Mexique : Développement d'une application de préservation de la langue Mazahua

Publié le 2 Janvier 2023

Omar Páramo / Eric Guzmán / Nycol Herrera
30 décembre 2022 

 

Vidéo DESARROLLA EGRESADO DE LA UNAM APLICACIÓN PARA PRESERVAR MAZAHUA

Pour César Cruz, retourner à San Antonio La Ciénega n'est pas seulement un retour à sa ville natale, c'est aussi un retour au Mazahua ou Jñatrjo, à la langue qu'il n'a pas pu apprendre quand il était enfant, mais qu'il a commencé à enseigner aux enfants et aux adolescents de la région. "La langue était en danger, les seuls locuteurs étaient les anciens, qui sont une centaine, et il en reste de moins en moins, il fallait donc faire quelque chose pour éviter sa mort".

Les 1 500 habitants de ce village rural - situé au nord-ouest de l'État de Mexico, à 2 600 mètres d'altitude et tout près de la frontière avec le Michoacán - décrivent souvent l'endroit comme un lieu où il ne se passe rien, ou où il ne se passait rien, car il y a quelques mois, un programme novateur d'initiation au mazahua a été lancé dans les écoles primaires, les collèges et les lycées de la région, sur la base d'une application pour téléphone mobile développée par César dans le cadre d'un projet de thèse.

"Cet outil s'appelle MazahuaApp et a été créé pendant que j'étudiais la mécatronique à la faculté d'ingénierie de l'UNAM. Le fait d'être si loin de chez soi vous fait vous souvenir de vos proches et cette nostalgie m'a mis devant un ordinateur pour donner forme à un logiciel qui, dès le départ, a été pensé comme un moyen de rendre une partie de son essence à ma communauté.

Les habitants de San Antonio La Ciénega ont toujours été très fiers de leurs racines indigènes, à tel point qu'ils désignent la ville par son nom mazahua, Roxaxi - "l'endroit où il y a des roses" - mais à part ce mot, ils n'en connaissent pas d'autres, car il y a cinq décennies, et beaucoup ne comprennent toujours pas pourquoi, les gens ont cessé de parler la langue et l'ont considérée comme "l'affaire des grands-parents", une situation qu'ils essaient maintenant de renverser.

Paula Segundo - une femme septuagénaire du village - se souvient que lorsqu'elle était enfant, on ne parlait que le Jñatrjo. "Avant, il était rare d'entendre de l'espagnol, aujourd'hui c'est le contraire", partage-t-elle tristement. " Quand je rencontre des jeunes dans les champs, je leur dis kjimidya (" bonjour "), maxkjodya (" au revoir "), pje gi kjatr'o ? (" que fais-tu ? "), ja gui jyasu̷ ? (" comment t'es-tu réveillé ? "), mais comme ils ne connaissent pas le mazahua, ils ne me répondent pas.

César comprend très bien cette situation car il fait partie de ces jeunes. "J'aimerais parler couramment avec les anciens ou "tíos" (comme on les appelle en signe de respect pour les personnes âgées), mais je ne connais que quelques expressions. Pour développer l'application, et en l'absence de ces connaissances indispensables, j'ai bénéficié du soutien de deux diplômés du cours de langue et de culture de l'Université interculturelle de l'État de Mexico et résidents locaux : Avisahín Cruz et Diego Mateo. Je m'occupais de l'informatique, de l'aspect technique et de la conception visuelle, et eux s'occupaient des aspects pédagogiques et linguistiques.

Son rêve est de ramener la langue mazahua à San Antonio La Ciénega, comme à l'époque de ses grands-parents, et il s'est entouré de nombreux alliés improbables. "Malgré leur méfiance à l'égard des nouvelles technologies, les aînés ont été les plus enthousiastes à l'égard du projet. Ils nous ont ouvert les portes de leurs maisons et, pour la première fois, ont fait face à un microphone. Les voix entendues dans l'application sont les leurs, car elles se sont laissées enregistrer, afin que les nouvelles générations sachent directement comment prononcer le vrai jñatrjo, comment il est utilisé dans la vie réelle.

Persister ou s'effacer

Le mythe raconte qu'à la naissance du monde, le Père Soleil et la Mère Lune se sont associés pour donner naissance à une race de géants appelée ma ndaa qui a disparu, puis à une autre race de nains, les mbeje, qui n'a pas non plus survécu, pour finalement donner naissance aux jñatrjo, un mot qui désigne les Mazahua et dont le sens littéral est "ceux qui parlent", une preuve étymologique palpable que, pour cette culture, s'il n'y a pas de langue, il n'y a pas de peuple.

César avoue que l'une de ses plus grandes frustrations est de ne pas avoir assimilé le Mazahua dans son enfance. "J'ai appris les langages informatiques avant d'apprendre la langue de mes ancêtres", et il ajoute que ce n'est pas par manque d'intérêt, "c'est parce que mes parents ne l'ont pas apprise non plus et que le lien était rompu".

