Caraïbes : les révoltes en Martinique défient la puissance coloniale française

Publié le 25 Septembre 2024

La France envoie des policiers anti-émeutes en Martinique au milieu des manifestations contre la hausse des prix

Gabriel Vera Lopes

Brasil de fato | La Havane (Cuba) |

 24 septembre 2024 à 07:38

Manifestations dans la capitale de la Martinique, Fort de France - Ed JONES / AFP

Depuis des semaines, l'île caribéenne de la Martinique -  colonie française ou département français d'outre-mer - est impliquée dans une intense vague de protestations contre la vie chère. Les prix élevés des denrées alimentaires ont déclenché une révolte qui a donné lieu à des barrages routiers au port de Fort-de-France – la capitale de l'île – et à des affrontements entre manifestants et policiers. 

Avec 350 000 habitants, l'île de la Martinique est confrontée à de graves problèmes sociaux : sur fond d'inflation galopante, un Martiniquais sur quatre vit sous le seuil de pauvreté. Dans ce contexte, les prix alimentaires sont jusqu'à 40 % plus élevés qu'en France métropolitaine.

Mercredi dernier (18), au milieu d'une semaine marquée par une escalade du conflit, le maire Jean-Christophe Bouvier a décrété un couvre-feu à Fort de France et au Lamentin, villes qui ont été l'épicentre du mouvement. Le gouvernement a également déclaré que les manifestations publiques seraient interdites. 

Les autorités locales ont signalé l'arrivée de policiers anti-émeutes venus de France ce week-end. Il s'agit des « Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) », une des forces de sécurité de la Police nationale française utilisée pour réprimer les manifestations. Accusées de violations des droits humains, ces forces ont été déployées en Guadeloupe en 2009, lorsqu'un mouvement social sans précédent a paralysé le pays pendant près de deux mois et a commencé à s'étendre aux autres colonies françaises. 

Selon les autorités, les restrictions aux manifestations visent à « mettre fin aux violences et aux dégâts perpétrés lors de ces manifestations, ainsi qu'aux innombrables entraves à la vie quotidienne et à la liberté de circulation qui pénalisent l'ensemble de la population, notamment le week-end ».

Cependant, malgré les interdictions, vendredi dernier, les chauffeurs de taxi ont bloqué les principales routes du pays et, samedi soir, de grandes manifestations pacifiques ont eu lieu au mépris du couvre-feu. 

Au-delà des prix alimentaires

Le mouvement de contestation est dirigé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC). Ce mouvement a débuté ses activités en juin, lorsque, à travers les réseaux sociaux, il a commencé à appeler à des mobilisations pour exiger des prix abordables et améliorer le pouvoir d'achat des habitants des territoires d'outre-mer.

Cependant, les revendications du RPPRAC vont au-delà du coût de la nourriture. Dans un entretien à France-Antilles, Aude Goussard, l'une des porte-parole du mouvement, a expliqué que l'objectif est de répondre à toutes les difficultés rencontrées par ses habitants, notamment les problèmes environnementaux, juridiques, sociaux et culturels.

Le 1er juillet, le RPPRAC a lancé un ultimatum aux grandes sociétés commerciales pour exiger que les prix des denrées alimentaires dans les territoires d'outre-mer soient assimilés à ceux de la France métropolitaine. Cependant, l’absence de réponse a déclenché une spirale de protestations qui secoue actuellement l’île. 

Le conseil municipal a accepté d'ouvrir un canal de dialogue au début du mois, mais après trois semaines de manifestations, il a renoncé à poursuivre le dialogue. Le principal point de discorde est que les représentants du RPPRAC exigent que les négociations soient retransmises en direct afin que l'ensemble de la société puisse entendre les conversations, ce que les autorités insulaires refusent de faire. 

C'est dans ce contexte que s'est produite la première escalade majeure de la violence lorsque, le 11 septembre, les forces militaires ont réprimé des manifestants devant le Carrefour Dillon. Selon un communiqué du RPPRAC, « cette intervention a déclenché une escalade de la violence dans les quartiers populaires voisins ». 

Selon les autorités locales, depuis le début des manifestations, 44 véhicules ont été incendiés et 35 établissements ont été attaqués. 15 personnes ont été arrêtées. 

Face à cette situation, le mouvement a publié un communiqué affirmant que « le dialogue est urgent et indispensable » pour mettre fin aux troubles, pour lequel il réitère ses exigences de « négociations publiques et d'alignement des prix sur ceux de la France ».

Gladys Rogers, l'une des principales porte-parole du mouvement, a pris ses distances avec les actes de violence, affirmant sur les réseaux sociaux que « dans chaque mouvement social, il y a des gens en marge qui profitent de la tourmente pour faire toutes sortes de choses ».

« Nous avons lancé plusieurs appels au calme, qui ont fonctionné. Mais nous avons dit que nous ne pouvions pas contenir indéfiniment la colère des gens. Plus les choses prennent du temps, moins nous pouvons le faire », a-t-elle déclaré.

Mobilisations à FORT-DE-FRANCE / Ed JONES / AFP

Luttes anticoloniales 

Les protestations sont dirigées contre le groupe Bernard Hayot, un conglomérat commercial ayant une longue histoire sur l'île, fondé au XVIIe siècle par des colons blancs qui exploitaient des esclaves pour produire du sucre. 

Aujourd'hui, le groupe exerce des activités d'import et d'export dans les territoires français d'outre-mer, étant l'un des principaux distributeurs alimentaires de la Martinique. Il appartient à l'une des familles les plus riches de France, qui, rien qu'en 2021, aurait réalisé des bénéfices estimés à plus de 3 milliards d'euros (près de 20 milliards de reais).  

Le couvre-feu mis en place par les autorités martiniquaises coïncide avec la décision de la France d'étendre et de renforcer le couvre-feu dans la « Collectivité d'outre-mer » de Nouvelle-Calédonie (île d'Océanie). La décision des autorités françaises est due à la crainte que de nouvelles protestations ne se propagent dans le contexte de l'anniversaire du début de la colonisation de l'île par la France en 1853, le 24 septembre. 

Depuis quatre mois, la Nouvelle-Calédonie est soumise à un régime policier et à des restrictions de déplacement de ses habitants, en raison d'une forte vague de protestations contre la réforme constitutionnelle promue sur le continent, qui élargit la liste électorale aux citoyens français qui vivent sur l'île depuis plus de dix ans.  

 

Edition : Rodrigo Durão Coelho

traduction caro d'un article de Brasil de fato du 24/09/2024

Rédigé par caroleone

Publié dans #Martinique, #ABYA YALA, #Kanaky, #Mobilisation, #Colonisation, #Répression

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