son lavage de cerveaux quotidien – ne parle pas de ce sujet. Simplement la droite n’a pas intérêt à rappeler qu’un
des candidats est le plus grand défenseur de l’assassin de son propre père.
MC. – Pourquoi jamais tu ne voterais pour Sebastian Piñera ? Voterais-tu nul ? J’oubliais que les Chiliens de l’étranger n’ont pas le droit de vote…
MK. –Jamais je ne voterais pour le Piranha (5), coupable de détournement à la Banque de Talca, pour des tas de raisons viscérales. Le haut-le-cœur que cela provoquerait en moi pourrait déclencher
une crise d’asthme et je serais même incapable du moindre mouvement. Je pourrais aller voter à Iquique, où je suis inscrit, mais ça m’est presque indiffèrent. Entre inscrire sur mon bulletin de
vote Assemblée Constituante ou l’abstention la première option est la meilleure, mais je n’ai ni l’envie ni le temps de le faire.
Effectivement, Mario, au Chili, il existe diverses catégories de Chiliens. Dans la première catégorie on trouve ceux qui habitent au nord du Canal San Carlos. Dans
la seconde, ceux qui vivent comme ils le peuvent. Dans la troisième, ceux qui survivent très difficilement. Dans la quatrième, les Mapuches que l’Etat est en train de massacrer. Et la cinquième
est composée par nous, les Chiliens qui n’avons même pas le droit de montrer que nous existons en faisant du boucan parce que nous habitons « loin du pays ».
MC. – Quel est on pronostic pour le 17 janvier s’il est vrai que nous sommes déjà co-gouvernés par l’extrême droite et la « Concertación » ?
MK. - Bien évidemment le gagnant sera celui qui va investir le plus de fric dans la publicité et dans le marketing politique. N’oublie pas que le Chili est une ploutocratie où les places
politiques ça coûte de l’argent. Cet argent, nos hommes politiques doivent le récupérer durant leur mandat, mais pour cela nous avons à faire à des experts. Pour le premier tour des élections,
j'avais deviné tous les résultats seulement en me basant sur la quantité d’argent investie par chaque candidat.
MC. – Je voulais avoir ton avis sur deux affaires d’actualité. Quelles sont tes conclusions à propos de cette affaire d’espionnage de la part du Chili concernant le Pérou ? Est-ce le
résidu de la mentalité dictatoriale des Forces Armées Chiliennes ?
Mk. - Il semble que cette affaire était connue depuis environ deux ans à Lima. Il est possible qu’elle ait été rendue publique pour détourner l’attention d’une autre affaire sale concernant Alan
García. J’ai la conviction que les militaires – dans le monde entier – sont antidémocrates et au Chili plus qu’ailleurs ; mais je ne crois pas que ce soit la cause de cette absurde affaire
d’espionnage. C’est quelque chose que les gouvernements ne peuvent pas éviter. Ils aiment jouer aux espions. J’imagine qu’ils essayent de savoir le montant de la commission qu’ont touchée ceux
d’en face pour l’achat d’armes pour mieux contrôler leurs fournisseurs. Parce que pour ce qui est des renseignements militaires ou utiles pour la conduite d’une guerre, il est plus facile de les
trouver avec luxe de détails sur Internet. Il suffit de combiner Google Earth avec des sites spécialisés dans les questions militaires.
MC. – Pourquoi, au Pérou, a-t-on condamné Fujimori alors que la Justice est impuissante ici au Chili ? Je pose cette question parce qu’Alfonso Podlech est mis en examen, en Italie, et tu
sais parfaitement que le dossier Pinochet fut traité par la justice de Londres sur requête des autorités judiciaires espagnoles.
