Guatemala : María Maquín, petite-fille de Mama Maquín : « Ce qui me fait le plus mal, c'est que mes grands-parents ont été massacrés pour la terre »
Publié le 30 Mai 2025
28 mai 2025
8h50
Crédits : María Maquín, petite-fille de Mamá Maquín et survivante, a parlé de ce qui s'est passé lors du massacre. Photo de prensa comunitaria
Temps de lecture : 7 minutes
María Maquín est la petite-fille de « Mamá Maquín », l’une des victimes les plus connues du massacre de Panzós, perpétré par l’armée le 29 mai 1978.
Quelques jours avant la commémoration du massacre , elle a donné une interview dans laquelle elle a raconté comment s'est passé ce jour-là où sa grand-mère et des dizaines de paysans ont été abattus pour le simple fait de revendiquer les terres qui leur appartenaient.
Par Juan Bautista Xol
« Le mois de mai est de nouveau arrivé, celui qui a marqué la blessure que je porte au cœur. C'était le 29 mai, lorsque mes grands-parents ont été massacrés pour la terre. C'est ce qui me fait le plus mal », confie María Maquín, petite-fille de l'une des victimes les plus célèbres du massacre de Panzós en 1978 à Alta Verapaz, la gorge serrée.
Un matin de mai, Maquín était réunie avec ses compagnons survivants, enfants et petits-enfants des victimes du massacre, dans la salle de réunion du Comité d'unité paysanne (CUC), où ils s'accordaient pour commémorer le 29 mai, une autre date de l'un des massacres les plus atroces du Guatemala.
Avec un regard mélancolique et une voix brisée, elle a déclaré à Prensa Comunitaria qu'il était important d'organiser une cérémonie pour remercier la Terre Mère pour leur vie.
María Maquín avec les petits-enfants des survivants du massacre de Panzós. Photo Juan Bautista Xol
Le 29 mai est une date qui est restée gravée dans la vie des survivants du massacre de Panzós, une municipalité située dans la vallée de Polochic, Alta Verapaz, dans le nord du Guatemala. Chaque année, des enfants, des petits-enfants, des organisations et des jeunes s’organisent pour commémorer cette date et garder vivant le souvenir de ceux qui sont morts par balles.
« Son sang s'est transformé en flaque »
María est la petite-fille d'Adelina Caal, connue sous le surnom de « Mamá Maquín » et reconnue au niveau national pour son leadership à Panzós. Les femmes organisées au refuge au Mexique ont adopté son nom pour leur organisation lors de leur retour au Guatemala.
La petite-fille se souvient que sa grand-mère vendait des légumes qu’elle récoltait derrière sa maison, sur un terrain très étroit. Accompagnée de deux hommes, elle s'est rendue à l'Institut national de transformation agraire (INTA), une entité créée en 1962 qui était chargée de distribuer des parcelles de terre aux agriculteurs pour favoriser leur développement économique. Ils se sont ensuite rendus dans leur communauté pour demander au maire de la municipalité l'accès au terrain.
« C'est Mamá Maquín qui est arrivée à l'INTA avec d'autres messieurs le 29 mai. Elle apportait le dossier de candidature et la liste des personnes qui voulaient la remettre au maire de la municipalité », a-t-elle rappelé. Mais lorsqu'ils sont arrivés à la mairie, « ils lui ont tiré dessus en premier et son sang s'est transformé en une flaque », a-t-elle dit.
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Mama Maquín capturée dans une fresque murale à Panzós, Alta Verapaz. Photo Daniel Caal
Selon le rapport de la Commission de clarification historique (CEH), au milieu du XIXe siècle, les terres de la région, qui appartenaient historiquement aux populations Q'eqchi' et Poq'omchi, ont été attribuées à des agriculteurs allemands. Suite à la réforme agraire de 1952, ces autochtones ont commencé à récupérer leurs terres. Mais en 1954, elles retournèrent aux mains des propriétaires terriens.
Dans les années 1970, la capacité d'organisation des paysans a commencé à inquiéter le secteur foncier, et ils ont demandé une protection militaire. Les soldats ont quitté le lieu connu sous le nom de Quinchi pour se rendre à Panzós quelques jours avant le massacre.
« J'ai caché ma mort »
Les grands-parents de Maquín ont été massacrés pour avoir exigé l'accès à des terres dans la zone basse de Panzós. Ils utilisaient la terre pour cultiver du maïs, des haricots et d’autres cultures pour nourrir leurs foyers. La réponse des autorités à cette demande a été d'ouvrir le feu sur eux.
Selon Maquín, les terres auxquelles ses grands-parents demandaient l'accès avaient déjà été consultées auprès de l'INTA, où on leur avait assuré que la zone inférieure de Panzós était une zone nationale, mais qu'une autorisation du maire local était nécessaire pour accorder l'accès.
