Mexique : Siete filos : entre résistance culturelle et menace de la modernité

Publié le 14 Février 2025

UAM

10 février 2025 

Dans un désert aride au bord de la mer de Cortez, une culture originaire du Mexique lutte pour préserver son identité face aux assauts de la modernité. Le film Siete Filos  (Xiica Cmotomanoj), réalisé par le cinéaste Antonio Coello, offre un regard profond et émouvant sur la vie de la communauté indigène Seri, qui résiste encore à l'avancée de la mondialisation.

Ce long métrage, présenté à la Maison de la Première Imprimerie d'Amérique de l'Université Autonome Métropolitaine (UAM) dans le cadre du cycle Carrefours Indigènes, est une œuvre d'ethno-fiction qui plonge dans les traditions, l'environnement et les défis contemporains de ce peuple.

Le film documente les rituels et chants ancestraux des Seris, et expose également les dures réalités auxquelles ils sont confrontés : l'introduction de la technologie, d'Internet, des aliments ultra-transformés et, de manière alarmante, la consommation excessive de cola et la dépendance croissante au cristal.

Siete filos est le premier long métrage tourné en langue seri et bénéficie de la collaboration du réalisateur et d'un groupe de femmes de la communauté, dont l'histoire se concentre sur la féminité au sein de cette culture, avec un accent particulier sur la « fête de la puberté », cérémonie qui célèbre l'arrivée des premières règles et symbolise la transition des filles vers l'âge adulte.

Le film suit la plus jeune d'une famille de quatre femmes alors qu'elle vit ce rite de passage tandis que sa mère et sa grand-mère font de leur mieux pour lui offrir une cérémonie digne et traditionnelle. Cependant, sa sœur aînée, marquée par un sentiment d'abandon et prisonnière d'une forte dépendance à la méthamphétamine, devient un être nocturne qui erre sans but, incarnant le contraste entre la tradition et la décadence sociale provoquée par la drogue.

L'identité Seri se reflète dans leurs peintures faciales, leurs vêtements et leurs rituels, mais c'est dans leurs chants que leur patrimoine immatériel le plus précieux est préservé, avec des mélodies de guérison, de pluie, de naissance, de funérailles, de rituels et d'histoire, ainsi que des expressions de gratitude et de joie.

Cependant, la modernité a apporté avec elle une dualité qui se manifeste dans la musique. Alors que les chansons traditionnelles perdurent, les plus jeunes trouvent refuge dans le rock, une façon de s'évader d'un monde qu'ils ne comprennent pas toujours.

En ce sens, le groupe Seri Hamac Caziim prend une importance particulière dans le film, lorsque son chanteur exprime crûment la réalité de son peuple : « Dans le passé, ils ont essayé de nous tuer avec des armes à feu et ils n'ont pas pu. Maintenant, ils nous tuent avec de la drogue, et ils en sont capables.

Située sur la côte de Sonora et proche de la frontière avec les États-Unis, la communauté Seri fait face à une géographie qui en fait un territoire de contrastes. Ce qui était autrefois un village de pêcheurs et de chasseurs, au mode de vie autarcique, se retrouve aujourd’hui piégé dans un contexte où la modernité n’a pas apporté les bénéfices promis.

La pollution de ses rivières, le grave problème des ordures, aggravé par les déchets que la municipalité d'Hermosillo dépose sur son territoire, et l'invasion de la malbouffe ont radicalement changé leur mode de vie, mais sans aucun doute la plus grande dévastation est le trafic de drogue, puisque la proximité des voies de trafic a transformé la méthamphétamine en une épidémie au sein de la communauté, touchant des personnes de tous âges, des enfants de 13 ou 14 ans aux adultes de plus de 60 ans.

Le tournage de Siete Filos  a commencé en 2015 et représente le premier film d'Antonio Coello, qui ne s'est pas limité à être un simple observateur. Pour lui, le cinéma est un outil d’agitation culturelle, un moyen de générer des processus de création collective et de rendre visibles des réalités tues.

« Mon travail va au-delà du simple fait d’être un observateur participant. Je deviens un agitateur culturel qui cherche à provoquer des processus de création collective. Pour ce projet, je me suis associé à des femmes pour raconter une histoire sur les menstruations, la puberté, la transmission du savoir, la mémoire, le patrimoine immatériel et aussi sur l’environnement toxique que la modernité apporte aux lieux marginaux. Je voulais montrer les dégâts que cela peut causer, même à une sagesse aussi ancienne.

Valentina Torres, l’une des femmes Seri impliquées dans la réalisation du film, se souvient de la façon dont les personnes âgées pleuraient lorsqu’elles se voyaient reflétées à l’écran, dans leur propre langue, abordant des problèmes internes rarement exposés dans les médias traditionnels.

Mais le plus émouvant, selon Torres, a été la réaction des enfants présents à la représentation. Avec une maturité surprenante, ils ont réfléchi au message du film et à l’importance de garder vivantes leur langue et leurs traditions :

« Ce que nous voyons est très important. Nous avons compris le message. Lorsque nous grandissons et allons à l’université, nous ne devons pas arrêter de parler notre langue. « Si nous ne le faisons pas plus tard, nous décevrons nos parents et nos grands-parents », ont-t-ils déclaré.

Siete Filos  n’est pas seulement un film, c’est un témoignage de résistance, qui montre comment une culture ancienne fait face à un monde qui, dans sa tentative de modernisation, menace également d’effacer son essence, devenant un appel urgent à réfléchir sur les effets de la mondialisation sur les communautés indigènes et sur la responsabilité des sociétés modernes dans leur préservation.

traduction caro d'un article paru dur Desinformémonos le 10/02/2025

Initialement publié dans UAM

 

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