La Guyane : une enclave française en Amazonie

Publié le 11 Juillet 2024

COLONIALISME GUYANE
Cindy Pollux, Maurice Pindard
1er juillet 2024
 

Femme autochtone Warao. Photo : OIM/Gema Cortes

 

Ce n'est qu'en 1500 qu'un navire a débarqué pour la première fois sur le territoire que nous appelons aujourd'hui la Guyane. Après plusieurs alternances de possession entre les différentes puissances de l'époque, ce sont les Français qui ont finalement pris possession du territoire. La Guyane est située au nord de l'Amérique du Sud et fait partie du massif guyanais. Ce massif comprend des parties du Venezuela, de la Colombie, du Guyana (Guyane britannique), du Suriname (Guyane néerlandaise) et une partie du Brésil (État de l'Amapá). La Guyane s'étend sur une superficie de 90 000 kilomètres carrés couverts par la forêt amazonienne et compte une population diversifiée de 350 000 habitants selon les statistiques officielles.

Lors de la colonisation, les Européens ne sont pas arrivés sur une terre inhabitée comme le prétendait le décret de Terra Nullius (No Man's Land) signé par la France. Ce territoire était habité par des populations aux civilisations millénaires qui ont subi le génocide par les massacres et les maladies inconnues apportées par les colons du Vieux Continent. Les peuples autochtones ont résisté à des siècles de barbarie et aujourd'hui, six nations sont réparties sur le territoire guyanais : les Kalinas, les Parikwene, les Teko, les Wayampi, les Wayana et les Lokono. 

Durant la longue nuit du colonialisme, le système capitaliste mondial s'est développé grâce à la traite des esclaves africains sur le continent renommé Amérique. Avec l'abolition de l'esclavage au XIXe siècle, la population afro-descendante libre a formé un groupe appelé créoles, qui a été élargi par les différentes vagues de migration des Antillais : Saint-Luciens, Barbadiens, Martiniquais et Guadeloupéens. En Guyane néerlandaise, connue sous le nom de Suriname, les populations asservies se sont rapidement révoltées et ont formé des groupes distincts. L'un de ces groupes se nomme Boni, du nom de son chef. Après des années d'errance, ce n'est qu'en 1776 que la France accepte l'installation des Boni en Guyane. Plus précisément, sur les rives françaises du Maroni, le fleuve qui sépare les deux pays. Ainsi, avec les autochtones et les créoles, les Boni constituent le troisième grand peuple du pays.

La population afro-descendante de Guyane est appelée créole et s'est développée avec les différentes vagues de migration des Antillais. Photo : Cheiika Photogr@phie
 

Les lois européennes au milieu de l'Amazonie

 

Après la Seconde Guerre mondiale, les grandes puissances ont dû recenser toutes leurs colonies afin d'entamer un processus de décolonisation. C'est ainsi qu'en 1945, la Guyane a été inscrite sur la liste des pays non autonomes de l'Organisation des Nations unies (ONU), qui venait d'être créée. Pour éviter ce processus, la France transforme ses colonies en territoires d'outre-mer. Ainsi, en 1947, elle a cessé de transmettre à l'ONU des informations sur ces pays, prétextant qu'il s'agissait d'affaires intérieures. Dans la réforme constitutionnelle de 2003, la France a inclus les "populations d'outre-mer dans le peuple français"

Ainsi, la France nie officiellement l'existence de nos peuples, y compris les peuples autochtones : il n'y aurait qu'un seul peuple français, dont la population guyanaise serait une composante. Cette modification n'est pas anodine : l'Etat français a nié notre droit à l'autodétermination, comme si le droit international ne s'appliquait plus. En particulier, les déclarations 15-14 de l'ONU sur l'octroi de l'indépendance aux peuples coloniaux n'ont pas été respectées. Ainsi, au milieu de l'Amazonie, nous sommes administrés par les lois de la France et de l'Europe.

