Canada : TC Energy laisse derrière lui la criminalisation sur le territoire Wet'suwet'en

Publié le 2 Février 2025

Pa Renata Bessi

28 janvier 2025

 

En couverture : La chef de l'aile du clan Gidimt'en Sleydo' (Molly Wickam) fait partie des personnes criminalisées pour s'être opposées à la construction d'un gazoduc sur son territoire ancestral.

Au Canada, trois défenseurs autochtones pourraient être condamnés à la prison le mois prochain pour leurs actions visant à protéger le territoire ancestral de la nation Wet'suwet'en, dans la province de la Colombie-Britannique, contre le pipeline Coastal GasLink (CGL) de l'entreprise. TC Energy, une société qui exploite et construit des infrastructures liées à la production d'énergie en Amérique du Nord. Les chefs de la nation Wet'suwet'en affirment qu'ils n'ont pas donné leur accord pour que le gazoduc traverse leur territoire.

Le chef de l'escadre du clan Gidimt'en, Sleydo' (Molly Wickam), la femme Gitxsan liée à la famille Wet'suwet'en, Shaylynn Sampson, et l'homme Mohawk d'Akwesasne, Corey Jayohcee, ont été arrêtés lors d'un  violent raid de la GRC au Canada (GRC), en 2021 , et déclarés coupables d'outrage pour avoir prétendument désobéi à une ordonnance du tribunal interdisant de s'approcher vers les zones où le gazoduc était en construction, même si elles se trouvaient sur leur territoire ancestral.

La défense juridique des trois peuples autochtones a déposé un appel auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans laquelle ils affirment que la police a violé leurs droits humains lors des descentes. La Cour suprême examine désormais si ses arrestations et condamnations ont violé leurs droits constitutionnels, y compris les allégations selon lesquelles le RPMC aurait fait un usage excessif de la force lors des arrestations. Un jugement – ​​attendu mi-février 2025 – en sa faveur pourrait annuler les condamnations.

L'injonction demandée par CGL Pipeline Ltd. et accordée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique en 2018 interdisait aux défenseurs des terres et à leurs partisans de toute action jugée préjudiciable à la construction du pipeline, y compris l'approche des travaux. La décision autorise la Gendarmerie royale du Canada à arrêter toute personne lorsqu'elle croit qu'une personne contrevient à l'ordonnance.

Pour faire respecter cette loi, la police a depuis mené quatre raids violents sur le territoire Wet'suwet'en, utilisant des armes à feu, des hélicoptères et des chiens. Au moins 75 défenseurs de la terre ont été arrêtés, comme le documente Amnesty International (AI). 

À la suite du raid de 2021, les détenus sont restés en détention jusqu’à cinq jours avant d’être libérés sous caution. Le témoignage du chef Na'Moks, l'un des chefs héréditaires des Wet'suwet'en, devant Amnesty International révèle la discrimination raciste qui prédominait dans l'action policière. « Seuls les autochtones étaient enchaînés, (…) ni personne d’autre. Les autres étaient seulement menottés. Mais ils ont fait comparaître devant le juge tous les autochtones (…) enchaînés et en sous-vêtements.»

Le chef Dsta'hyl (Adam Ganon), chef de l'aile du clan Likt'samisyu, a été arrêté en 2021 lors du même raid et reconnu coupable d'avoir violé la même ordonnance du tribunal. Il a été condamné, en juillet 2024, à 60 jours d'assignation à résidence sur le territoire Wet'suwet'en, complétée l'année dernière. 

Chef Dsta'hyl (Adam Ganon), chef de l'aile du clan Likt'samisyu.

L'autorité ancestrale a été la première personne emprisonnée parmi les quatre défenseurs Wet'suwet'en qui ont été poursuivis et d'autres défenseurs reconnus coupables du crime d'outrage pour avoir violé ladite ordonnance du tribunal. Il était considéré comme le premier prisonnier d'opinion du Canada, ayant été emprisonné en raison de ses profondes convictions politiques, religieuses ou autres, telles que définies par l'IA.

« J'ai été condamné pour avoir protégé nos propres terres alors que les lois Wet'suwet'en sont marginalisées », a déclaré le chef Dsta'hyl. « Ce combat dure déjà depuis 240 ans. Ils nous emprisonnent dans des réserves où ils font de nous des Indiens légalement. Désormais, tous les membres de la communauté sont des "prisonniers d'opinion" à cause de ce que les colonisateurs nous ont fait.»

Le Bureau du procureur général de la Colombie-Britannique (BCPS) a accusé 20 autres défenseurs d'outrage en 2022 pour avoir désobéi aux ordres de rester à l'écart des chantiers de construction de gazoducs. Certains défenseurs ont vu leurs accusations abandonnées ou ont été déclarés innocents. D'autres ont plaidé coupable en réponse à des conditions de mise en liberté sous caution restrictives, rapporte Amnesty International.