Les filles et les fils des survivants organisent des activités commémoratives. Photo Juan Bautista
"Mes grands-parents s'étaient déjà rendus à l'INTA , où on leur avait dit que le terrain était sur le territoire national, mais qu'ils devaient demander l'autorisation du maire. C'est avec une grande joie qu'ils ont organisé leur voyage jusqu'à la municipalité. Le 29 mai est arrivé. On aurait dit une marche dans les rues, mais le nombre de personnes sorties du quartier de La Soledad pour demander au maire l'autorisation de cultiver dans la partie basse était énorme. Dès notre arrivée, les soldats ont commencé à nous tirer dessus. Je suis tombée sur ma grand-mère, cachant ma mort. J'avais 13 ans à l'époque ", raconte-t-elle les larmes aux yeux.
Les agriculteurs venaient de différents villages, notamment de Cahaboncito, Semococh, Rubetzul, Canguachá, Sepacay, de la ferme Moyagua et du quartier de La Soledad.
Selon le CEH, il existe plusieurs versions sur le début de la fusillade. L'une d'elles affirme que « Mamá Maquín » a poussé un soldat qui lui bloquait le passage, d'autres affirment que cela a commencé parce que les gens se bousculaient pour entrer dans la municipalité. Au moins 53 personnes ont été massacrées ce jour-là, selon un rapport établi par la commission parrainée par les Nations Unies.
Maquín a indiqué que les survivants et les blessés, parmi lesquels des enfants, des jeunes et des personnes âgées, ont fui vers la zone inférieure, le long des rives du rio Polochic, où beaucoup d'entre eux ont été pris en embuscade et tués. Elle a eu de la chance, elle a pu se cacher parmi les lianes épineuses où elle s'est abritée pendant plusieurs jours.
Le Ministère Public n’a fait aucun progrès dans l’enquête sur le massacre
Pour l'avocat Santiago Choc, qui a soutenu cette affaire devant le tribunal, le massacre de Panzós a marqué le début d'une série de massacres contre les agriculteurs qui réclamaient leur droit à la terre.
« Il s'agit d'une violence d'État au plus haut niveau, soutenue par les autorités et menée par l'armée », a déclaré Choc.
Même si justice n’a pas été rendue, la mémoire des victimes du massacre de Panzós persiste. Photo Juan Bautista Xol
Quarante-sept ans après ce massacre qui a choqué le pays, Choc a déclaré qu'il n'y avait eu aucune avancée dans cette affaire, bien qu'il s'agisse de l'un des premiers enregistrés au Guatemala. Le ministère public n'a fait aucun progrès dans l'enquête et dans l'identification des responsables.
Il a ajouté que l'État guatémaltèque ne veut pas respecter les engagements pris depuis la signature des accords de paix. « Si cela n'avance pas au niveau national, nous avons le droit d'activer le système interaméricain, et c'est regrettable, car il y a eu des cas dans lesquels l'État a été sanctionné par la Cour interaméricaine des droits de l'homme », a-t-il conclu.
Maquín reconnaît que même si 47 ans se sont écoulés depuis cet incident, justice n’a pas été rendue.
« L'État continue de condamner les peuples indigènes, un exemple clair en est l'état de siège à El Estor en 2021, les expulsions de 2008 à 2011 ici à Panzós, et à ce jour nous n'avons plus de terres à cultiver », a déclaré la grand-mère.
Maria a partagé que sa vie a été un processus de lutte et de résistance émotionnelle. Elle vit actuellement dans une communauté à El Estor, Izabal, où elle s'est réfugiée des mois après l'incident et où elle a été adoptée par un couple de guides spirituels.
Après plusieurs années, elle a recommencé à visiter la municipalité de Panzós, même si elle dit qu'il lui est très difficile d'être à l'endroit où elle a vécu un moment tragique.
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Ils sont reconnaissants que le souvenir reste vivant
Un autre survivant présent à la réunion, qui s'est simplement identifié comme Lorenzo, montre une blessure guérie sur son bras droit. Il a déclaré avoir vécu dans la peur toute sa vie et remercier ses enfants et petits-enfants d'avoir gardé vivante la mémoire des personnes assassinées.
Les petits-enfants des survivants se préparent aux activités commémoratives. Photo Juan Bautista Xol
Son petit-fils, également prénommé Lorenzo et surnommé Choc, a déclaré que le 29 mai sera toujours un jour très important pour eux et qu'ils continueront à exiger justice de l'État pour ce qui s'est passé et que les petits-enfants des victimes aient accès à la terre.
Il a déclaré que la marche annuelle est organisée en mémoire de ses grands-parents lorsqu'ils ont manifesté pacifiquement.
Bien que Choc ait également été confronté à des persécutions et à des poursuites judiciaires concernant l’accès à la terre, il a déclaré qu’il continuerait à se battre pour le bien-être de ses enfants et des autres personnes qui ont besoin de cultiver la terre.
Pour Maquín, le fait que l'histoire soit maintenue vivante à travers des peintures murales représentant le visage de sa grand-mère garantit que les jeunes continueront à se souvenir et à exiger justice pour la vie de ceux qui ont été massacrés ce jour-là.
Plus d'informations :
A 46 años de la masacre de Panzós, el pueblo Q’eqchi’ continúa exigiendo el acceso a tierras
Juan Bautista Xol
Journaliste maya Q'eqchi' d'El Estor, Izabal. Son travail dans le journalisme communautaire se concentre sur les luttes des peuples autochtones pour défendre l’eau, la terre et l’environnement.
traduction caro d'un article de Prensa comunitaria du 28/05/2025