Mexique : Madame la Présidente, vous nous voyez maintenant ?

Publié le 17 Mars 2025

Gloria Muñoz et Beatriz Zalce Photos : Angeles Torrejón et Gerardo Magallón

15 mars 2025 


Mexico | Desinformémonos. Le Zócalo de la capitale était couvert de chaussures, plus de 400 paires placées les unes à côté des autres, soigneusement et avec amour. Chaque paire s'est vu attribuer une lumière et une bougie dont la lumière, espérons-le, aidera à retrouver les disparus, à aider la justice à faire son chemin dans un pays où les jeunes se demandent ce que l'on récolte quand on sème la mort, un pays qui est de plus en plus une fosse commune.

 


 

 

« Présidente Claudia, pour le bien de tous, écoutez-nous ! Venez nous voir ! » ont demandé les familles des disparus à Sheimbaum, qui, ont-ils averti, avait « urgemment » besoin de s'asseoir et de parler avec eux. « Vous devez désormais reconnaître l’existence d’une grave crise de disparitions, qui se traduit par la découverte de camps d’extermination, de crématoires et de fosses clandestines ; une machine de mort qui rappelle le pire de l’histoire humaine, où les morts et les disparus se comptent par centaines de milliers.

 


La déclaration collective a été lue haut et fort par Ana Enamorado, mère d'Oscar Antonio López Enamorado, disparu à Jalisco il y a 15 ans, et organisatrice de la veillée nationale de deuil contre l'horreur et pour la vie, suite à la découverte du centre d'extermination de jeunes à Teuchitlán, Jalisco, à seulement 55 kilomètres de Guadalajara. Ana et le reste des mères se tiennent dos au Palais National, qui n'a pas été ouvert aux groupes de recherche depuis cinq mois.

« Vous savez que le camp d'extermination de Teuchitlán n'est pas un événement isolé ; la disparition forcée de personnes est une horreur qui remonte à la Guerre Sale, qui a continué tout au long de la longue période néolibérale et s'est aggravée lorsque Felipe Calderón a déclaré la guerre à la drogue ; bien sûr, cela n’a pas commencé pendant son administration, ni pendant celle de son prédécesseur, mais cela ne s’est pas arrêté à ce moment-là et ne s’arrête pas maintenant. Au contraire, le phénomène s’étend et la douleur se multiplie dans tous les États de la République et atteint de nombreux secteurs sociaux », affirme Ana Enamorado, qui après l’avoir félicitée d’avoir obtenu le vote de millions de personnes, affirme, toujours sur un ton respectueux et ferme, que « malgré les attentes de tant de victimes qui ont également exercé notre droit de vote, vous ne semblez pas vouloir nous regarder : vous ne nous nommez pas, vous ne semblez pas nous écouter et vous ne vous adressez pas à nous ».

 

 

Dans la déclaration collective, les familles qui, face à l'inaction de l'État, ont assumé la responsabilité et le fardeau des recherches, « que ce soit dans les hôpitaux ou les cabinets médico-légaux, sur les réseaux sociaux et dans la clandestinité », demandent à la présidente de se rappeler « que nous ne sommes pas animés par un projet politique, ni pour ni contre le vôtre, car vous comprendrez que ceux d'entre nous qui souffrent de cette angoisse et vivent dans l'espoir de retrouver nos proches disparus trouvent vraiment très difficile de penser à autre chose qu'à nos familles ».

Impassible, la cathédrale contemple la tente rouge qui protège du soleil les madres buscadoras, qui sert de centre de presse, d'autel fleuri et de refuge. Et devant le Palais national, une interpellation : « Présidente, vous nous voyez maintenant ? » en lettres blanches monumentales.

 

 

 

 

Le 28 août 1978, la cathédrale a été le théâtre de la première grève de la faim menée par Doña Rosario Ibarra de Piedra, qui a rassemblé des mères de disparus de différents États au cri de « Ils les ont pris vivants, nous les voulons vivants !

Et, enfin, les revendications :

►Que l’existence des plus de 120 000 personnes disparues et des innombrables milliers de migrants disparus qui ne sont pas enregistrés officiellement soit reconnue ;

►que le travail collectif des familles soit reconnu et qu'un espace d’écoute et de dialogue soit ouvert avec les organisations et groupes sociaux ;

►que l’on soutienne ceux qui vivent sous la menace et qui pourtant partent à la recherche des dizaines de milliers de Mexicains et de migrants disparus que l’État mexicain s’est montré incapable de rechercher et de retrouver ;

►que les fonctionnaires publics qui ont permis, par omission ou par acquiescement, l’horreur découverte à Teuchitlán soient punis ;

►que les restes des personnes retrouvées dans ce camp d’extermination et dans tous les autres camps et fosses clandestines du pays soient identifiés et remis dans la dignité ;

►que les stratégies de recherche soient renforcées et que les mesures nécessaires soient prises pour aider et identifier les centaines de personnes retrouvées dans des fosses communes ;

►que le Centre national d'identification humaine soit réactivé, en le dotant des ressources nécessaires et en intégrant les familles comme conseillers et collaborateurs de l'institution ;

►et, face à l’urgence nationale, que soit construit un système judiciaire qui réponde aux demandes des victimes.

 

À côté des chaussures, la lumière des bougies tremble dans l'obscurité, voulant être un feu.

 

traduction caro d'un reportage de Desinformémonos du 16/03/2025

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique, #Los desaparecidos, #Madres buscadoras

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