Brésil : Hypocrisie coloniale
Publié le 10 Mars 2025
Le président et associé fondateur de l'ISA, Márcio Santilli, critique la tentative des ruralistes de restreindre les droits de citoyenneté des peuples autochtones vivant aux frontières afin de bloquer les démarcations
Márcio Santilli - Associé fondateur et président de l'ISA
@MarcioSantilli
Jeudi 6 mars 2025 à 14h37
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Les points rouges indiquent les communautés ou villages guaranis d'Amérique du Sud. Les points verts indiquent la densité de population, et non la population des zones 📷 Carte continentale guarani (2016)
Les peuples Guarani (Mbya, Ñandeva et Kaiowá) vivent dans plus de 1 400 communautés et villages au Brésil, en Argentine, au Paraguay, en Bolivie et en Uruguay. Selon la Carte Continentale Guarani , élaborée à partir d'informations provenant d'un réseau de collaborateurs bénévoles, en 2016, ces autochtones comptaient plus de 280 000 personnes. Le Brésil avait alors la plus grande population (85 000), répartie dans les régions du Sud et du Sud-Est et dans le Mato Grosso do Sul.
Bien que dispersés dans ces régions densément occupées par des populations non autochtones, les Guarani conservent une langue et des pratiques culturelles communes, avec une grande résilience. Leurs communautés se rendent visite, partagent des fêtes et autres événements, établissent des liens dynamiques à travers des mariages et des projets communs. Dans les régions frontalières, ces relations se développent entre des communautés vivant dans des pays différents. Dans ce cas, les frontières n’ont été établies qu’après la guerre du Paraguay (1864-1870). La présence de ces populations dans cette partie de l’Amérique du Sud est immémoriale.
C’est également ce qui se passe dans d’autres régions, comme l’Amazonie, où vivent des peuples autochtones qui vivent dans deux ou plusieurs pays. C’est ce qui arrive également aux non-autochtones. Par exemple, ceux qui vivent d’un côté de la frontière, mais travaillent ou étudient de l’autre.
Des étrangers ?
La famille Lupion, comme la mienne, est originaire d'Italie et n'a découvert le Brésil qu'après 1870. Mais le président du Front parlementaire pour l'agriculture (FPA), le député fédéral Pedro Lupion (PP-PR), a présenté un projet de loi (PL 4.740/2024) visant à restreindre la reconnaissance de la citoyenneté brésilienne aux autochtones. Il affirme que les Guarani qui réclament la démarcation des terres dans l’ouest du Paraná et du Mato Grosso do Sul sont des « Paraguayens » et que le gouvernement fédéral, avec l’approbation de la Funai, leur a accordé de manière indue la citoyenneté nationale, soi-disant pour légitimer leurs revendications territoriales.
L’accusation selon laquelle les Guarani sont de « faux peuples autochtones» ou « Paraguayens » fait partie d’une stratégie de « délégitimation de leurs droits territoriaux par la société non autochtone », comme l’indique le rapport Guaíra & Terra Roxa : rapport sur les violations des droits humains contre les Avá Guarani du Paraná occidental , de la Commission Guarani Yvyrupa (CGY). Selon l’organisation autochtone, il s’agit d’une des « thèses » promues par les ruralistes contre la démarcation des terres indigènes – qui ignore l’histoire de violence et d’expulsions subies par les peuples autochtones.
Le ministre du STF, Gilmar Mendes, dirige une tentative de conciliation entre les parties impliquées dans les actions judiciaires qui remettent en question la constitutionnalité de la loi 14.701/24, qui vise à établir le délai du 10/5/1988 pour les démarcations . Cette interprétation, tout aussi ruraliste, exclut le droit à la terre des peuples autochtones qui n’en étaient pas effectivement possesseurs à cette date. Mendes a l'intention de convaincre le Congrès d'abandonner le cadre temporel en échange d'autres restrictions aux droits des autochtones , en acceptant une suggestion législative du STF.
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Réunion d'Aty Guassu, une assemblée traditionnelle de leaders indigènes guaranis, à Dourados (MS), en 2012 📷 Marcello Casal Jr. / Agência Brasil
Cependant, Lupion a déjà prévenu le ministre que son tribunal n'accepterait qu'une conciliation qui maintiendrait le cadre temporel, déjà déclaré inconstitutionnel par le STF . Les ruralistes veulent exclure des droits fonciers les personnes qui ont été expulsées pendant la dictature militaire, ou même avant. C'est le cas des Guarani, qui ont vu leurs territoires ciblés par des projets de colonisation depuis le début du XXe siècle et qui, dans les années 1970, ont été directement impactés par la construction de la centrale hydroélectrique d'Itaipu (PR). Les autochtones attendent toujours une compensation pour ces dommages.
Suppression
Peut-être Lupion n'a-t-il pas remarqué le précepte introduit dans la proposition législative de Mendes, qui permet l'attribution d'autres zones aux peuples autochtones dont les terres traditionnelles sont sous occupation « consolidée » par des tiers. Même un éléphant pourrait passer à travers cette échappatoire, à condition que la définition d’occupation consolidée serve les amis de Lupion, et non les peuples autochtones. Cette échappatoire va jusqu’au point recherché par les ruralistes, qui est d’exclure des terres indigènes à délimiter les zones déjà occupées par des non-indigènes.
Il s’avère que cette suggestion législative établirait une hypothèse d’éloignement permanent des communautés autochtones non prévue au paragraphe 5 de l’article 231 de la Constitution : « L’éloignement des groupes autochtones de leurs terres est interdit, sauf, ad referendum du Congrès national, en cas de catastrophe ou d’épidémie mettant en danger leur population, ou dans l’intérêt de la souveraineté du Pays, après délibération du Congrès national, garantissant, dans tous les cas, le retour immédiat dès que le risque cesse ».
En supposant que la proposition soit officialisée par le STF et acceptée par le Congrès, nous serions confrontés à une situation inhabituelle : de quelle exemption disposerait la Cour pour juger une éventuelle question de constitutionnalité de la règle qu'elle a elle-même suggérée ? Ce serait une conséquence fatale du choix du tribunal de tenter une conciliation par le biais d'une suggestion législative, au lieu de se concentrer sur l'analyse de la constitutionnalité, ou non, de la loi 14.701/24, qui fait l'objet de plusieurs actions.
Le fait est que le faible niveau de débat aux plus hautes sphères de la République, centré sur la restriction des droits territoriaux autochtones révèle l'incapacité de l'État à achever la démarcation des terres indigènes, comme le prévoit la Constitution. Cette lacune dans le respect de la Magna Carta continue de donner un espace aux intérêts contraires aux droits des autochtones pour s’organiser et créer encore plus d’obstacles à l’achèvement des démarcations.
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Réunion d'Aty Guassu, une assemblée traditionnelle qui réunit les leaders indigènes guaranis, à Dourados (MS), en 2012 📷 Marcello Casal Jr. / Agência Brasil
traduction caro d'un article paru sur l'ISA le 06/02/2025
O presidente e sócio fundador do ISA, Márcio Santilli, critica tentativa ruralista de restringir o direito de cidadania de indígenas que vivem nas fronteiras para travar as demarcações
https://www.socioambiental.org/noticias-socioambientais/hipocrisia-colonial