Redéfinir le vert : résultats et réflexions du Sommet sur les droits des autochtones et l'économie verte
Publié le 20 Mai 2025
Transition énergétique
Rodion Sulyandziga
1er mai 2025
Photo : Rodion Sulyandziga
Du 8 au 10 octobre 2024, à Genève, en Suisse, des délégations autochtones des sept régions socioculturelles du monde se sont réunies pour aborder une question fondamentale : comment garantir que l'économie verte ne devienne pas un autre chapitre d'exploitation, mais plutôt un tournant vers la justice ? Le sommet ne visait pas seulement à exprimer des inquiétudes ; il se concentrait sur l’action, la stratégie et le pouvoir collectif. Les dirigeants, les militants et les alliés autochtones ont travaillé à l’élaboration d’une vision commune pour une transition juste qui reconnaît les droits des autochtones, garantit leur participation et s’attaque aux structures économiques qui conduisent à la dépossession territoriale et à l’extraction des ressources.
La transition mondiale vers une économie verte progresse rapidement, motivée par le besoin urgent de réduire les émissions de carbone et de lutter contre le changement climatique. Toutefois, cette transition ne se produit pas dans le vide et a de profondes implications pour les peuples autochtones, dont les terres et les moyens de subsistance sont de plus en plus ciblés par l’extraction des ressources et les projets d’énergie renouvelable.
Les énergies renouvelables, les véhicules électriques et l’exploitation minière verte sont présentés comme des solutions à la crise climatique. Mais si l’histoire se répète, ces industries se développeront au détriment des terres, des droits et de la souveraineté des peuples autochtones. C’est pour cette raison que leurs voix ont souvent été exclues des négociations de haut niveau qui déterminent comment les ressources sont extraites et qui en bénéficie. Alors que pour le monde industriel moderne, l’économie verte représente une grande opportunité, pour les peuples autochtones, elle constitue une nouvelle menace existentielle déguisée sous des slogans de durabilité.
Le Sommet sur la transition juste et les peuples autochtones a été une réponse à ces défis et a représenté une étape historique : pour la première fois, un rassemblement dirigé par des autochtones s’est concentré sur la transformation de l’économie verte. De cette manière, ils ont défini l’ordre du jour, établi des priorités, fixé des limites et engagé un dialogue direct avec les acteurs mondiaux selon leurs propres conditions. Ils ont ainsi participé à la discussion en tant que partenaires reconnus et titulaires de droits.
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Le Sommet a marqué une étape historique dans la transformation de l’économie verte. Photo : Rodion Sulyandziga
Le moment de vérité : pourquoi le sommet était crucial
Le concept de « transition juste » vise à garantir que l’abandon des combustibles fossiles n’exacerbe pas les inégalités sociales. Cependant, pour les communautés autochtones, la transition verte reproduit les injustices du passé. L’extraction du lithium, du nickel et du cobalt (matériaux essentiels à la fabrication des batteries) a entraîné la dépossession des terres, la dégradation de l’environnement et des violations des droits des autochtones. Ceci est démontré par les cas des peuples Numu/Nuwu (Paiute du Nord) et Newe (Shoshone de l’Ouest) aux États-Unis , du peuple Lickan Antay au Chili et de la communauté indigène Ust-Avam dans l’Arctique russe.
De même, des infrastructures d’énergie renouvelable, telles que des parcs solaires et éoliens à grande échelle, ont été développées sur des territoires autochtones sans consultation adéquate ni consentement libre, préalable et éclairé (CLPE). En ce sens, la lutte du peuple Sami contre les parcs éoliens en Suède, en Norvège et en Finlande est devenue emblématique .
Le Sommet est devenu un test pour déterminer si l’économie verte peut rompre avec les modèles passés ou si elle sera simplement une autre forme d’expansion dans les territoires autochtones « redécouverts ». Il s’agit donc d’un tournant, car le débat passe de la reconnaissance symbolique à des revendications concrètes. Les peuples autochtones ont fait valoir que toute transition qui ignore leurs droits ne peut être considérée comme juste. Cette position est soutenue par des cadres juridiques internationaux, tels que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui consacre le principe du consentement libre, préalable et éclairé comme une obligation légale et éthique.
Pour les communautés autochtones, la transition verte reproduit les injustices du passé et aggrave la dépossession territoriale. Photo : Rodion Sulyandziga
Étapes clés du sommet
Le Sommet sur les droits des peuples autochtones et l’économie verte s’est tenu du 8 au 10 octobre à Genève. Compte tenu du nombre de participants, il a été décidé de consacrer chaque journée à une discussion particulière.