MK. – Je t’avoue que j’ai versé des larmes de joie lorsque j’ai lu le mail de Ronald Gamarra, au petit matin, ce dimanche, avec la nouvelle de la condamnation de Fujimori à 25 ans. Mais aussi
avec rage parce que notre Porc Innommable est mort libre, lui, et avec la bénédiction du Cardinal. Au Pérou, malgré le haut degré de corruption de la classe politique et du Pouvoir Judiciaire, il
y a des juges honnêtes comme par exemple les Membres de la Cour Suprême. Au Chili aussi il y a, çà et là, un juge qui mérite le respect et notre admiration, mais l’immense majorité sont
réactionnaires et beaucoup sont encore pinochetistes. La conclusion c’est que si nous voulons la justice il faut l’obtenir à l’étranger. Le procès de Fujimori a été un modèle de transparence et
avec quantité d’arguments juridiques et de preuves. Quelque chose d’impensable au Chili.
MC. - Enfin, la Fondation Neruda s’est plainte parce que Piñera a publié un poème sans autorisation : « C’est un acte de piraterie culturelle ; Piñera est en train d’endosser des
vêtements qui ne lui appartiennent pas, avec une culture qu’il n’a jamais défendue ni soutenue ; la Fondation Neruda s’est centrée sur la pensée latino-américaine qui se tient à l’écart du
pouvoir » (sic) ». Juan A. Figueroa est l’idéologue de la Loi Antiterroriste et il voulait être le conseiller du MEO. Cela ne revient-il pas à être acteur dans une politique nationale
?
MK. – Ce sont des querelles entre des rats de même acabit. Le fond de l’affaire c’est le fric. Le Piranha prend ce qu’il trouve et s’il peut le faire sans payer, il le prend avec plus de plaisir
encore. Ce Figueroa est une canaille, sans moralité, un impudent qui a fait main basse sur les biens de la mémoire du Poète pour ses propres intérêts. Sur mon blog : Neruda.blogia.com, je compile
quelques poèmes de Neruda pour en diffuser les moins connus, mais je me suis senti obligé d’y intercaler des accusations à l’adresse de Juan Agustín Figueroa.
Notes du traducteur :
1) « gatopardismo », dans le texte, mot forgé sur gatopardo = guépard et claire allusion au roman : Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa et au personnage du prince Salina pour qui… il faut
changer, mais pour que tout reste comme avant.
2) « miliquismo » se réfère à la mentalité militaire, autoritaire et hiérarchique où reigne la loi du plus fort.
3) Après le coup d'État du 11 septembre 1973, la Villa Grimaldi fut utilisée par la DINA (Dirección de Inteligencia Nacional, la police politique de Pinochet), comme centre de détention et de torture.. (Wikipedia).
4) Centre de rétention réservé aux militaires qualifié de « luxueux » par certains juges dans un rapport officiel.
5) Jeu de mots transparent avec piranha, ce célèbre poisson carnassier des eaux amazoniennes.
Traduit par Manuel Colinas pour Investig'Action
Source: El Clarín de Chile
Diplômé par la Faculté de Droit de l’Université du Chili et en Anthropologie par l’Université de Concepción, Máximo Kinast a été le co-fondateur de l’ONG ATTAC-Pérou et de l’Association Educative
Hispano-Américaine ; jusqu’à l’an passé il a coordonné le programme : Une bibliothèque pour mon Village. Actuellement, il est conseiller pour le Mouvement Indien du Pérou. Face à l’impossibilité
d’exercer son droit de vote parce qu’aucun Chilien résidant à l’étranger n’a le droit de vote, il précise : « Effectivement, au Chili, il existe plusieurs catégories de Chiliens. Dans la première
catégorie vous trouvez ceux qui habitent au nord du Canal San Carlos. Dans la seconde, ceux qui vivent comme ils le peuvent. Dans la troisième, ceux qui survivent très difficilement. Dans la
quatrième, les Mapuches que l’Etat est en train de massacrer. Et la cinquième est composée par nous, les Chiliens qui n’avons même pas le droit de montrer que nous existons en faisant du boucan
parce que nous habitons à l’étranger ».
michel collon pour décoder
l'info