Brésil : La « conciliation » au sein du STF devrait se concentrer sur la fourniture de terres pour surmonter les conflits

Publié le 18 Août 2024

L'associé fondateur et président de l'ISA, Márcio Santilli, analyse le nouveau processus de discussion sur le « cadre temporel» des démarcations au sein du STF

Márcio Santilli - Partenaire fondateur de l'ISA

 

La première audience de « conciliation » sur le « cadre temporel », promue par le ministre Gilmar Mendes, a eu lieu lundi (5) au Tribunal suprême fédéral (STF). Le ministre est rapporteur d'un paquet de cinq actions judiciaires sur l'inconstitutionnalité de la loi 14.701/2023, qui entend appliquer le « cadre temporel » aux démarcations, restreignant les droits des peuples indigènes sur leurs terres et la jouissance exclusive de leurs ressources naturelles.  

Lors de cette première audition, le ministre a ouvert le débat sur la portée et l'agenda du processus, qui, en principe, devrait durer jusqu'à la fin de l'année. La première étape établira des règles et prévoira un espace pour le positionnement préalable des parties qui composent la commission spéciale de conciliation : Congrès, partis, États, municipalités, Bureau du Procureur général (AGU), Fondation nationale des peuples autochtones (Funai), ministères et organisations autochtones. Sont également présents, en tant qu'observateurs, des membres du Ministère public fédéral (MPF) et des « amis de la Cour » (tiers qui participent aux procédures judiciaires dans le but de présenter des subventions au juge).

On suppose que les récentes décisions du STF, qui a jugé le « cadre temporel » inconstitutionnel et établi 14 thèses fondamentales sur les démarcations, ne seront pas revues. Cependant, elles pourront être revisitées pour convenir entre les parties des conditions d'effectivité des décisions prises, comme par exemple les critères d'éligibilité et les moyens d'indemniser les titulaires de titres légitimes attachés aux Terres Indigènes (TI).

Il est probable que la discussion inclura également d’autres restrictions sur l’incidence des nouvelles démarcations sur les propriétés rurales, comme la possibilité d’acheter d’autres zones pour les peuples autochtones – une forme de compensation pour la non-démarcation de leurs territoires traditionnels. Mais un recours régulier à l'achat de terres priverait de son sens l'actuelle procédure de démarcation, qui vise à reconnaître ces territoires.

Tout indique que la « conciliation » inclura la réglementation du paragraphe 6 de l'article 231 de la Constitution, qui prévoit des exceptions au droit d'usage exclusif des peuples autochtones sur les ressources naturelles de leurs terres, lorsqu'il existe « un intérêt public pertinent de l’Union », qui comprend la recherche et les mines de minéraux.

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Les peuples autochtones participent à la première séance de « conciliation » au STF 📷 Adriano Machado / Greenpeace| 

 

« Peu de terres pour de nombreux indigènes »

 

Les TI du Roraima et de l’Amazonas restent très présentes dans le débat politique qui imprègne la « temporalité ». Ce concept, absent du processus constituant, a été évoqué des décennies plus tard, pour la première fois, dans l'arrêt du STF sur la constitutionnalité de la démarcation de la TI Raposa-Serra do Sol (RR). Et il est rhétoriquement et à tort associé à la TI Yanomami (RR-AM), pour suggérer qu'il y a « beaucoup de terres pour peu d'Indiens ».

Cependant, les peuples indigènes occupent ces terres depuis des temps immémoriaux, ce que le STF lui-même a déjà reconnu, ainsi que la légalité du rapport anthropologique qui soutenait sa démarcation complète, excluant la possibilité que le « cadre temporel » soit impliqué. Bien que des démarcations soient encore en cours en Amazonas, 98 % de l'étendue totale des TI du Brésil y est concentrée. La demande de démarcations se situe en dehors de cette région, dans l’autre moitié du pays, où se trouve 49 % de la population indigène et seulement 2 % du territoire.

Selon les données du recensement de 2022, Bahia et Mato Grosso do Sul comptent les deuxième et troisième plus grandes populations autochtones du pays vivant dans des TI, dans de petites zones ou dans des zones urbaines. En première place se trouve Amazonas. Les conflits armés sont fréquents dans le sud-est de Bahia et le sud-ouest du Mato Grosso. Ce n'est pas un hasard si la première audience de « conciliation » s'est déroulée sous le signe de la violence, menée par des hommes armés, d'une communauté Guarani-Kaiowá qui tentait de reprendre une zone indigène déjà délimitée, mais occupée par des agriculteurs.

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Les indigènes regardent une interview de la ministre des Peuples indigènes, Sonia Guajajara, dans la Terre indigène (MS) de Panambi-Lagoa Rica 📷 Bruno Peres / Agência Brasil

 

Confinement

 

Le processus de « conciliation » devrait s’inspirer de la recherche de solutions dans des cas emblématiques comme celui du Mato Grosso do Sul, où vivent 116 000 indigènes, issus de dix ethnies, qui représentent plus de 4 % de la population de l’État. Malgré cela, la superficie totale des terres reconnues comme autochtones ne dépasse pas 2,5 % de la taille de l'État, une partie étant toujours en possession de personnes non autochtones.

