Amis de la rivière Attawapiskat : Les peuples autochtones de l'Ontario sur leurs gardes contre une loi visant leurs territoires
Publié le 23 Juin 2025
Michel Koostachin , Kerrie Blaise
1er juin 2025
Route d'hiver. Photo : Eleven North Visuals
Par une seule mesure législative, le projet de loi 5 propose de modifier délibérément de nombreuses lois, voire de les abroger complètement, afin de promouvoir l'exploitation minière. Cette proposition menace la taïga et les marais où vivent de nombreux peuples autochtones. Guidées par la loi naturelle, les communautés oji-crie, ojibwée et omushkegowuk s'engagent à prendre soin de l'eau qui leur donne vie et à résister à la cupidité qui empoisonne leurs rivières, nuit à leurs enfants et détruit leurs communautés.
En avril 2025, le gouvernement de l'Ontario a déposé le projet de loi 5, officiellement intitulé « Loi visant à protéger l'Ontario en dynamisant notre économie ». Cette initiative privilégie les intérêts économiques plutôt que la protection de l'environnement et les droits fondamentaux de la personne. Son objectif est de stimuler la croissance économique et de faciliter l'extraction de minéraux essentiels dans le Nord de l'Ontario, en particulier dans une région appelée le « Cercle de feu » : une vaste étendue d'environ 5 000 kilomètres carrés où des dizaines de milliers de claims miniers ont été enregistrés sans le consentement des peuples autochtones.
La nouvelle loi propose la création de « zones économiques spéciales », où les lois provinciales sur la protection de l’environnement, les normes sanitaires, les protocoles de sécurité et les interventions d’urgence ne s’appliqueraient plus. Dans le Nord de l’Ontario, les peuples autochtones du territoire visé par le Traité n° 9 estiment que le projet de loi 5 représente une menace bien plus grave : une atteinte directe à nos droits, à nos écosystèmes et à nos responsabilités en vertu du droit naturel. Cette mesure a été vivement critiquée par des groupes autochtones locaux, des juristes et des organisations environnementales, et a galvanisé les efforts d’organisation communautaire dans le Nord de l’Ontario. Dans ce contexte, les Amis de la rivière Attawapiskat sont un groupe autochtone local qui se consacre à la protection de la santé des eaux, des populations et des communautés vivant en aval du Cercle de feu. Nous sommes membres des communautés d’Attawapiskat, de Peawanuck, de Kashechewan, de Fort Albany, de Neskantaga et de Moose Factory sur le territoire visé par le Traité n° 9. Ensemble, nous avons la responsabilité de protéger nos terres contre l’exploitation et la dégradation. Il s’agit de préserver l’intégrité de la taïga (forêt boréale) et du marécage (muskeg) des basses terres de la baie d’Hudson et de la baie James, des écosystèmes essentiels à l’atténuation des changements climatiques et à la santé des générations futures.
Chouette boréale dans la taïga. La faune du nord de l'Ontario est menacée par une nouvelle loi gouvernementale. Photo : Eleven North Visuals
La loi naturelle : une responsabilité sacrée
Les Amis de la rivière Attawapiskat sont les ancêtres des chefs qui ont signé le Traité n° 9 avec la Couronne pour un partage pacifique des terres. Les peuples oji-cri, ojibway et omushkegowuk vivent en harmonie avec ces terres que le Créateur nous a données depuis des temps immémoriaux. Nous sommes le peuple de l'eau. L'eau nous donne la vie, et nous en prenons soin en retour. C'est notre devoir envers le Créateur. Nos modes de vie traditionnels ne reposent ni sur la cupidité ni sur la violence envers ces terres, mais plutôt sur l'amour, l'harmonie et un engagement constant les uns envers les autres.
Une profonde adhésion à la Loi Naturelle est au cœur de la résilience de nos communautés. La Loi Naturelle fait référence au Créateur : tout ce que nous voyons, ressentons et percevons spirituellement. Le soleil qui se lève toujours à l’est et l’air que nous respirons sont des expressions de la Loi Naturelle. Cette compréhension englobe les quatre directions, l’interconnexion du corps et de l’esprit, et le caractère sacré de la Terre Mère.