Dans la pratique, cela signifie moins de droits pour nous gouverner.

Au-dessus des peuples qui habitent la Guyane, il y a un préfet qui représente tous les ministres du gouvernement français et qui, de plus, concentre tous les pouvoirs. Le préfet dispose d'une administration qui contrôle les communes et met en œuvre les politiques publiques françaises. Tous les travailleurs de l'administration sont des fonctionnaires français nommés par le gouvernement français pour deux ou trois ans pour diriger la colonie de Guyane.

Vue d'une route dans la forêt amazonienne au nord de la Guyane. Photo : OIM/Gema Cortes

 

D'une base spatiale européenne à la moitié des Guyanais dans la pauvreté

 

Pour la France, la Guyane est considérée comme une réserve écologique géostratégique qui doit rester sous cloche. La Guyane est régie par une économie d'enclave caractéristique de la situation coloniale. Tous les produits sont importés de France et d'Europe et seulement 10 % sont exportés. Le coût de la vie est si élevé qu'il existe une "prime de vie chère" pour les fonctionnaires : même les fonctionnaires guyanais ont fait grève pendant deux mois pour que ce revenu ne soit pas réservé aux seuls Français. Officiellement, plus de 50 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Les lois françaises et européennes bloquent le développement du pays. 

Alors que tous les secteurs souffrent de la situation économique, la base spatiale de Kourou s'apprête à inaugurer le lancement de la nouvelle fusée européenne Ariane, qui met en orbite des satellites civils et militaires. En clair, c'est une base avancée de l'OTAN en Amérique du Sud. Dans le même temps, la forêt tropicale est pillée par l'exploitation illégale de l'or et les rivières sont polluées par le mercure. Les populations piscivores de l'intérieur du pays en sont gravement affectées : le taux de mercure dans les cheveux des habitants dépasse 10 fois les doses autorisées. Dans un pays en panne de développement, les trafics en tous genres sont la principale activité qui permet d'assurer un revenu de survie. Ces dernières années, le nombre de jeunes Guyanais tentant de transporter de la cocaïne dans leur estomac dans les avions à destination de Paris a augmenté. Un jeune autochtone de l'intérieur vient de mourir à bord d'un vol Air France : il avait ingéré deux kilos de capsules de cocaïne et fait une overdose De même, les armes circulent très facilement dans l'illégalité et sont utilisées pour régler des comptes ou dévaliser des magasins.

En 2017, une manifestation de masse s'est déroulée pendant plus d'un mois pour réclamer de meilleures conditions de vie au gouvernement français. Photo : El Espectador

 

L'unité amazonienne pour la souveraineté guyanaise

 

Au XXIe siècle, l'Amérique du Sud est toujours une enclave coloniale. La Patria Grande n'est pas libre. Notre peuple a lutté contre la colonisation et l'esclavage, et aujourd'hui nous résistons à la domination coloniale française. Notre collectif, le Mouvement pour la décolonisation et l'émancipation sociale (MDES), s'inscrit dans la lutte des mouvements anticolonialistes qui nous ont précédés.

Depuis la revendication unanime d'une plus grande autonomie par nos élus locaux et l'élection de deux compatriotes à l'Assemblée nationale française, notre combat pour l'émancipation s'est approfondi. Nous avançons vers l'unité de notre peuple dans sa diversité et le respect de son droit humain à l'autodétermination. Notre participation aux différents forums internationaux témoigne de notre volonté de lutter contre le colonialisme français. 

 

Vive la libération totale d'Abya Yala !

Vive la souveraineté pleine et entière de la Guyane !

 

Cindy Pollux
Cindy Pollux est une femme afrodescendante, membre du Mouvement pour la décolonisation et l'émancipation sociale de la Guyane.

Maurice Pindard
Maurice Pindard est éducateur et co-fondateur du Mouvement pour la décolonisation et l'émancipation sociale de la Guyane (MDES).

traduction caro d'un article de Debates indigenas du 01/07/2024

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