- Jour 1. Mise en contexte . Des représentants des sept régions socioculturelles ont présenté l’état actuel de la transition verte et ses impacts sur les peuples autochtones. Les discussions ont clairement montré que sans leadership autochtone, la transition risque de reproduire les mêmes schémas d’extraction que par le passé.
- Jour 2. Solutions . Les délégués ont partagé des modèles, des études de cas et des stratégies pour renforcer la résilience communautaire, consolider les réseaux autochtones et définir les principales demandes pour une transition juste. L’accent n’était pas seulement mis sur la résistance, mais aussi sur la construction d’alternatives viables fondées sur la gouvernance et les connaissances autochtones.
- Jour 3. Connexions mondiales . Le sommet s’est conclu par des échanges de haut niveau avec des coalitions, des agences des Nations Unies et d’autres acteurs internationaux, dans le but de garantir que les voix autochtones soient présentes dans les espaces de prise de décision. En outre, le document des résultats finaux a été approuvé. Les discussions finales ont souligné l’importance d’assurer une place permanente aux peuples autochtones dans la gouvernance mondiale de l’économie verte.
Les dirigeants autochtones ont débattu pendant trois jours à Genève. Photo : Rodion Sulyandziga
Objectifs, réalisations et défis du Sommet
Le Sommet a fixé trois objectifs. D’une part, il vise à consolider le mouvement autochtone pour une transition juste en tant que réseau fort qui s’étend sur plusieurs continents et renforce ses alliances. D’autre part, offrir un espace d’engagement entre les peuples autochtones, les institutions mondiales et les acteurs qui façonnent l’économie verte : l’Initiative pour une assurance minière responsable (IRMA) , la Global Battery Alliance et les principaux acteurs du monde des affaires , le Forum économique mondial (WEF) , les agences des Nations Unies et les coalitions de défense des droits de l’homme et de l’environnement. Enfin, il faut articuler un cadre politique qui place la gouvernance et le consentement autochtones au centre de tous les projets liés à la transition.
Ces objectifs ont été atteints avec un succès notable grâce aux dialogues avec le WEF, l’IRMA, la Global Battery Alliance et les agences des Nations Unies. Ces débats ont marqué un passage d’un engagement superficiel à des discussions de fond. Bien que ces discussions soient en cours, le Sommet a établi un précédent selon lequel les peuples autochtones doivent non seulement être consultés, mais également intégrés dans les processus décisionnels à tous les niveaux.
Bien que l’objectif de l’économie verte soit de réduire la dépendance aux combustibles fossiles, elle fonctionne toujours dans un paradigme axé sur le profit qui donne la priorité à l’extraction des ressources plutôt qu’à la durabilité environnementale et à l’équité sociale.
L’un des arguments centraux du Sommet était que l’économie verte, telle qu’elle est structurée actuellement, ne résout pas les problèmes systémiques de l’extraction des ressources. Bien que son objectif soit de réduire la dépendance aux combustibles fossiles, elle continue d’opérer dans un paradigme axé sur le profit qui privilégie l’extraction des ressources au détriment de la durabilité environnementale et de l’équité sociale. La contradiction est évidente : une transition censée atténuer les dommages environnementaux les reproduit, dans de nombreux cas.
Les discussions du sommet ont mis en lumière des études de cas dans lesquelles des communautés autochtones ont résisté avec succès à des projets d’exploitation tout en promouvant des modèles de développement alternatifs. Par exemple, les initiatives et projets d’énergie renouvelable appartenant à des autochtones et menés en collaboration avec des dirigeants ont fourni des modèles viables d’extraction responsable. Ces cas soulignent que la transition verte n’est pas intrinsèquement exploiteuse, mais que sa trajectoire actuelle est profondément imparfaite.
Au cours du Sommet, des cas de promotion réussie de projets de développement alternatif ont été mis en lumière. Photo : Rodion Sulyandziga
Une place à la table et un document de résultats
Le Sommet a été conçu dans le but de garantir que les peuples autochtones aient une place à la table des négociations et jouent un rôle de premier plan dans l’élaboration d’une transition juste. Cela nécessite d’aller au-delà de la simple consultation préalable et d’évoluer vers un véritable leadership, où les connaissances et les droits autochtones constituent des piliers fondamentaux de l’avenir de l’économie verte. À cet égard, une première réalisation a été l’adoption du document Principes et Protocoles. Sommet sur la transition juste des peuples autochtones , qui détaille les principes et les recommandations politiques qui pourraient remodeler la structure de l’économie verte.
