Pérou : « Nos ancêtres étaient des cartographes empiriques »

Publié le 3 Octobre 2025

Publié le 30/09/2025

Le leader a présenté un aperçu de la cartographie wampí lors du séminaire sur les cartographies autochtones. Image : IWGIA

Un leader autochtone discute du travail de cartographie ancestral de la nation Wampis pour assurer l'autodétermination sur ses territoires.

Servindi, 30 septembre 2025. – « Nos grands-parents étaient experts dans la construction de leurs propres cartes […]. C'étaient des cartographes empiriques. Ils n'écrivaient pas, mais ils préservaient l'espace de leur territoire dans leur mémoire. »

Ce sont les paroles du leader Wampis Shapiom Noningo lors du Séminaire international sur la cartographie des territoires autochtones , tenu à Santa Cruz, en Bolivie. 

Au cours de la réunion, Noningo a décrit comment le peuple Wampis a construit son propre système de gouvernement basé sur les connaissances, la sagesse et les pratiques ancestrales. 

Le séminaire sur les cartographies autochtones a été organisé par le Groupe de travail international pour les affaires autochtones (IWGIA) en collaboration avec des alliés locaux et a réuni plus de 40 dirigeants et spécialistes autochtones de trois continents pour partager leurs expériences autour de l'utilisation des cartes .

Ci-dessous, nous publions la présentation que le leader Wampis a partagée lors du séminaire , dans une version résumée qu'il a donnée à Servindi.

 

Les Wampis, premiers cartographes autochtones

 

 

Par Shapiom Noningo Sesen *

Depuis des millénaires, les Wampís ont bâti leur histoire, leurs connaissances, leurs pratiques, leur gestion et leur coexistence harmonieuse avec la nature et leurs territoires. Cette compréhension large et profonde de la nature nous a permis de perpétuer notre existence historique, physique, biologique et culturelle jusqu'à aujourd'hui. De manière générale, comme d'autres peuples du monde, nous préservons cette réalité et cet héritage historique.

Nous avons établi un système de vie commune et une gestion libre et autonome de nos territoires. Des territoires intégraux, où cohabitent le spirituel et le matériel, constituent le fondement essentiel du développement de notre système culturel et de la continuité de la nation originelle. L'autonomie implique la capacité de prendre conscience collectivement de l'existence de nos territoires. C'est pourquoi nous, les Amazoniens du Pérou, disons que sans territoires, les peuples autochtones ne sont rien. Nous ne pouvons pas vivre sans territoires.

Nos ancêtres étaient conscients de tout ce qu'ils traversaient : ils savaient où se trouvaient les cascades, les grottes, les routes, les collines, etc. Ils ne notaient rien, mais ils gardaient en mémoire l'espace de leur territoire.

Avant la naissance de l'État, nous étions libres et autonomes. Nos ancêtres savaient tout ce qu'ils traversaient : ils savaient où se trouvaient les cascades, les grottes, les routes, les collines, etc. Ils ne les écrivaient pas, mais ils gardaient en mémoire l'espace de leur territoire : les routes, les limites de chaque village, ils savaient tout ce qu'ils traversaient. 

Nos grands-parents étaient experts dans l'élaboration de leurs propres cartes. Ils les dessinaient mentalement et les transmettaient de génération en génération. Ils furent les premiers cartographes empiriques. C'est ainsi que nous avons construit notre propre schéma cartographique et nos limites socio-territoriales, que nous maintenons encore aujourd'hui.

À la naissance des premières communautés, dans les années 1960 au Pérou, les sages expliquaient leurs souvenirs aux spécialistes, qui les exprimaient sur des cartes. Nous avons commencé à utiliser la technologie comme un outil, avant l'État et toute autre entité. Il était nécessaire de dresser des cartes. Les premières communautés ont commencé à établir des titres, à tracer des lignes de démarcation, et nous avons commencé à utiliser des boussoles, des théodolites, des GPS et d'autres technologies. Mais cela signifiait aussi que nous avons cessé d'être des cartographes comme nous l'étions auparavant. 

Nous avons déjà appris à utiliser la technologie par nécessité, par politique, comme stratégie pour défendre nos droits territoriaux.

Au début de leur vie, avant le contact avec l'Occident, aucune technologie n'était nécessaire. Les Wampis voyageaient de cinq à dix jours pour rejoindre leurs familles. Ils arrivaient sans se perdre. C'était un autre mode de vie qui garantissait la propriété, l'utilisation et la conservation de leurs territoires. 

Dans le contexte actuel, pourquoi est-il nécessaire de recourir à la technologie et à la cartographie ? Parce que l'État exige que nous prouvions notre occupation par des cartes pour obtenir un titre de communauté et être reconnus. Nous sommes également confrontés à d'importantes menaces liées à l'exploitation minière illégale, à l'exploitation forestière illégale, aux plantations en monoculture et aux champs pétroliers. Lorsque les juges nous demandent : « Où se situent vos limites territoriales ? Combien d'habitants comptez-vous ? », nous devons présenter nos cartes comme preuve de propriété collective. 

Mais aussi pour nous-mêmes : surveiller et planifier l’administration et le contrôle de nos territoires, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le contexte actuel nous impose d’être vigilants et de maintenir notre territoire sous surveillance. Nous devons nous organiser pour créer un système de surveillance. Cela signifie que nous avons déjà appris à utiliser la technologie par nécessité, par souci politique, comme stratégie pour défendre nos droits territoriaux. 

Ainsi, dans la Nation Wampis, nous sommes en train de reconstruire notre autonomie, de renforcer et de consolider nos droits autonomes ou d’autogouvernance socio-territoriale. 

*Shapiom Noningo Sesen est secrétaire technique du Gouvernement Territorial Autonome de la Nation Wampis (GTAW).

Voir le document Territoire, autonomie et cartographie en Amazonie péruvienne

traduction caro d'un article paru sur Servindi.org le30/09/2025

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