La Réserve Indigène Dourados a été créée avec 3,5 mille hectares, autour du poste indigène installé là-bas, en 1925, pour réinstaller les communautés indigènes transférées de leurs terres traditionnelles, libérées pour la colonisation. Un siècle plus tard, la population indigène de la région dépasse les 15 mille personnes et les anciens villages ont été transformés en quartiers touchés par l'expansion urbaine.

La définition constitutionnelle de la TI elle-même présuppose des modes d’occupation extensifs. Mais là-bas, les indigènes survivent à un taux dramatique d'environ 4 personnes par hectare, tandis que le module rural (superficie minimale estimée pour la survie d'une famille d'agriculteurs) dans la région du Dourados est de 30 hectares.

Il est évident que la situation de ces réserves, qui concentrent la majorité de la population indigène de l'État, constitue une source permanente de conflits. Nous pouvons comprendre le choix de nombreuses familles de retourner sur leurs territoires traditionnels, même en sachant que leur retour exigera du sang, de la sueur et des larmes.

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Manifestation contre le « cadre temporel» dans la Terre Indigène (MS) de Panambi-Lagoa Rica, où dix indigènes ont été blessés lors d'une attaque menée par des agriculteurs au début du mois 📷 Bruno Peres / Agência Brasil 

 

Disponibilité des terres

 

La démarcation des TI du Mato Grosso do Sul, ainsi que dans d'autres zones critiques, est pratiquement paralysée depuis plus de dix ans. Pendant cette période, les conflits n’ont fait qu’augmenter, tout comme le nombre de victimes, de suicides, de maladies évitables, etc. La signification pratique du concept de « cadre temporel» est de rendre les démarcations difficiles et paralysantes, une barrière juridique pour empêcher leur réalisation et une source de conflit.

Si la « conciliation » promue par le STF entend résoudre les conflits, elle doit se concentrer sur la mise à disposition de terres pour indemniser et réinstaller les tiers occupant les territoires délimités. Ou encore, pour faciliter la connexion entre les terres et les communautés, ouvrir des espaces à de nouveaux villages et à une partie de la population indigène croissante, en particulier dans les régions critiques.

Certaines des thèses relatives au versement d'indemnités et à l'achat de terres, déjà approuvées par le STF dans le jugement d'inconstitutionnalité du « cadre temporel », vont dans ce sens, mais manquent d'efficacité. Les représentants du Congrès, de l'Exécutif et du secteur rural qui participent à cette conciliation devraient se mettre d'accord sur l'allocation du budget, l'émission d'obligations, la structuration des organismes impliqués et l'adoption de politiques garantissant cette efficacité.

Tout processus administratif peut être amélioré ou adapté à de nouvelles circonstances, et la reconnaissance officielle des TI ne fait pas exception. La promulgation du décret 1 775/1996, qui réglemente les démarcations, en est un exemple. L’adoption d’une compensation pour les titulaires de titres légitimes nécessitera en soi de nouveaux critères et instruments.

 

Perte de concentration

 

Cela ne sert à rien de revenir sur les décisions déjà prises par le STF. Désormais, l’objectif est de promouvoir des accords entre les parties et de créer les conditions pour que le processus de démarcation puisse avancer et se conclure, en favorisant la réparation des tiers de bonne foi affectés par celui-ci. La portée de cette « conciliation » ne devrait pas dépasser celle de la loi en question.

Le ministre rapporteur a suggéré la possibilité de traiter, dans le cadre de cette même commission de « conciliation », d'autres cas spécifiques de démarcation impliqués dans les processus en cours au STF. Cependant, outre le risque de dispersion, cela n’a pas de sens de mobiliser toutes les institutions qui en font partie pour discuter de situations spécifiques et locales, car les parties directement impliquées n’y sont pas incluses. Si le STF comprend que ces dossiers nécessitent également des conciliations, il devrait les promouvoir à travers des commissions spécifiques.

Il a également été proposé de réglementer les paragraphes 3 et 6 de l'article 231 de la Constitution, qui traitent de la recherche et de l'exploitation des minéraux et des exceptions à l'usufruit exclusif des peuples autochtones sur les ressources naturelles de leurs terres, découlant de « l'intérêt public pertinent » de l'Union. Il y a un chevauchement partiel, car l'exploitation minière sur ces terres n'est autorisée que dans l'intérêt national.

Bien que le ministre Gilmar Mendes soit également rapporteur d'une action déposée par le PP, demandant au STF de surmonter l'omission du Congrès et de promouvoir la réglementation de l'article 231, et que son mérite affecte également les droits territoriaux des peuples autochtones, cela ne semble pas pertinent pour le même processus. L’évaluation de la constitutionnalité d’une loi est une responsabilité régulière du STF, mais compenser l’omission d’un pouvoir implique d’autres soins, institutions et questions techniques très différents.

Le concept de « cadre temporel » a été cannibalisé par la polarisation politique du pays et utilisé, à tort, comme devise des conflits entre les trois puissances. Le niveau du contentieux déterminait le format de cette « conciliation ». Bien qu'elle soit controversée, l'exploitation minière dans les TI a des dispositions constitutionnelles et ne suscite pas le même degré de controverse. Cela n’a aucun sens de contaminer ce débat avec l’usure des autres.

 

Les indigènes se rassemblent devant le STF pour protester contre la loi 14 701/2023 📷 Rafa Neddermeyer / Agência Brasil

 

traduction caro d'un article de l'ISA du 14/08/2024

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Brésil, #Peuples originaires, #Cadre temporel

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