La loi naturelle nous rappelle que nous ne possédons rien ; nous empruntons tout. Ces enseignements façonnent notre perception de la terre, de l'eau et de notre rôle dans leur protection.
Cette vision du monde impose un profond respect pour toute la Création. Lorsque nous chassons, nous observons des traditions telles que l'offrande de tabac. Nous considérons les animaux comme des compagnons et devons donc les respecter. La loi naturelle nous rappelle que nous ne possédons rien ; nous empruntons tout. Ces enseignements façonnent notre perception de la terre, de l'eau et de notre rôle dans leur protection.
Cette compréhension sacrée nourrit notre inquiétude face à la destruction que l'homme propose au nom de l'extraction de minéraux essentiels. Le projet de loi 5 viole la loi naturelle. Il porte atteinte à nos responsabilités envers la Terre et les générations futures.
/image%2F0566266%2F20250623%2Fob_e2cbd8_canada-junio-2025-2-1536x1152.jpeg)
La rivière Attawapiskat gelée. La taïga et les marais sont menacés par l'avancée de l'extractivisme. Photo : Eleven North Visuals
Lacunes juridiques et conséquences environnementales
D'une seule mesure législative, le projet de loi 5 modifie délibérément de nombreuses lois, voire les abroge complètement. Dans la zone économique spéciale proposée, aucune loi provinciale ne s'appliquerait. Cela comprend des centaines de règlements relatifs au travail, à la santé et à la sécurité, aux droits des travailleurs, aux normes du travail, aux interventions d'urgence, à la protection de l'environnement, au bien-être animal et à la gestion de l'eau.
Ce vide législatif suscite de nombreuses inquiétudes quant à la transparence et à la responsabilité du gouvernement, ainsi qu'à la manière dont les droits des peuples autochtones de la région seront respectés (le cas échéant). Sans lois applicables, il n'existerait aucun mécanisme clair pour surveiller les activités, protéger la santé publique ou garantir la sécurité environnementale. Parallèlement, aucune disposition ne prévoit de collaboration avec les Premières Nations, de surveillance équitable ni de prise de décision partagée.
Ici, l'eau circule sous terre (rivières et ruisseaux) et dans l'air par la pluie. Si la Ceinture de feu se développe, les toxines minières se répandront dans nos cours d'eau et constitueront une grave menace pour les êtres vivants.
Le gouvernement de l'Ontario utilise les tensions mondiales entourant les chaînes d'approvisionnement pour justifier la promotion d'intérêts privés. Le projet de loi 5 incarne une cupidité qui détruira notre avenir et celui de ceux qui n'en sont pas encore à leur naissance. Les permis délivrés par les ministères ne tiendront pas compte des droits ancestraux et issus de traités, contournant toute consultation des populations locales ou des élus. À ce jour, le gouvernement n'a jamais sollicité notre consentement libre, préalable et éclairé (CLPE), et cela ne changera pas si le projet de loi 5 entre en vigueur. Cette situation met en péril non seulement nos communautés, mais aussi nos espèces apparentées, comme l'esturgeon ( Acipenseridae ) et le caribou ( Rangifer tarandus ), dont les populations sont déjà en déclin.
Le projet de développement du Cercle de feu est situé en amont de plusieurs de nos communautés, à environ 160 kilomètres (100 miles ). La modification du fondrière affectera bien plus que la zone immédiate. Les rivières Attawapiskat, Kapiskau, Ekwan, Opinnagau, Albany et Winisk nous donnent accès à nos territoires traditionnels sacrés où nous récoltons nourriture et médicaments. Ces eaux coulent vers le nord jusqu'à la baie James. Les anciennes tourbières de cette région continuent de servir d'importants puits de carbone et contribuent au refroidissement de la planète depuis des millénaires. Ici, l'eau circule sous terre (dans les rivières et les ruisseaux) et dans l'air par les précipitations. Si le Cercle de feu se développe, de nombreuses toxines issues de l'exploitation minière se disperseront dans nos cours d'eau et constitueront une grave menace pour tous les êtres vivants.