Concernant la perte de tant de locuteurs d'une génération à l'autre (rien que de 2010 à 2020, de 136 000 à 132 000 personnes connaissant un peu le mazahua, selon l'INEGI), Avisahín Cruz explique que ce déclin est dû en grande partie aux programmes de "castillanisation" promus par les gouvernements du siècle dernier dans le but d'effacer les langues indigènes.

L'argument, ajoute le co-auteur de MazahuaApp, était que cela renforcerait l'identité nationale, comme l'a soutenu Justo Sierra en 1902 dans un discours où il évoquait les idéaux et les objectifs de l'éducation publique : "Nous appelons le castillan la langue nationale non seulement parce que c'est la langue parlée dès son enfance par la société mexicaine actuelle et parce qu'elle a été ensuite héritée par la nation, mais parce qu'étant l'unique langue scolaire, elle en viendra à atrophier et à détruire les langues locales et qu'ainsi l'unification du parler national, véhicule inestimable d'unification sociale, sera un fait."

Heureusement, cette façon de penser appartient désormais au passé, affirme César, qui explique que pour mettre en place les cours d'enseignement mazahua à San Antonio La Ciénega, il a reçu le soutien de l'UNAM par le biais du système de bourses pour les étudiants indigènes et afro-descendants et de l'Institut de recherche en mathématiques appliquées et systèmes (IIMAS), ainsi que de l'Institut national des peuples indigènes (INPI) et de l'Université interculturelle de l'État de Mexico. "Il y a une prise de conscience croissante, à tous les niveaux, de l'importance de préserver nos langues maternelles".

Quatre-vingt-dix-neuf ans après le discours de Justo Sierra, en 2001, Miguel León-Portilla répondait à ces positions lors d'une conférence tenue à Valladolid, en Espagne : "Il y a ceux qui considèrent que la mort des langues autochtones est inévitable et qu'il n'y a pas lieu de s'en affliger, puisque l'unification linguistique est souhaitable. A l'inverse, il y a ceux qui pensent que la disparition de toute langue appauvrit, et grandement, l'humanité".

Retour à l'enfance

Les enfants et les adolescents de La Ciénega apprennent la langue jñatrjo depuis trois mois avec la MazahuaApp et leurs familles commencent à en voir les résultats et, surtout, à les écouter, car une partie des tâches consiste à répéter les leçons à la maison et à apprendre le vocabulaire.

"S'ils sont déjà sur leur téléphone toute la journée, c'est bien que maintenant ils l'utilisent pour étudier", dit une mère alors que sa fille marche à quelques mètres de là, absorbée par son téléphone portable, tout en appuyant son doigt sur le dessin d'un chat pour faire sonner le mot mixi (qui se traduit par "petit visage poilu"), puis sur celui d'un chien pour faire sonner dyø'ø.

L'enseignante Mariana Medina est responsable du cours et affirme que les élèves ont commencé à montrer un intérêt croissant pour la langue. "Ils ne se contentent pas de me demander telle ou telle expression, ils vont maintenant voir leurs grands-parents pour leur poser des questions et viennent en classe avec de nouvelles préoccupations. Ils veulent savoir comment s'appelle une certaine partie du corps, ou une certaine couleur.

César explique que MazahuaApp est une entreprise en constante amélioration, car il assiste lui-même aux sessions pour prendre note de ce qui ne fonctionne pas et introduire des améliorations. "Nous sommes dans la phase pilote, l'objectif est de perfectionner le logiciel et, si nous obtenons de bons résultats, l'étape suivante consistera à l'étendre aux communautés voisines, en adaptant l'application aux variantes du mazahua parlées dans ces régions".

Quant à savoir pourquoi il a décidé de faire de ce programme une application pour téléphone et non un site web, le jeune homme explique que c'est pour des raisons pratiques, car à San Antonio La Ciénega, seuls trois pour cent des foyers disposent d'internet, "et tous les enfants ici ont accès à un téléphone portable".

Pour l'ingénieur, avoir réalisé ce projet est, en partie, l'accomplissement d'un rêve d'enfant, car il aurait aimé disposer d'un tel outil lorsqu'il était à l'école primaire. "Aujourd'hui, je serais une personne différente, car connaître une autre langue vous donne une vision beaucoup plus large du monde.

Pour l'instant, il ne fonctionne que sur Android. L'un des projets de César est de créer une version pour les systèmes iOS, ainsi que d'intégrer un système de reconnaissance vocale, ce qui, même si cela implique des efforts, représente aussi quelque chose de plaisant pour lui. "Chaque fois que je travaille sur l'application, j'apprends le mazahua. C'est peut-être de là que vient mon engagement, car pour moi, il s'agit de rattraper le temps perdu et d'avoir cette opportunité aujourd'hui qui ne m'a pas été donnée quand j'étais enfant".

traduction caro d'un article paru sur Desinformémonos le 30/12/2022

Rédigé par caroleone

Publié dans #ABYA YALA, #Mexique, #Peuples originaires, #Les langues, #Mazahua

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article