Chili empoisonné

Publié le 27 Mars 2023

Chili empoisonné

Mario Ramos
25 mars 2023 


12 jours après le coup d'État militaro-civil, le poète Pablo Neruda, prix Nobel de littérature, est empoisonné à la clinique Santa María de Santiago. Nous savons aujourd'hui que le "clostridium botulinum" n'avait aucune raison de se trouver chez Neruda. Il a été assassiné en 1973 par des agents de l'État", a déclaré Rodolfo Reyes, le neveu du poète, 50 ans après, à la suite d'une enquête menée par des experts internationaux.

Encombré par les militaires, l'enterrement de Neftalí Reyes Basoalto fut un mélange de déchirement, de soulagement, d'impuissance et de colère contenue qui, comme c'était la norme depuis le 11, malgré le vert, secoua les rues, et continua à les secouer pendant 17 ans de résistance sous des milliers de formes, qui fut finalement instrumentalisée pour donner une continuité au système et abriter le dictateur jusqu'au jour de sa mort dans l'impunité la plus totale.

C'était un signe, un Chili néolibéral n'était pas possible sans poison, mais il nous a fallu trop de temps pour réaliser que la dose accrue de patriarcat et de capitalisme était toxique et mortelle. Ils ont blanchi la politique, tout comme ils la verdissent aujourd'hui, au rythme d'une police militarisée et de médias au service de leurs propriétaires. Ils ont changé la république appelée Chili et l'ont transformée en une seule grande entreprise qui extrayait et exportait nos biens et ressources communs dans le monde entier.

Il est vrai que nous avons ressenti les symptômes du poison dans le sang du corps collectif, mais nous étions plus préoccupés par notre survie que par notre guérison. C'est pourquoi, entre autres choses, l'explosion, parce que la gangrène interne s'était déjà propagée et avait éclaté pour ne pas mourir comme le poète, comme nos parents, nos amis, les entreprises publiques, l'éducation publique, les identités... et c'est là que nous avons rejoint la poésie de rue, pour être un quiltro1 de plus, à la recherche d'un troupeau, parmi les milliers que nous avons vus sauter par-dessus les tourniquets.

Et une fois de plus, ils nous ont vendu la pommade. Ils avaient le vaccin contre la gangrène sociale, il s'appelait l'accord de paix, et dans des milliers de coins, ils ont décidé de le prendre, non pas parce qu'ils croyaient en la "malignité" du laboratoire néolibéral, mais parce qu'il était nécessaire d'articuler, de s'écouter, de se connaître, de réfléchir, en dehors de la rage et de la colère dignes... nous avons vu que la Moneda au Chili n'avait qu'un seul visage, celui de la domination et du patriarcat.

Nous avons alors compris que l'urgence est de nous désintoxiquer, comme doit le faire tout toxicomane... toxicomane de la consommation, du vote, du salaire facile des méga-mines (alors que nous mangeons le sol qui nous nourrit), toxicomane du crédit et des cartes de crédit, de la dépendance chimique qui surexploite l'eau et pollue la vie, toxicomane de la compétition, de croire que nous sommes plus et que nous avons plus, alors que nous nous droguons pour contrôler les crises de panique ; toxicomane de la malbouffe qui nous consomme.... et nous devons nous réhabiliter car nous sommes en voie d'extinction, la biodiversité sociale et naturelle disparaît, les champs sont infertiles, un tiers des communes sont alimentées par des camions-citernes et les chars militaires laissent leurs traces au nord et au sud.

Des corps empoisonnés, des quartiers empoisonnés, des villages empoisonnés, des communes empoisonnées, des régions empoisonnées... un pays empoisonné dans un continent empoisonné relié à un globe empoisonné qui éclatera au prix de l'IIRSA, du TTP, des guerres patriarcales et des luttes pour le butin de ce qui reste.

La question est de savoir comment nous nous préparons à l'explosion planétaire... comment nous sommes capables d'inverser le processus par le bas, comment nous nous connectons avec nos voisins pour mettre fin à la dépendance chimique, comment nous arrêtons la compétition et commençons à partager des réflexions sur les places, pour transformer cette matrice appelée défaite en apprentissage, comment nous récupérons les espaces pour problématiser les slogans entre nous tous ? Comment déconstruire la pyramide des 0,1 % de la population qui s'approprient 30 % de la richesse de tout le pays et soudoient les 40 % qui bénéficient de l'État, de la culture et des universités, tandis que le reste, les 60 % du bas de l'échelle, font des heures de bus pour aller travailler, évitent les balles du trafic de drogue, ont des enfants dans les écoles publiques, font la queue pour attraper tout ce qui tombe d'en haut et réclament la fin de la criminalité devant la caméra d'une chaîne de télévision étrangère.

Il est urgent de réagir pour que les tissus, les corps et les sols dévastés puissent à nouveau se régénérer. Se demander sur quel territoire et comment nous voulons vivre et comment le rendre possible, comprendre que la différence est la clé de la récupération de la vie. Continuer, en petites ou grandes assemblées, à écrire nos histoires avec nos éphémérides et à avoir des calendriers qui écrivent nos temps et nos luttes.

Nous n'allons pas parler du processus constituant pour lequel nous nous battons depuis les années 2000 au point d'être ignorés, et qui a montré le pouvoir des processus territoriaux, parce qu'il fait l'objet d'"experts", comme Hernán Larraín Fernández, déjà nommé par le Sénat comme l'un des membres de la Commission d'experts, chargée de rédiger le texte constitutionnel du XXIe siècle qui débattra de notre avenir. Ce même Pinochetiste d'extrême droite qui, pendant des décennies, a défendu avec acharnement le violeur d'enfants Paul Schäfer, discréditant les récits d'enfants abusés par le hiérarque de Colonia Dignidad.

traduction caro d'un article paru sur Desinformémonos le 25/03/2023

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