Sentir-penser un journalisme environnemental et autochtone pour sauver l'Amazonie

Publié le 14 Juillet 2024

DROIT À LA COMMUNICATION EN AMAZONIE
Jonatan Rodríguez
1er juillet 2024

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Photo : Iván Castaneira / Agence Tegantai

Après avoir positionné l'Amazonie comme un symbole de la protection de la nature, il est temps de construire des récits positifs qui génèrent de l'espoir pour la résolution des conflits environnementaux. De même, ce journalisme doit expliquer les conflits environnementaux, exiger la transparence, être actionnable et créer des espaces qui promeuvent de nouvelles formes de gouvernance au profit des communautés amazoniennes. Il est impératif de décoloniser les formes de narration et d'intégrer le journalisme indigène dans la couverture générale de l'Amazonie. Le point de non-retour nous oblige à renforcer le droit humain à la communication du point de vue de ceux qui habitent et protègent la biodiversité et les forêts amazoniennes.

Au cours de la dernière décennie, l'Amazonie est devenue l'un des principaux emblèmes mondiaux de la protection de l'environnement. Ce phénomène est en grande partie dû au travail de journalistes et de gardiens de la nature qui ont donné leur vie pour comprendre les réalités des forêts amazoniennes. Le journaliste Dom Phillips et l'indigéniste Bruno Pereira, tués en juin 2022 lors d'un voyage à Vale do Javari, la deuxième plus grande terre indigène du Brésil, alors qu'ils enquêtaient sur les destructions causées par des groupes criminels, en sont un exemple.

Le journalisme d'investigation travaille dans des conditions très difficiles dans l'esprit de découvrir les causes, les raisons et les intérêts derrière des phénomènes complexes tels que la déforestation en Amazonie. En effet, au cours de la dernière décennie, des centaines de journalistes ont réussi à positionner cette région comme un lieu unique pour l'espèce humaine, avec une biodiversité inestimable pour l'humanité. Le journalisme a fait comprendre au monde que l'Amazonie devait être protégée et restaurée de toute urgence. 

Ce positionnement, bien sûr, n'est pas uniquement dû au journalisme. Ce travail de visibilité de l'Amazonie et de dénonciation de l'extractivisme s'est accompagné de la lutte inlassable des peuples autochtones et de milliers de gardiens de l'Amazonie : gardes forestiers, communautés, défenseurs de l'environnement et mouvements sociaux. C'est grâce à ce travail d'équipe qu'un discours puissant sur l'urgence de protéger l'Amazonie a été construit et a réussi à s'imposer dans les sphères mondiales. Aujourd'hui, cependant, il faut passer à la phase suivante : comment sauver ce territoire du point de non-retour.

 

Les peuples indigènes d'Amazonie jouent un rôle fondamental en tant que protecteurs de la nature. Ils travaillent aux côtés des journalistes pour dénoncer la destruction.Photo : Iván Castaneira / Agencia Tegantai

 

Un récit puissant pour la protection de l'environnement

 

Les scientifiques ont qualifié de point de non-retour une situation dans laquelle la déforestation et la dégradation combinées dépassent 25 % de la surface de l'Amazonie. Ce concept met en évidence la relation prédatrice entre les écosystèmes, l'extractivisme et l'homme. Dans un premier temps, cette relation a été rapportée sous un angle négatif : comment la consommation occidentale perpétue la déforestation des forêts amazoniennes. Cependant, nous avons maintenant besoin d'un journalisme qui propose des cadres positifs : comprendre la valeur des rivières volantes et des centaines d'autres histoires qui nous permettent de voir que l'Amazonie est également pleine de solutions pour sa préservation.

Une fois que l'Amazonie est devenue un puissant argument en faveur de la protection de l'environnement, nous devons remettre en question le discours sur son état critique et sur la manière dont les chaînes de valeur mondiales continuent de la pousser vers son point de non-retour. À ce stade, le journalisme occidental doit devenir un outil d'action qui reconnaisse l'importance du journalisme indigène et favorise l'amplification des voix des secteurs qui souffrent le plus des impacts environnementaux en Amazonie. De cette manière, la communication bénéficiera d'une perspective plus diversifiée, plus équitable et plus inclusive.