Renard roux dans la taïga. L'exploitation minière menace tous les êtres vivants de la région. Photo : Eleven North Visuals
Extractivisme : une histoire coloniale
Plus de 30 000 concessions minières ont été déposées dans la région du Cercle de feu, sans aucun consentement. Nous, les Premières Nations, avons réitéré que le développement ne doit pas se poursuivre sans notre accord. Au lieu de nous écouter, le gouvernement abolit les lois mêmes qui exigent notre consentement. Nous nous souvenons encore des retombées de l'exploitation minière : la mine de diamants De Beers avait promis des emplois et des opportunités, mais a laissé derrière elle pollution, pénurie de logements et cas de suicides. La province a reçu 14 % des redevances, mais notre communauté en a reçu très peu et en a subi les conséquences.
Le discours sur la « transition juste » et les « minéraux critiques » est souvent présenté comme une action climatique. Pourtant, les gouvernements et l'industrie utilisent ces termes pour promouvoir le même vieux modèle extractiviste. Ils parlent d'urgence et d'innovation, mais leurs actions suivent un schéma familier : outrepasser notre consentement, ignorer nos lois et exploiter nos terres.
Nos droits fondamentaux sont systématiquement bafoués. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est claire : le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est requis pour tout développement sur les territoires autochtones. Les tribunaux canadiens l’ont confirmé. Le gouvernement fédéral l’a approuvé. Pourtant, l’Ontario continue de traiter la Déclaration comme si elle était facultative.
Les consultants contournent systématiquement la base. Ils s'adressent aux dirigeants, mais pas aux familles ; aux conseils d'administration, mais pas aux jeunes ; aux élus urbains, mais pas à ceux qui s'occupent du territoire. La consultation est réduite à un processus bureaucratique.
De leur côté, les sociétés minières s'allient souvent à des acteurs politiques pour accélérer l'obtention des permis. Une fois les gisements identifiés, elles contournent les processus de consultation officiels et s'adressent directement aux Premières Nations, créant ainsi des divisions. Certains membres se voient promettre des choses, tandis que d'autres sont exclus. Cette tactique érode la confiance, affaiblit l'unité et fait taire la dissidence.
Les cabinets de conseil aux entreprises négligent systématiquement la base. Ils s'adressent aux patrons, mais pas aux familles ; aux conseils d'administration, mais pas aux jeunes ; aux élus locaux, mais pas à ceux qui se soucient de la planète. La consultation est réduite à une procédure bureaucratique. Relations et responsabilités sont sacrifiées au profit de la rapidité et du profit. Le succès se mesure en bénéfices trimestriels, et non en rivières propres ou en forêts vivantes. Ils ignorent la loi naturelle, qui enseigne la réciprocité, l'humilité et la bienveillance. Lorsque nos enseignements sont abandonnés, notre survie est également menacée.
Le projet de loi 5 favorise l'exploitation minière sur les territoires autochtones, au mépris de la consultation préalable, libre et éclairée. Photo : Eleven North Visuals
À quoi ressemble une transition juste menée par les autochtones ?
Pour qu'une transition juste soit significative, elle doit être menée par les peuples autochtones. Elle doit naître de nos lois, de notre relation avec la terre et des savoirs transmis de génération en génération. Il ne s'agit pas seulement de nous consulter, mais de nous donner les moyens de diriger, de décider et de construire des solutions climatiques fondées sur la responsabilité et non sur le profit.
Ce chemin doit s'appuyer sur la loi naturelle et sur notre responsabilité envers les sept générations futures. Il doit respecter les droits établis par les traités et nos enseignements : être bienveillant, dire la vérité et partager la terre. Il implique une profonde responsabilité relationnelle, où les savoirs traditionnels sont partagés avec respect, guidés par des hommes et des femmes sages. Il exige du temps : étudier les systèmes hydriques et terrestres, et comprendre les impacts écologiques, spirituels et sociaux de toute activité. Tout doit commencer par une cérémonie et progresser avec le consentement éclairé et la collaboration.
Nous voulons que nos jeunes comprennent le rythme des saisons, la santé des animaux, les vents et les changements dans les cours d'eau. Nous voulons bâtir des économies qui soutiennent nos communautés, et non les épuisent.
