À Atenco « Nous continuons à semer,ça veut dire qu'on a gagné !!
Publié le 27 Juin 2010
Extrait d’un texte original de Marcela Salas Cassani et Sergio A. Castro
San Salvador Atenco, Mexique. À quatre
ans de la répression subie les 3 et 4
mai 2006, les habitants de San Salvador
Atenco « continuons à semer, ça veut dire
que nous avons gagné », raconte Trinidad
Ramirez, membre du FPDT (front des
peuples en défense de la terre), pendant
qu’elle désherbe, bêche en main, une parcelle
de haricots rouges.
Aussi épouse d’Ignacio Del Valle, détenu
à la prison de l’Altiplano et condamné à
112 ans de prison pour sa participation au
mouvement contre le projet d’aéroport,
elle prévient : « le fait que certains soient
prisonniers n’empêche pas la lutte pour
la défense de la terre ».
L’histoire de la criminalisation des habitants
d’Atenco ne commence pas en 2006
mais bien en 2000 quand a été tentée la
construction d’un autre aéroport pour la
ville de Mexico et qu’on étés expropriés
près de 5000 hectares de terres mexicaines.
Le FPDT s’est monté pour combattre
la construction de l’aéroport et, de
nombreuses manifestations hostiles au
projet plus tard, il a été abandonné en
août 2001.
Une lente menace
Débuts 2009, le gouvernement fédéral, par
la Commission Nationale de l’Eau (Conagua)
chercha de nouveau à s’approprier
des espaces dans les territoires mexicains,
pour « créer la zone de sauvegarde écologique
du lac de Texcoco ».
« Nos terres courent toujours un risque
avec le projet de la Conagua, il ne s’agit
pas d’autre chose que du projet d’aéroport
camoufl é, même s’ils disent vouloir acheter
les terres pour « préserver l’écologie »,
assure Trinidad Ramirez.
Mais les habitants d’Atenco ne sont pas
disposés à céder : « Nous ne voulons
aucun projet, ce que nous voulons c’est
qu’ils partent d’ici ».
La lutte continue
L’intimidation des habitants de San Salvador
Atenco continue : « Ils nous harcèlent
continuellement avec leurs hélicoptères,
mais loin d’avoir peur, nous vivons ça
comme une atteinte à notre dignité. Nous
ne sommes pas prêts à nous rabaisser
devant qui que ce soit ».
Huit ans après avoir rejeté le décret expropriatoire,
le FPDT est prêt à reprendre la
lutte. « L’objectif du gouvernement était
d’en fi nir avec ce mouvement, mais ils
n’ont pas réussi. Ce que nous voulons
– explique Trinidad – c’est avoir du travail,
avoir les opportunités et les services
qu’il nous faut. Mais le gouvernement a
répondu avec la répression, il n’aime pas
que nous nous organisions ni que nous
sachions que nous avons de droits ».
« Il faut continuer à semer de la
conscience »
« Nous voulons le respect de nos terres et
de nos formes de vies. Nous exigeons la
liberté pour nos prisonniers et ceux qui
sont encore poursuivis, que les assassins
de nos morts et violeurs de nos femmes
soient punis ». Mais surtout les habitants
d’Atenco exigent la punition des auteurs
moraux de la répression des 3 et 4 mai
2006 : Enrique Peña Nieto ou Vicente
Fox Quesada, parmi les nombreux qui y
participèrent.
« Notre tâche – dit Trinidad – est de propager
l’amour que nous avons pour notre
terre. La mobilisation est la force qui peut
changer ce système. Il nous faut continuer
à semer de la conscience. C’est la seule
manière ».
La vengeance de l’État
« La répression des 3 et 4 mai 2006, ça ne
fut pas seulement parce que nous nous
sommes solidarisés avec les vendeurs de
fl eurs. Ce fut bien pour avoir défi é l’État,
jetant un décret présidentiel », assure Trinidad.
Le 3 mai 2006, le FPDT et les adhérents
de l’Autre Campagne se sont solidarisés
avec un groupe de fl oriculteurs de Texcoco
qui ne voulait pas abandonner ses places
au marché, la situation se déchaînant en
aff rontement, durant lequel un jeune est
mort.
Le lendemain, plus de 3000 policiers sont
entrés armés dans Atenco. « Ce fut une
répression brutale et lâche, avec au fi nal
deux jeunes tués, plus de deux cent prisonniers
et près de 30 femmes violées ».
Suite à ça, la majeure partie des détenus
fut enfermée illégalement à la prison de
Santiaguito et plus tard, 172 d’entre eux
ont reçu des arrêts de prison ferme pour
divers délits.
Jusqu’à aujourd’hui, les coupables n’ont
pas été punis et 12 des hommes arrêtés ce
jour-là sont toujours prisonniers.
Texte complet sur
À Atenco « Nous continuons à semer,
ça veut dire que nous avons gagné »
Extrait d’un texte original de Marcela Salas Cassani et Sergio A. Castro
Photo : Cuauhtemoc García,
7 Numéro 7 - Juin / Juillet 2010 - www.desinformemonos.org
Histoire de narcos, femmes et prisons
Mexico, DF. Le nombre de femme prenant
part au trafi c international de drogues
augmenté vertigineusement en Amérique
latine ces vingt dernières années ; la relation
entre les rapports de genre, le trafi c de
drogues et le système pénitentiaire doit être
compris à partir de la situation socio-économique
de la région, des systèmes pénaux
et de la législation de chaque pays et de la
situation de marginalisation et de subordination
dans laquelle vivent toutes les femmes
des sociétés latino-américaines.