Une vision positive de l'Amazonie est essentielle pour raconter l'importance de ce territoire et pour créer de nouveaux liens avec le public, les communautés et les acteurs responsables de la prise de mesures concrètes en faveur des écosystèmes. Il reste encore un long chemin à parcourir vers un journalisme qui, dans sa couverture de l'Amazonie, inclut des perspectives diverses et émergentes qui nous permettent de trouver des solutions par le dialogue, d'envisager des opportunités en harmonie avec la nature et de rêver à des avenirs communs. En matière d'environnement, le journalisme doit exiger la transparence de la part des gouvernements, des entreprises, des individus et des marchés afin d'influencer les politiques publiques et de promouvoir de nouvelles formes de gouvernance interculturelle dans la région. 

Les journalistes doivent également se pencher sur les cas de résilience, la mémoire historique, les récits autochtones et les cosmogonies des peuples qui habitent ce territoire. Les peuples amazoniens pratiquent une relation harmonieuse entre le corps et le territoire qui est essentielle pour protéger les forêts et leurs écosystèmes. Ce journalisme doit communiquer la relation entre la flore, la faune et les êtres humains, en donnant la parole aux êtres sensibles qui habitent l'Amazonie : la voix du jaguar, des anacondas et des centaines d'espèces d'amphibiens, de plantes et d'animaux qui parcourent ses rivières, ses terres et ses arbres.

La déforestation est l'un des principaux problèmes de l'Amazonie. Le journalisme doit rendre compte de cette complexité de manière accessible et éduquer de nouveaux publics. Photo : Pulitzer

 

Un journalisme qui renforce la résilience

 

L'Amazonie, c'est des millions d'Amazonies. Le journalisme doit comprendre sa nature, ses problèmes et ses phénomènes. Aujourd'hui, plus que jamais, il doit être dynamique et proactif pour mobiliser et éduquer de nouveaux publics : de la compréhension des problèmes de l'Amazonie à la connaissance de ce que nous pouvons faire pour la protéger. Le journalisme ne se contente plus de couvrir l'actualité, il doit désormais rendre compte des intérêts qui menacent l'Amazonie avec éthique, rigueur et méthode. Il doit aussi s'élargir, muter et faire pression pour que les communautés soient plus résilientes, que les gouvernements soient plus transparents et que les citoyens comprennent comment agir.

L'éventail des possibilités de construire un nouveau journalisme pour l'Amazonie s'élargit lorsque nous abordons les outils que le journalisme indigène peut apporter pour rêver à des avenirs possibles en harmonie avec l'Amazonie.

Ces outils doivent reconnaître et justifier le rôle de la mémoire historique et des luttes indigènes dans la survie de l'Amazonie. Il est encore plus important de valider les cosmovisions des peuples amazoniens et leurs relations avec la nature, les plantes, les êtres mythiques et la terre : ce n'est qu'ainsi que nous pourrons comprendre comment habiter la terre dans un profond respect et non dans une optique d'extractivisme et d'extermination de ses êtres vivants.

L'intégration réelle, authentique et proactive du journalisme indigène dans la couverture générale de l'Amazonie n'en est encore qu'à ses balbutiements. Comprendre comment établir la confiance avec les journalistes indigènes et décoloniser la façon de raconter, d'enquêter et de percevoir la réalité est une tâche difficile mais nécessaire. Malgré cela, il est urgent de créer de nouvelles collaborations et de jeter des ponts pour réfléchir à un journalisme qui nous permette de renforcer la préservation de la nature. Une tâche titanesque a déjà été accomplie : faire de l'Amazonie un symbole de la lutte et de la résistance mondiales. Maintenant, nous devons sentir-penser un journalisme qui se transforme en actions, en réformes et en outils concrets qui garantissent la survie des forêts amazoniennes.

Jonatan Rodríguez

Jonatan Rodríguez est responsable du programme de sensibilisation au Centre Pulitzer. Il a été rédacteur à OpenDemocracy et responsable de pays pour Change.org. Il a également étudié la sociologie à l'université nationale de Colombie et est titulaire d'un master en développement durable de l'université des Andes.

traduction caro d'un article de Debates indigenas du 01/07/2024

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