L'accès à une grande partie du territoire est restreint, à l'exception de la société du pipeline, de sa société de sécurité privée et de la police canadienne. Cela a séparé le peuple Wet'suwet'en de son territoire ancestral. Cela l’empêche de pratiquer plusieurs de ses activités traditionnelles, comme la chasse et la pêche.

Lorsqu'ils accèdent à leurs terres, les Wet'suwet'en sont souvent intimidés et harcelés par la police canadienne et les sociétés de sécurité privées. Leurs cabanes ont été incendiées, la police a fouillé leurs camps et confisqué leurs biens. 

 

Le gazoduc

 

TC Energy a annoncé fin 2023 avoir achevé le gazoduc Coastal GasLink, démarré en 2019. Il fait 670 km de long. Cependant, il n’a pas encore été activé pour transporter le gaz. 

Selon son site Web, Coastal GasLink « est la première route directe du Canada pour le gaz naturel canadien produit de manière durable et un élément essentiel pour soutenir la réduction des émissions mondiales (…) c'est un élément essentiel de notre travail de soutien à la transition énergétique mondiale ».

TC Energy possède 93 600 km de gazoducs partout en Amérique du Nord. Selon l'entreprise, 
30 % du méthane consommé en Amérique du Nord est transporté par ses structures. 

Gazoducs de TC Energy en Amérique du Nord.

Avispa Mídia  s'est entretenu avec le chef héréditaire Na'Moks, l'une des autorités ancestrales de la nation Wet'suwet'en. Depuis au moins 10 ans, son peuple lutte contre les gazoducs sur son territoire. Ils ont réussi à mettre quatre projets derrière eux. Au moins 11 projets sont prévus aujourd'hui. Le plus récent est le pipeline Coastal GasLink de TC Energy. Nous partageons ensuite une partie de l'entretien avec le chef héréditaire Na'Moks.

 

Emplacement stratégique

 

Nous sommes au nord de la Colombie-Britannique, province située à l'extrême ouest du Canada, nous sommes à deux heures de l'Alaska. Le méthane est extrait dans la province voisine, l'Alberta, et ils veulent l'acheminer vers l'océan Pacifique, où ils doivent construire des usines pour liquéfier le gaz et l'envoyer en Asie. Ils veulent faire passer les pipelines sur notre territoire. C’est pourquoi nous sommes si fortement sous pression. Tout est extrait par  fracturation hydraulique . Ils n’arrêtent pas de dire que c’est du « gaz naturel », mais cela n’a rien de naturel. Nous revenons tout juste de la région d'Athabasca (Alberta), où la rivière est empoisonnée. Le Grand Lac des Esclaves a chuté de 10 pieds.

Non c'est non

Nous sommes les chefs. C’est nous qui prenons les décisions au nom de notre peuple, nous faisons ce que notre peuple nous dit de faire. Et nous avons dit non. Ne parvenant pas à obtenir notre consentement, ils sont allés jusqu'à nous criminaliser. 

L’ensemble du processus a été difficile. Quand ils franchissent la porte de nos maisons avec des tronçonneuses, des haches et des chiens d'attaque, quand nous sortons dans la rue et que des tireurs d'élite pointent leurs fusils sur nous, quand ils arrêtent et mettent en prison des femmes enceintes, quand ils nous battent, nous emprisonnent, brûlent nos maisons. Ce n'est pas facile. 

Où est l’humanité là-dedans ? Nous ne sommes pas moins que quiconque. Ils nous ont criminalisés simplement parce que nous défendons notre eau, notre territoire.  

Expérience avec TC Énergie

Ce que nous voulons vous dire, c'est que cette entreprise [TC Energy] n'a aucune conscience. Ils vont leur donner très peu d’argent [en référence aux projets au Mexique] et ensuite ils vont laisser leur eau et leurs terres dévastées. Si l'on ne se défend pas, nous devrons laisser nos territoires à nos enfants, nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants, dévastés. Ce qu’ils font nuit à l’avenir des nouvelles générations. Ces entreprises et le gouvernement ne sont pas nos amis. Le monde n’a pas besoin de ces projets. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une terre, d’un air et d’une eau propres.

Gazoduc après gazoduc

Jusqu'à présent, la nation Wet'suwet'en a défait quatre gazoducs, il y en a un sur le terrain, mais il n'est pas encore en service et plusieurs autres sont à venir, au moins 11 autres projetés, par différentes entreprises. 