Les modes de participation des femmes
sont multiples ; nous présentons ici des
épouses, des mules et des femmes qui
introduisent de la drogue dans des centres
pénitentiaires.
Le contexte social
Alejandra : « Tu t’éloignes de la famille,
tu t’éloignes de tes quelques amis parce
que tu te rends compte de qui sont tes
véritables amis. Tu dois rester scotchée
là-bas et tu ne peux pas développer une
vie normale. En tant que mère et épouse
je ressens beaucoup d’impuissance, et
les gens qui ne sont pas au courant de la
réalité des choses te mettent l’étiquette
« épouse du pire ».
Leticia : « Je n’ai pas pu avoir de cercle
social normal. Ici comme où tu voudras,
la société rejette. Mes relations c’est les
gens de là-bas, les dames de là-bas (les
visites qui arrivent à la prison) ; il n’y a
qu’avec elles que je peux parler de cette
situation qui nous aff ecte toutes. Pendant
ces huit ans je n’ai pas eu d’amies
en dehors de ce cercle. »
La Palma, un parapluie
Carina : « Tu ne t’habitues pas à La Palma.
Le gouvernement s’est donné pour but
que tu ne t’habitues jamais, il y a toujours
quelque chose de neuf, quelque chose qui
ne va pas. La consigne, c’est fatigue les
pour que tu les laisses seul. »
Julia : « À l’intérieur les autorités cherchent
à ne pas être visitées, parce que ce n’est pas
un système de réadaptation, c’est un système
de dépersonnalisation. Ici, c’est un système
où on t’eff raie, on te fait plier, on te dit « ici
tu n’as aucun pouvoir ». Plein de manières
de t’humilier, dès qu’ils le peuvent ils le
font. Je suis devenue dure, et si la société me
critique ça ne m’intéresse pas, parce que la
société ne m’as pas maintenue, elle ne m’a
pas demandée si mes enfants mangeaient,
ou s’ils vivaient ou s’ils existaient ».
Les enfants
Sujet crucial que celui des enfants : certaines
préfèrent raconter la vérité, d’autres
tentent de la camoufl er. Dans le cas de Julia,
ses enfants « ont passé huit mois croyant
qu’ils allaient voir leur père à l’école ; je les
emmenais en visite le dimanche, parce que
c’est plus dégagé à la prison, il y a moins
de voitures, il y a moins de policiers et il
y a plus de gamins. Quand j’ai pu emmener
mes enfants le jour de la fête des pères
l’impact a été terrible. Qu’est-ce qu’il a fait
quand il a vu ses enfants courrir et pleurer
? Il a pleuré pour chacun d’entre eux,
il les a embrassés un par un, les enfants
le serraient dans leur bras et partageaient
sa peine. Un cri bouleversant est monté,
poussé par tous ses compagnons : « courage
! » Ça te fend le coeur, tous ont commencé
à applaudir, tous nous ont dit : « tu
peux le faire, femme, mets y l’envie. Il y a
une porte de sortie ».
Les vendeuses
Lucy, condamnée à 15 ans de prison pour
avoir introduit des drogues dans un centre
pénitentiaire, en a eff ectué sept. Avant
de se consacrer à amener de la drogue au
Reclusorio Sur, Lucy, à treize ans, était
mère de deux petites fi lles ; à quinze ans
elle avait trois fi ls de plus, avec un autre
homme. Elle a été migrante illégale aux
Etats-Unis, elle a lavé des vêtements et
nettoyé des maisons, quand elle n’avait
pas d’argent elle donnait à ses enfants l’eau
du robinet « pour qu’il se remplissent le
ventre et qu’ils n’aient plus faim ».
« Ça fait déjà quinze ans que je suis
une mère seule. Une dame, dont je
lavais habits, m’a appris à la… mettre
(la drogue), comment l’amener, alors je
me disais : 500 pesos vite fait – c’est ce
qu’ils me payaient – et je néglige pas mes
enfants et je n’ai pas de problèmes ».
Lucy ne proteste pas contre la détention
en soi, mais contre la durée de la peine
et l’impossibilité légale d’être libérée
avant son terme : « donc à mon avis ils
devraient nous donner des peines moins
longues ou une libération conditionnelle,
considérant que comme femmes nous
sommes celles qui prenons soins de nos
enfants, celles qui veillent sur eux, parce
que les hommes, qu’est-ce qu’ils font ? Ils
ne font rien ! »
Les femmes incarcérées pour atteinte à la
santé vivent une situation hybride, entre
victimes et coupables. Leurs délits sont,
en plus de l’acte individuel choisi, le fruit
de l’illégalité de la substance transportée,
de l’exclusion sociale, de l’ignorance, de
la normalisation du trafi c international
de drogue, de la corruption des forces
responsables du combat contre le narcotrafi
c, et, pour fi nir, de l’inégalité des
relations de genre qui font des femmes
les ouvrières et complices idéales pour
la délinquance organisée.
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