Est-il temps de recouvrer la dette coloniale d’Haïti ?

Publié le 19 Avril 2025

Publié le 18/04/2025

Chaînes utilisées pour enchaîner les esclaves. Photo : Mark Garten/ONU (Archives).

Deux siècles après que la France a imposé une lourde indemnité à Haïti en échange de son indépendance, un organisme de l'ONU exige le retour de la "rançon" de cette nation des Caraïbes, encore marquée par les crimes du colonialisme et de l'esclavage.

 

La dette coloniale d’Haïti, 200 ans après : est-il temps de faire le bilan ?

 

ONU Actualités, 18 avril 2025.- Haïti , premier pays à se libérer du joug de l'esclavage grâce à un soulèvement réussi, obtint son indépendance de la France en 1804. Mais le prix à payer pour avoir osé défier l'ordre mondial de l'esclavage ne tarda pas à arriver. Le 17 avril 1825, sous la menace des tirs de canons français, Haïti accepte de payer une indemnité de 150 millions de francs-or à la puissance européenne.

Officiellement, cette somme était censée compenser les planteurs français pour les « biens perdus » avec l’indépendance d’Haïti, mais en réalité le montant était bien supérieur aux pertes subies.

« La France a forcé ceux qui ont gagné l’indépendance d’Haïti – les anciens esclaves – à dédommager les perdants – leurs anciens maîtres », a déclaré Monique Clesca, journaliste et militante d’origine haïtienne, lors d’un débat sur la dette coloniale d’Haïti cette semaine au siège des Nations Unies à New York.

 

Le prix de la liberté : la double dette

 

Très vite, cet impôt sur la liberté s'avère trop lourd pour la première république noire du monde, entraînée dans la spirale de la dette. «Quand nous n'avons plus pu payer, la France nous a tourné le dos et a fait pression sur ses banques pour qu'elles nous prêtent de l'argent : c'est pour ça qu'on parle de double dette», explique la journaliste haïtienne.

La France a commis une immense injustice dont nous ressentons encore aujourd’hui les conséquences.

En 1914, plus des trois quarts du budget du pays étaient encore drainés par les paiements de réparations aux banques françaises. Ce n’est qu’en 1947, plus de 140 ans après son indépendance, qu’Haïti a finalement payé sa dette. « La France a commis une immense injustice, dont nous ressentons encore aujourd'hui les conséquences », a déclaré Clesca.

Une enquête approfondie du New York Times, publiée en 2022, a révélé que le total versé par Haïti à la France équivalait à 560 millions de dollars en dollars d'aujourd'hui. Une somme qui, selon certains économistes, aurait ajouté plus de 20 milliards de dollars à l’économie haïtienne au fil du temps, si elle était restée dans le pays.

 

Haïti aujourd'hui : l'héritage de la dette

 

Alors qu’Haïti représente un tournant important dans l’histoire de l’émancipation humaine, le pays est actuellement en proie à un tourbillon de violence perpétrée par des gangs armés, qui se partagent 85% de la capitale, Port-au-Prince. C'est également le pays le plus pauvre d'Amérique latine et des Caraïbes, selon la Banque mondiale .

De la paralysie institutionnelle au trafic d’armes et à la corruption, les défis auxquels le pays est confronté sont nombreux. Mais aux yeux du Forum permanent des Nations Unies pour les personnes afrodescendantes, les causes de leurs difficultés ne font aucun doute : elles sont liées au passé.

« Les crises  persistantes des droits humains en Haïti  [...] sont enracinées dans les séquelles de l’esclavage, du colonialisme, du remboursement de la dette et des menaces et interventions militaires », a déclaré l’organe consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies , créé en 2021, dans une analyse de la situation haïtienne publiée le mois dernier.

 

Une reconnaissance tardive

 

En réponse à ces accusations, le président français Emmanuel Macron a annoncé jeudi la création d'une commission d'historiens franco-haïtiens pour évaluer l'impact des réparations haïtiennes. Cette commission sera ensuite chargée de formuler des recommandations.

Tout en saluant cette annonce, Martin Kimani, membre du Forum permanent, a déclaré que l'efficacité de la nouvelle commission dépendra de sa volonté de reconnaître pleinement l'ampleur des conséquences de la dette imposée par la France.

« Nous exigeons la restitution des sommes financières et l'adoption de mesures correctives pour remédier au sous-développement d'Haïti », a insisté Kimani lors du débat onusien, organisé dans le cadre de la clôture de la quatrième session de l'Instance permanente.

 

Demande de remboursement de fonds

 

Selon la presse, le chef de l'Etat français n'a pas encore évoqué d'éventuelles compensations financières, comme le demandent non seulement le Forum permanent mais aussi les autorités haïtiennes.

« Le passé colonial impose des responsabilités qui doivent être assumées collectivement par la France et la communauté internationale », a déclaré Pierre Ericq Pierre, Représentant permanent d’Haïti auprès de l’ONU, qui a participé au débat.

Le passé colonial impose des responsabilités qui doivent être assumées collectivement par la France et la communauté internationale.

Pour l'ambassadeur haïtien, les racines structurelles des inégalités persistantes du pays sont liées à son histoire coloniale et à l'imposition de cette dette, que les Haïtiens qualifient communément de « paiement de la rançon ». Il est donc naturel, selon lui, que les sommes versées soient restituées à Haïti. « Ce n’est pas une vengeance », a-t-il déclaré. « C’est un acte de vérité et de justice. »

 

Justice réparatrice

 

Le peuple haïtien mérite une vie sans violence et un niveau de développement adéquat, a déclaré Gaynel Curry, également membre de l'Instance permanente.

Outre le remboursement par la France de sa dette coloniale, Curry a appelé à la création d'un fonds international de réparations pour Haïti, ainsi qu'à l'organisation d'un débat au Conseil des droits de l'homme en vue d'établir une commission d'enquête internationale indépendante sur la question de la justice réparatrice pour le pays.

Selon Verene Albertha Shepherd, vice-présidente du Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale, qui a également participé au débat, ces mesures aideraient à régler une autre dette : celle que les personnes d'origine africaine doivent aux révolutionnaires haïtiens.

« Ces combattants de la liberté ont inspiré la peur à tous les propriétaires d’esclaves », se souvient-elle. Plus de deux siècles après l’indépendance d’Haïti, le temps est venu de leur rendre justice.

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Source : ONU Info https://news.un.org/en/story/2025/04/1538131

traduction caro d'un article paru sur Servindi.org le 18/04/2025

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Haïti, #France, #Colonialisme, #Dette, #Esclavage

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