Projets zombies

Ce qu'ils font, c'est proposer des projets qui ressemblent fondamentalement à des projets zombies. Ils disparaissent, mais ils ne meurent jamais. Ils sont toujours à l’ordre du jour et peuvent donc être réactivés à tout moment, en fonction de la manière dont ils convainquent le gouvernement qu’ils peuvent le faire. Et ils continuent de répéter qu’ils appliqueront les meilleures pratiques, mais leurs meilleures pratiques consistent toujours à dévaster et à empoisonner notre eau et notre air.

Nous avons toujours été là

Nous utilisons beaucoup les Nations Unies pour revendiquer nos droits, car selon le gouvernement au pouvoir, ils respectent plus ou moins nos droits. L'État nous reconnaît pour les démarches judiciaires que nous avons dû mener à bien. Nous avons gagné un procès le 11 décembre 1997, dans lequel le Canada reconnaît que nous existons [en tant que peuples] et que nous n'avons jamais renoncé à notre autorité. Notre territoire s'étend sur 22 000 kilomètres carrés. Nous avons toujours été là. Cependant, ils continuent d'autoriser des projets qui traversent nos terres sans notre consentement.

Faites savoir au monde

Le Canada se soucie beaucoup de sa réputation. Il a peur de perdre sa réputation d'endroit où il fait bon vivre et être. Cela, nous, nous ne le voyons pas, alors nous le disons au monde. C'est pourquoi nous avons parlé aux Nations Unies. C'est pourquoi nous allons dans différents pays pour exprimer et dire la vérité. Faites savoir au monde ce que fait le gouvernement canadien. Faites savoir au monde quelle est sa véritable réputation.

La priorité c'est l'argent

Même si nous gagnons devant les tribunaux, même si la Constitution le dit, ils donneront simplement la priorité à l’argent, ils suivront les instructions des entreprises. Les entreprises empruntent la voie de la moindre résistance, qui est généralement celle d'un élu en poste depuis seulement quelques années qui facilite l'exécution des projets. Nous sommes héréditaires, nous sommes là pour toujours et ils appliqueront la tactique « diviser pour régner » qui fonctionne toujours pour eux. 

Nous devons aller au-delà des élus car, encore une fois, ils changent à chaque élection. Il faut donc porter ce combat sur la scène mondiale et beaucoup de gens pensent que c'est trop grand, mais ce n'est pas si grand si nous croyons en ce que nous faisons et si nous faisons la bonne chose. Ce n'est pas grave. C'est un travail dur, mais ça en vaut la peine. Et quand nous disons non, nous voulons dire non.

Les ordonnances du tribunal criminalisent

Les entreprises utilisent des décisions de justice contre nous. Ils disent que nous envahissons notre propre territoire. Ils nous criminalisent, ils nous expulsent de nos terres, ils nous enferment. Nous ne pouvons pas circuler librement sur notre territoire.

Les entreprises disent que pour fonctionner, elles ont besoin que nous restions à l’écart, et 88 % du temps, elles réussissent. Cela montre que l’État canadien est du côté des entreprises. Cela ne veut pas dire que c'est légal. C'est comme ça qu'ils finissent par nous mettre en prison et nous accuser. Nous respectons notre loi. Ils nous traiteront de criminels pour cela, mais nous respectons notre loi. Notre loi dit que nous devons protéger nos terres. Nous ne voulons pas d'argent. Nous voulons juste de l’air pur et de l’eau propre. Ce qui est bon pour nos enfants, nos enfants. Nous ne voulons pas plus que ce que nous avons. Nous avons ce dont nous avons besoin. Nous voulons juste le protéger.

Derniers contactés par les Européens

La plupart des peuples autochtones du Canada ont des contacts avec les Européens depuis des centaines et des centaines d'années, mais nous sommes probablement les derniers à être contactés. C'était à l'époque de ma grand-mère, il y a environ 150 ans. Et le nom que je porte, Chef Na'Moks, était celui de ma grand-mère et elle était aux commandes lorsque les Européens sont arrivés. Nous n'avons jamais perdu notre culture, notre loi.

Peu nombreux ?

Nous n'avons pas eu de recensement depuis les années 1990, mais nous sommes entre 10 000 et 15 000. Les entreprises regardent ce chiffre et disent que nous sommes peu nombreux, mais elles oublient que le monde nous soutient. Plusieurs nations différentes s'installent sur notre territoire et elles sont les bienvenues. 

Forces

Nous devons rester fermes, savoir qui nous sommes, avoir une identité, connaître notre culture et savoir que nous faisons la bonne chose. Que les peuples du monde entier n’abandonnent pas. Tout ce que nous faisons affecte la planète entière. Cela affecte tout le monde. Notre culture, nos aînés, notre peuple, notre jeunesse, (...) nous devons toujours avoir cela avec nous. Si on oublie, ils gagnent.

traduction caro d'un reportage d'Avispa midia du 28/01/2025

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