Pérou : Tupananchiskama hatun wayqe Hugucha (Jusqu'à notre prochaine rencontre, grand frère Hugo)

Publié le 28 Juin 2023

Par : Mario Tabra Publié : 26/06/2023

Le légendaire Hugo Blanco à côté de Mario Tabra, auteur de cet article.

 

"J'ai appris que le wayqe Hugucha était parti. J'ai eu très mal, ce sentiment de vide que l'on ressent quand on perd un être cher, un parent, car c'est ce que Hugucha était pour nous, un frère fils de la terre".

Par Mario Tabra*

La gauche ne l'estimait pas, la droite le craignait et le haïssait, mais le peuple l'a reconnu, le reconnaît et le reconnaîtra dans chaque geste et dans chaque voyage pour changer cette société chaotique, parce qu'"un autre monde est possible".

J'étais en cinquième année d'école secondaire, après avoir enduré 12 ans de militarisme socio-politique en tant qu'éducateur ; il fallait toujours être d'accord avec les ordres donnés par les hommes en uniforme qui avaient pris en charge les décisions que toute la société devait suivre.

La constitution de 1979 avait été promulguée et les journaux, comme toujours, parlaient des aspects superficiels des membres de l'assemblée, surtout s'ils étaient issus du peuple, comme c'était le cas du légendaire leader paysan de Cusco, Hugo Blanco Galdós. On le voyait à la télévision, aux informations, les mermeleros se moquaient de sa tenue vestimentaire : ushutas, sombrero, poncho.

En même temps que la Constitution politique était promulguée, les élections générales étaient convoquées pour 1980. Les rassemblements avaient lieu sur la Plaza Dos de Mayo. Je prenais mon bus depuis le quartier de Lince jusqu'au centre et je marchais tout le long de l'avenue Colmena jusqu'à ce que j'arrive pour écouter les propositions des candidats.

Celui qui a le plus attiré mon attention est Hugucha (Huguito), comme l'appelait son peuple, lorsqu'il a proclamé : "Où étaient les démocrates pendant ces années de dictature ? Où étaient les bourgeois, les soi-disant défenseurs de la démocratie ? Nous avons besoin d'un pays sans patrons ni généraux !

Je suis resté sur la Plaza Dos de Mayo jusqu'à la fin du rassemblement, j'ai reçu quelques tracts et l'invitation à rejoindre l'école politique dans les locaux de leur parti. Chaque groupe était composé d'un ouvrier, d'un étudiant, d'un paysan et d'un professionnel. Les livres des classiques étaient lus et discutés.

J'avais lu son livre "La terre ou la mort", sur la récupération des terres dans la vallée de la Convention et à Lares, et j'étais très motivé par cette lecture, lorsqu'un jour Hugucha s'est approché de moi et j'ai eu l'audace, en tant qu'adolescent, de lui demander : si vous dites que vous luttez pour un changement profond sans patrons ni généraux, pourquoi ne rejoignez-vous pas les groupes qui ont pris les armes ?

Ce à quoi il a répondu calmement : "Il ne s'agit pas de tirer et de tuer pour changer le pays, il s'agit de marcher avec les gens, de se joindre à leurs luttes, de les accompagner dans leurs processus et de construire une nouvelle société à partir de la base".

Ses paroles ont clarifié pour moi le panorama des années 80 et c'est à partir de là que j'ai compris que nous devions accompagner notre peuple et ne pas le laisser se laisser tromper par des offres et des cadeaux lors des élections, parce qu'une fois les élections passées, tout reste pareil.

Je me souviens de l'année 1980, lorsque l'Alliance de la gauche révolutionnaire (ARI), composée de la majorité des partis de gauche atomisés, s'était déjà consolidée et qu'Hugo Blanco avait été élu comme candidat de consensus. Une fois de plus, les soi-disant "révolutionnaires, communistes, socialistes pro-soviétiques, pro-chinois et pro-albanais" ont rompu l'alliance et se sont présentés aux élections avec plus d'une douzaine de groupes de gauche.

Ils ont ainsi perdu les années de lutte pour forger l'unité populaire tant attendue, cédant une fois de plus à la victoire de la "vendepatria" de Fernando Belaúnde Terry d'Acción Popular en alliance avec le PPC de Luis Bedoya Reyes.

Cette gauche a été une déception totale, qui depuis 40 ans continue avec le même égoïsme et la même complicité avec le système néolibéral corrompu.

En 1982, j'ai quitté Lima pour parcourir l'intérieur du pays et j'ai pris conscience de la demande d'unité, ce qui explique que les mairies étaient occupées par des partis de gauche qui se contentaient d'une petite part de pouvoir, alors que le peuple était pris entre deux feux : le PCP d'un côté et la police et l'armée de l'autre ; les victimes étaient les gens des communautés indigènes, paysannes et de quartier.

Je n'ai revu Hugucha que 30 ans plus tard, lors des ateliers de formation pour les communicateurs indigènes organisés par Servindi et lors de la grande "Marche nationale pour l'eau" que nous avons organisée avec Carlos Rivera, Carlomagno Calluchi et Mario Barrios, de Cajamarca à Lima. Nous avons partagé des rassemblements tout au long du chemin, lui en tant qu'orateur et moi en tant qu'auteur-compositeur-interprète, notre nouvelle lutte pour la défense de l'environnement et des territoires des communautés contre l'exploitation minière destructrice et pillarde à grande échelle nous a une fois de plus unis sur la route.

Puis il est venu à Piura pour la présentation d'un livre sur l'exploitation minière au Pérou et m'a téléphoné pour me dire qu'il voulait me parler. Je me souviens avoir dit à ma fille Sybila, qui étudiait les sciences de la communication à l'UNP, que je voulais rencontrer un combattant légendaire et un défenseur de la terre qui était sur le point d'être fusillé pour avoir défendu les communautés paysannes de Cuzco. Nous sommes donc allés à la réunion et avons parlé de ses actes héroïques en tant que leader paysan, puis en tant que membre de l'assemblée pour la Constitution politique de 1979 et de la réunion de Cajamarca. Enfin, il m'a demandé de collaborer à la rédaction d'articles pour la revue "Lucha Indígena", qu'il éditait, et j'ai été très flatté et j'ai accepté d'écrire pendant quelques années.

Aujourd'hui, en consultant les réseaux - car je ne regarde pas la télévision - j'ai appris que le wayqe Hugucha était parti. J'ai eu très mal, ce sentiment de vide que l'on ressent quand on perd un être cher, un parent, car c'est ce que Hugucha était pour nous, un frère fils de la terre ; je savais qu'il souffrait pour sa santé et qu'il était très mal, mais je ne pensais pas qu'il était temps pour lui de nous quitter. Il sera toujours une référence d'honnêteté dans la lutte pour un monde meilleur, ses paroles comme "le monde ne va pas finir, ce qui va finir c'est nous en tant qu'espèce humaine, à cause de l'irresponsabilité de la façon dont nous traitons la Pachamama" seront l'avertissement que nous devons prendre en compte.

Tupananchiskama hatun wayqe Hugucha (Jusqu'à notre prochaine rencontre, grand frère Hugo).

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* Mario Tabra est un auteur-compositeur-interprète, communicateur, écrivain et militant écologiste de la ville d'Ayavaca, dans la région de Piura. Il est membre du Réseau des communicateurs indigènes du Pérou (REDCIP).

traduction caro d'un texte paru sur Servindi.org le 26/06/2023

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Pérou, #Devoir de mémoire, #Hugo Blanco

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