Argentine : Les femmes des peuples Chicha et Kolla se battent pour leur identité

Publié le 19 Mai 2025

7 mai 2025

 

Rencontre à la Puna

 

Il y a quelques semaines, j'ai entrepris un voyage dans la partie la plus septentrionale de la province de Jujuy, dans la région de La Quiaca, pour rencontrer Jorgelina, Estela, Catalina, Ana, Irma et Celia. Depuis leurs territoires, ces femmes des peuples Chicha et Kolla mènent de profondes luttes pour la terre, la langue et la mémoire indigène. L’idée était de créer un lien avec leurs communautés, qui depuis des années sont confrontées aux impacts des projets miniers et des politiques qui avancent sans consultation ni consentement. Ils m’ont ouvert leurs portes et ont partagé leurs histoires.

 

La confiance après la déception

 

Dans des contextes où la présence extérieure provient souvent de fonctionnaires, de journalistes liés aux intérêts de l’État ou d’experts liés à l’extractivisme, gagner la confiance n’est pas une tâche facile. Les communautés ont appris à être prudentes, à se protéger, à attendre prudemment. Cependant, ces femmes ont décidé de s’engager dans le dialogue. Ce geste a été le début d’une conversation qui s’est progressivement transformée en collaboration.

 

Souvenirs de lutte : le Troisième Malón de la Paz

 

Au cours de nos conversations, l’une des histoires qui est ressortie avec le plus de force est celle du Troisième Malón de la Paz. Toutes les femmes présentes ont participé à la marche qui a réuni des centaines de représentantes indigènes de Jujuy à Buenos Aires pour dénoncer la réforme constitutionnelle provinciale, qui permet l'expansion des industries extractives sur les terres ancestrales.
Pendant plus de quatre mois, ils ont campé devant la Cour suprême de justice, endurant le froid, l’indifférence médiatique et la répression. Cette expérience a renforcé les liens entre les communautés, rendu visible leur résilience et réaffirmé l’urgence de faire entendre leur voix. L’expérience de la Troisième Marche pour la Paix, qui a renforcé les liens entre diverses communautés dans une lutte commune, sera explorée en profondeur dans un prochain article.

 

Un musée à retenir, une pièce à partager

 

Issues de la communauté aborigène d'Escobar, Jorgelina et Estella souhaitent créer un musée communautaire dans la salle qu'elles utilisent actuellement comme espace de réunion. Elles souhaitent y rassembler des pièces héritées de leurs grands-mères : tissus, objets du quotidien, photographies, outils. Il s’agit de transmettre une histoire vivante, tissée par les mains de ceux qui ont habité la Puna bien avant l’arrivée de l’État.
Le musée sera également un espace de rencontre et de création. Elles prévoient d’organiser des ateliers, des conférences et des visites guidées, le tout dans l’esprit du tourisme communautaire, une façon d’accueillir les visiteurs sans perdre le contrôle du récit et des rythmes de la communauté.

 

La valeur des pierres : art rupestre et savoir ancestral

 

Tout près du territoire de la communauté, se trouvent des pierres sculptées avec des symboles anciens qui ont été transmis de génération en génération dans le cadre de l'héritage ancestral. Les femmes veulent protéger cet héritage. Cette défense de l’art rupestre est aussi une manière de revendiquer la présence ancestrale sur le territoire et de résister au récit officiel qui occulte ses racines.

 

Sauver le quechua des écoles

 

L’une des préoccupations les plus urgentes est la perte de la langue. Dans la communauté, les écoles quechuas se vident. La migration, le désintérêt institutionnel et la discrimination font que de moins en moins de jeunes sont encouragés à étudier dans ces écoles. Les femmes cherchent à revitaliser ces espaces, à améliorer le matériel pédagogique, à former de nouveaux enseignants et à récupérer la valeur symbolique du quechua. On dit que la langue est un autre territoire qu’il faut défendre.

 

Réseautage entre femmes

 

Ce qui est le plus frappant dans le fait d’être avec elles, c’est le réseau invisible de soutien qu’elles ont tissé. Elles s'organisent pour prendre soin des filles et des garçons, elles se remplacent lorsque quelqu'un doit voyager et elles se soutiennent dans les moments difficiles.

 

Regard vers l'avenir : à la recherche d'alliés

 

Aujourd’hui, ces communautés recherchent des alliés : des individus, des organisations ou des institutions qui peuvent apporter une aide financière au développement du tourisme communautaire, à la construction du musée, à la documentation de l’art rupestre et au renforcement de la langue quechua.

Photo de couverture : Jorgelina et Estela (Communauté Escobar), Catalina (Communauté Cholacor), Ana (Communauté Chocoite), Irma (Communauté Cangregillos) et Celia (Communauté La Pulpera)

Texte et photos : Léa Roumégoux , étudiante en droit, stagiaire au Ceppas et collaboratrice infoterritoriale.

traduction caro d'un article de Infoterritorial du 07/05/2025

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