Nous ne sommes pas contre le développement, mais nous exigeons que nos valeurs et nos responsabilités soient respectées. Nous nous demandons : quel sera l’impact sur la rivière ? Qu’adviendra-t-il des caribous et des orignaux ? Qui boira cette eau dans sept générations ? Ce ne sont pas des questions hypothétiques : c’est ainsi que nous honorons et protégeons les droits et les traités autochtones.
Nous voulons que nos jeunes comprennent le rythme des saisons, la santé des animaux, les vents et les changements des cours d'eau. Nous voulons bâtir des systèmes énergétiques et des économies qui soutiennent nos communautés, et non les épuisent. S'il existe des technologies qui nous aident à prendre soin de la Terre et à répondre à nos besoins, nous sommes prêts à les explorer. Mais les décisions doivent nous appartenir. Une transition juste implique plus que de changer de technologie : elle transforme les valeurs et les structures de pouvoir. Il ne s'agit pas d'extraire de l'énergie pour de nouveaux marchés, mais de renouveler avec respect et responsabilité.
Les Premières Nations de l'Ontario souhaitent mener une transition juste, fondée sur le droit naturel et l'avenir des sept prochaines générations. Photo : Eleven North Visuals
Élever la voix
Le mois dernier, les Amis de la rivière Attawapiskat ont publié une Déclaration de protection , réaffirmant notre devoir de protéger les basses terres de la baie d'Hudson et de la baie James en vertu du droit naturel. Ces terres comptent parmi les plus importants puits de carbone au monde. Mais plus encore, elles sont notre foyer, notre enseignant et notre trésor sacré.
Nous résistons non seulement par des pétitions, mais aussi par notre présence. L'un de nos membres organise des excursions en canot pour les jeunes sur la rivière Attawapiskat . Ces excursions ne sont pas symboliques : elles sont l'expression vivante des droits issus de traités, reliant les jeunes à la terre, au droit et à la mémoire. Derrière ces actions se cache un mouvement profond et croissant : des citoyens se rassemblent, partagent leurs luttes, suscitent l'espoir et imaginent collectivement la voie à suivre. Ces rassemblements sont des actes de gouvernance. Nous affirmons que notre autorité émane de notre relation à la terre, et non d'une permission coloniale.
Nous sommes des protecteurs, pas des manifestants. Nous avons vu les conséquences de la cupidité : elle a empoisonné nos rivières, fait du mal à nos enfants et détruit nos communautés.
Les promesses et les responsabilités de notre Traité nous lient : tant que le soleil brille, que l’herbe est verte, que l’eau coule et que les Anishinaabes sont là. Ce n’est pas une métaphore, c’est une obligation. Nous sommes ici pour rappeler au monde que nous sommes le peuple de l’eau du territoire d’Omushkegowuk. Dans nos lacs, nos ruisseaux, nos rivières et l’océan, nous vivons en harmonie avec les êtres aquatiques, quadrupèdes et ailés, selon les lois naturelles imposées par le Créateur.
Nous sommes des protecteurs, pas des manifestants. Nous avons vu les conséquences de la cupidité : empoisonner nos rivières, nuire à nos enfants et détruire nos communautés. Mais la lutte contre la Loi 5 nous a unis. Alors que le gouvernement tente de nous diviser, nous sommes solidaires, au-delà des communautés, des mouvements et des territoires. Nous sommes reconnaissants de la solidarité de nos alliés. Nous faisons entendre notre voix, nous revendiquons nos lois, nous assumons nos responsabilités et nous construisons un avenir fondé sur le savoir et l’attention aux Autochtones.
Michel Koostachin est un fier membre cri de la Première Nation d'Attawapiskat. Il est le fondateur du groupe communautaire « Les Amis de la rivière Attawapiskat » et est en dernière année de baccalauréat en travail social à l'Université Ryerson. Depuis plus de 20 ans, il est skabbewsis (assistant) lors de cérémonies.
Kerrie Blaise est une avocate spécialisée dans les droits environnementaux et autochtones et fondatrice de Legal Advocates for Nature's Defense (LAND), une organisation à but non lucratif qui promeut la protection des droits autochtones et naturels et amplifie les voix de la communauté devant les tribunaux, devant les législateurs et aux yeux du public.
traduction caro d'un article paru sur Debates indigenas le 01/06/2025