►Application légale du consentement libre, préalable et éclairé : Les mécanismes existants pour obtenir le consentement des autochtones sont souvent contournés ou affaiblis par des failles juridiques, tant par les entreprises que par les gouvernements. Le document appelle à des cadres juridiques contraignants qui établissent le consentement libre, préalable et éclairé comme condition préalable à tous les projets d’extraction et d’énergie affectant les territoires autochtones.
Modèles de gouvernance dirigés par les autochtones : Plutôt que de traiter la participation autochtone comme une formalité procédurale, le document préconise l’intégration des structures de gouvernance autochtones dans les cadres réglementaires et décisionnels.
►Équité économique dans les projets de ressources : Le modèle économique dominant, dans lequel les communautés autochtones supportent les coûts sociaux et environnementaux de l’extraction tout en recevant des avantages économiques minimes, est rejeté. Au lieu de cela, il propose des mécanismes de partage des revenus et une propriété autochtone directe des projets énergétiques et miniers.
►Reconnaissance des savoirs autochtones : La transition verte doit intégrer les savoirs autochtones dans les politiques d’adaptation aux changements climatiques et de durabilité.
Le Sommet constitue un autre espace permettant aux peuples autochtones de proposer des alternatives de développement. Photo : Rodion Sulyandziga*
Responsabilité institutionnelle et leadership autochtone
Le Sommet ne représentait pas un point final, mais plutôt une intervention stratégique dans une lutte en cours. Ce fut un moment clé pour réorienter les priorités et ouvrir de nouvelles voies de progrès, en reconnaissant qu’un effort soutenu sera nécessaire. Désormais, les principaux points d’action comprennent :
– Renforcer les stratégies juridiques autochtones : les peuples autochtones favoriseront des cadres juridiques plus solides, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
– Développer les modèles économiques autochtones : les projets d’énergie renouvelable communautaires et les initiatives de gouvernance éthique des ressources seront prioritaires pour démontrer des alternatives aux pratiques extractives. Ces modèles sont basés sur la propriété collective, la gestion durable des ressources et les avantages communautaires à long terme.
– Assurer la responsabilité institutionnelle : Les futurs travaux avec les institutions mondiales se concentreront sur la responsabilisation des parties prenantes quant à leurs engagements envers les droits des autochtones, notamment en établissant des mécanismes de surveillance qui renforcent les normes éthiques dans les secteurs minier et énergétique.
Le Sommet a été un outil fondamental pour réorienter les priorités et ouvrir de nouvelles voies de progrès. Photo : Rodion Sulyandziga
À la recherche d'une transition juste et durable
Le Sommet a clairement montré qu’une transition juste ne peut pas être définie uniquement par des indicateurs environnementaux et doit également être évaluée en termes de justice sociale. Une économie verte qui perpétue la dépossession territoriale, affaiblit la souveraineté autochtone et place le profit avant le respect des droits n’est pas une véritable transition, mais plutôt la continuation de structures de pouvoir sous un nouveau nom.
Alors que la communauté internationale progresse, il est urgent de passer d’engagements superficiels à des politiques audacieuses et concrètes. Une transition juste ne peut pas se réduire à un simple ajustement des systèmes énergétiques : elle doit être une transformation structurelle qui confronte et corrige les injustices historiques et actuelles subies par les peuples autochtones.
Le Sommet sur la transition juste et les peuples autochtones a été un pas vers cet objectif, mais son véritable impact sera mesuré par la volonté des institutions et des gouvernements mondiaux de redistribuer le pouvoir et de reconnaître le leadership autochtone. Sans ce changement, la promesse d’un avenir vert restera irrémédiablement compromise. La voie à suivre dépend de ce que nous ferons ensuite. Et grâce au Sommet, nous sommes prêts.
Pour plus d’informations sur le Sommet sur les droits des autochtones et l’économie verte, visitez www.indigenoussummit.org.
Rodion Sulyandziga est un leader indigène Udege de Sibérie orientale (Russie). Il est actuellement président du Comité mondial de coordination des peuples autochtones (IPGCC) et du Sommet. Depuis 2000, il est directeur du Centre de soutien aux peuples autochtones du Nord / Centre de formation autochtone russe (CSIPN/RITC).
traduction caro d'un article de Debates indigenas du 01/05/202