Chansons reprises : Gente humilde

Publié le 23 Février 2025

 

Leonardo Boff rend hommage à Chico Buarque à l'occasion de son 80e anniversaire avec une réflexion basée sur la chanson Gente Humilde

2 juillet 2024 (Brasil de fato, extraits traduits)

« Gente humilde/gens humbles» est une chanson de Chico Buarque réalisée en partenariat avec d'autres auteurs. De son œuvre vaste et complexe, cette chanson est pour moi la plus belle et la plus significative. Elle parle des désirs qui animent la théologie de la libération qui donne une centralité aux « gens humbles » et reconnaît en eux une force historique, peu valorisée par les analystes sociaux. Je veux lui rendre hommage à l'occasion de son 80e anniversaire avec une petite réflexion basée sur cette chanson. Tout est vrai en elle.

Les choses vraies et identificatoires des gens se réalisent au-delà de la conscience réflexe. Ce sont des forces qui agissent depuis les profondeurs de la vie et de l'univers, depuis l'inconscient abyssal et depuis les archétypes ancestraux qui apparaissent dans la conscience des gens et à travers eux s'annoncent et émergent dans l'histoire. Je dis cela pour dépasser une certaine interprétation qui donne une valeur absolue au sujet et au sens conscient qu'il entend donner à son œuvre. Le sens de la production de Chico Buarque dépasse celui qu'il a pu lui-même vouloir lui donner. Il n’entend certainement pas avoir le monopole du sens de la réalité qu’il chante et décrit. De multiples facettes du sens peuvent être captées par les auditeurs et les lecteurs , qui deviennent ensuite co-auteurs de l'œuvre. Je retranscris la chanson « Gente Humilde »

 

 Gens humbles

 

Il y a certains jours où je pense aux miens
Et j'ai l'impression que toute ma poitrine se serre
Parce qu'on dirait que ça arrive d'un coup
J'ai eu envie de vivre sans m'en apercevoir
Tout comme eux comme quand je passe en banlieue
Je suis toujours bienvenu en arrivant en train de quelque part
Et puis j'ai l'impression d'envier ces gens
Qui avancent
Sans même avoir personne sur qui compter
Ce sont de simples maisons avec des chaises sur le trottoir
Et sur la façade c'est écrit dessus que c'est une maison
Sur le balcon des fleurs tristes et vides
Avec la joie qui n'existe pas il y a un endroit sur lequel s'appuyer
Et puis je ressens une tristesse dans ma poitrine
Par le fait de ne pas pouvoir me battre
Et moi, qui ne crois pas, je demande à Dieu pour mon peuple
Ce sont des gens humbles, j’ai envie de pleurer.

Chico Buarque / Garoto / Vinícius de Moraes, traduction carolita

 

En tant que théologien et depuis 50 ans marchant à deux pieds, l'un dans le monde universitaire et l'autre dans les milieux pauvres, je considère cette œuvre de Chico comme la plus émouvante et la plus parfaite. Cela traduit à merveille deux réalités.

La  première , « des gens humbles », de leur totale impuissance sociale. Il n'y a personne pour eux. Ils avancent avec leurs peu de forces, sans compter sur personne, ni sur l'État, ni sur la société fermée sur ses intérêts de classe exclusifs, parfois même pas sur les Églises, même si une partie de l'Église catholique a fait une option pour les pauvres, contre leur pauvreté et pour leur libération. Mais ils ne comptent généralement que sur Dieu et sur eux-mêmes. Les maisons, quand ils en ont, sont simples, avec des chaises sur le trottoir, d'où ils voient le monde et partagent des amitiés. Ils ont un sens éthique élevé et un sens sacré de la famille. La maison est pauvre mais c'est « une maison ». Des fleurs tristes et rabougries, qui leur ressemblent, ornent la maison, mais règnent une joie et une sérénité discrètes.

La  deuxième réalité que la chanson traduit avec une fine perception éthique et psychologique est la réaction de ceux qui ne sont pas des « gens humbles» mais qui sont sensibles, humains et solidaires de cette condition humaine , en l'occurrence Chico, Vinicius de Moraes et Garoto - les auteurs des paroles et de la musique. Le compositeur pense « à mon peuple », c'est-à-dire que pour Chico il existe et est là, alors que pour beaucoup il est non seulement invisible mais aussi inexistant ou honteusement méprisé. Il constate la différence de statut social :  il  vient très bien en train ; eux, à pied en toute sécurité, marchant beaucoup. Sa « poitrine se serre », il aimerait vivre comme eux, anonyme, sans se faire remarquer. Plus encore : il « envie ces gens » pour leur courage d’affronter la vie seuls, de se battre et de survivre sans l’aide de personne.

Et puis surgissent la solidarité et la compassion au sens noble du terme : comment les aider et être avec eux ? Un sentiment d'impuissance apparaît, « une tristesse dans […] la poitrine/comme malgré […] l'incapacité de se battre ».

La Théologie de la Libération, qui implique encore des milliers de chrétiens sur différents continents, est née face à cette situation rapportée par Chico. Ces chrétiens ont pris un engagement libérateur, faisant confiance aux « personnes humbles » et à leur force historique. Mais la blessure est trop grande. Notre génération ou la suivante ne parviendra peut-être pas à la fermer. Un sentiment d’impuissance nous envahit, mais sans jamais perdre l’espoir qu’un autre monde soit possible et nécessaire. 

C'est alors que nous nous tournons vers la Dernière référence. Il doit y avoir Quelqu’un, maître du monde et du cours des choses, qui puisse réparer cette humiliation. Même quelqu’un qui ne croit pas, mais qui n’a pas perdu le sens de l’humanité, perçoit le sens libérateur de la catégorie « Dieu ». Et puis, avec une émotion débordante, le poète chante : « Et moi, qui ne crois pas, je demande à Dieu pour mon peuple / ce sont des gens humbles, j'ai envie de pleurer ».

(....)

traduction carolita

Rédigé par caroleone

Publié dans #chansons reprises, #Brésil

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